Pendant des décennies, au Québec, la politique a été dominée par la question nationale. Depuis l’échec de la grève générale de 1972, le Parti Québécois a revendiqué la direction de la lutte contre l’oppression nationale. Le PQ – devenu un parti bourgeois – a canalisé le mécontentement des Québécois sur le terrain de la lutte nationaliste pour la « souveraineté ». Ils ont utilisé cette revendication pour masquer les différences de classe au sein de la société québécoise – et pour soumettre les travailleurs aux intérêts des capitalistes québécois. On a vu ce qu’était vraiment le PQ lorsqu’en 1976, lors de sa première élection, il a interdit le financement de partis politiques par des syndicats et a écrasé de nombreuses grèves. La bourgeoisie du Québec voulait « son » mouvement national. Cela a écarté la question de classe pendant toute une période, divisant les travailleurs au profit du capitalisme québécois.
Nous avions cela en tête, comme marxistes, lorsque nous avons observé avec enthousiasme la naissance de Québec solidaire. Le Manifeste qui a mené à la formation de QS – « Pour un Québec solidaire » –, a été lancé pour contrer le manifeste bourgeois : « Pour un Québec lucide ». Nous étions satisfaits de constater que la gauche québécoise s’orientait vers la création d’un authentique parti de la classe ouvrière québécoise, en opposition aux capitalistes, pour la première fois de l’histoire. Le soutien officiel de syndicats importants tels que le Conseil Central de Montreal (CSN), qui représente 145 000 travailleurs, était un grand pas en avant dans l’implantation syndicale de QS. Il faut lier QS aux travailleurs du Québec, via les syndicats.
Le Congrès
Le week-end du 20-22 novembre, Québec solidaire a tenu son congrès annuel à Laval. Environ 300 délégués et invités ont participé aux deux jours de discussion et de débat sur le programme et la direction du parti. La Tendance Marxiste Internationale (TMI), un collectif au sein du parti, était représentée par plusieurs des ses membres, au congrès. Nous y avons vendu notre journal, La Riposte, et défendu les idées du socialisme international.
La position de la TMI est la suivante : si Québec solidaire veut devenir une force importante, dans la société québécoise, il lui faut emporter l’adhésion de syndicats et devenir un authentique parti ouvrier. Pour arracher au Parti Québécois le soutien des syndicats, il faut à QS un programme socialiste qui réponde aux besoins et aspirations des travailleurs. C’est particulièrement le cas aujourd’hui, dans ce contexte de crise et d’attaques brutales du patronat et du gouvernement.
Souveraineté et indépendance ?
Les débats qui se sont tenus, lors de ce congrès, étaient l’aboutissement de plusieurs mois de discussions pour finaliser la plateforme politique du parti. Le débat principal portait sur la question de savoir si c’est la question sociale – la question de classe – ou la question nationale qui devait être au centre des préoccupations du parti. Quatre orientations principales ont été présentées et débattues. Les trois premières discutaient de savoir si le parti devait se battre pour la souveraineté, pour l’indépendance – ou pour les deux. Bien que ces trois orientations puissent sembler être la même chose, il y a une différence importante. Québec solidaire a toujours eu une position ambiguë sur la souveraineté. Le dirigeant de QS Amir Khadir a toujours mis en avant la question de classe, par rapport à la souveraineté, pour bien différencier l’approche de QS de celle PQ. Les slogans, lors de la dernière élection, disaient : « Pour une souveraineté solidaire. » D’un autre côté, l’adoption claire du terme « indépendance » signifiait rejeter l’élément de classe contenu dans le terme – plus ambigu – de « souveraineté ». La position finale adoptée par le congrès était la troisième, qui argumentait pour que le parti se batte à la fois pour l’indépendance et la souveraineté.
La quatrième et dernière position discutée au congrès défendait l’idée selon laquelle la souveraineté et l’indépendance ne devraient pas être les objectifs centraux de Québec solidaire. Elle expliquait que le but ultime de QS devrait être la mise en œuvre du programme social du parti – et que si cela ne pouvait être réalisé dans le cadre de l’Etat fédéral canadien, le parti devrait lutter pour l’indépendance. Même si ce n’est pas exactement la position des marxistes, nous pensons qu’elle est 100 fois plus correcte que les trois autres. C’était également la position soutenue par Arthur Sandborn, l’ancien président du Conseil Central de la CSN de Montréal. Sandborn a dirigé l’opposition principale contre la nouvelle orientation du parti sur la question nationale.
Sandborn a été très critique sur ce qu’il voyait comme un objectif entièrement erroné, pour le parti. Nous sommes d’accord. Nous faisons face à la plus grave crise du capitalisme depuis la Grande Dépression, et elle menace tous les acquis sociaux qui ont été gagnés, par le passé. Dans ce contexte, faire de la lutte pour l’indépendance la priorité du parti est une crime. Ce qui est encore plus désolant, c’est qu’après le vote, Sandborn a demandé à ce que son désaccord soit noté, puis il a déchiré sa carte du parti et claqué la porte du congrès. Avec ce départ, de nombreux nationalistes de l’aile droite du parti se sont réjouis de ce départ. Nous pensons que ce n’est pas un hasard si le principal représentant syndical – grâce auquel un syndicat de 145 000 travailleurs a soutenu le parti au cours des deux dernières élections – s’est exprimé clairement en faveur d’un point de vue de classe, alors que les éléments petit-bourgeois, à l’intérieur du parti, ont fait front contre ses propositions.
Malheureusement, il faut ajouter que la majorité des éléments de l’aile gauche du parti, dont beaucoup de camarades qui se réclament du socialisme et du communisme, ont fini par rallier l’aile droite du parti. Sur le papier et dans leurs interventions, beaucoup de ces camarades sont d’accord, en principe, pour reconnaître que le parti a besoin de gagner le soutien des syndicats du Québec, afin de devenir un authentique parti des travailleurs. Mais en pratique, ils se sont rangés avec la droite contre le principal élément syndical dans le parti ! C’est la conséquence logique de leur capitulation devant le nationalisme petit-bourgeois. C’est un coup majeur pour l’aile gauche du parti, et un recul de premier plan dans l’effort de transformer Québec solidaire en un vrai parti de la classe ouvrière.
Si nous tirons toutes les conclusions logiques de la position adoptée par QS, cela signifie transformer le parti en une force d’appoint sur la gauche du PQ – et, à terme, dissoudre le parti au sein du PQ. A l’inverse, la position de Sandborn allait dans le sens d’utiliser des questions de classe pour mettre en évidence ce qu’est réellement le PQ : un représentant des intérêt des capitalistes québécois, qui ne veulent rien d’autre que détruire tous les acquis sociaux obtenus par les travailleurs québécois au cours des dernières décennies, et ce afin d’accroître leurs profits. Adopter ce plan d’action de classe aurait permis de commencer à arracher au PQ sa base électorale ouvrière, et à transformer QS en une vraie force, dans la société québécoise.
Pour l’unité de la classe ouvrière !
Marx ne disait pas pour rien : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! ». La question fondamentale de la politique québécoise est – et demeurera – une question de classe. Particulièrement à l’époque de la crise capitaliste actuelle, des attaques sournoises à l’encontre des acquis sociaux sont à l’ordre du jour. Soulever la question de l’indépendance en la présentant comme la question fondamentale, au milieu de cette crise, est une crime. L’énergie du parti a été dissipée par cette question et, en contrepartie, peu de choses ont été faites pour proposer des solutions à la crise capitaliste.
Parlant des turbulentes années 1930, Trotsky expliquait à l’époque que la crise de l’humanité était caractérisée par la crise de la direction de la classe ouvrière.
Lorsqu’on regarde la crise actuelle du capitalisme, on voit effectivement que la direction actuelle de la classe ouvrière n’est pas à la hauteur de la situation. A quelques exceptions près, au niveau mondial, les directions des syndicats et des partis travaillistes, socialistes et communistes, ont répondu à la crise avec confusion – et dans beaucoup de cas, par la collaboration de classe. La direction actuelle du mouvement ouvrier n’est pas à la hauteur des tâches historiques qui sont posées.
Ayant cela à l’esprit, nous pouvons voir que Québec solidaire, qui fut à une époque sur le point de prendre en charge ces tâches, est maintenant engagé sur le mauvais chemin. Dans le contexte de la crise économique actuelle et des attaques à venir contre la classe ouvrière, Québec solidaire doit accomplir au moins une de ses tâches – celle de construire un parti du travail, un parti de la classe ouvrière au Québec. Dans ce contexte, la discussion actuelle, au sein de Québec solidaire, ne doit pas se réduire à un débat d’ordre sémantique sur les mérites respectifs des mots « souveraineté » ou « indépendance » ! D’ailleurs, nous avons déjà vu cela auparavant. De telles discussions faisaient rage, dans les années 1960 et 70, à l’époque de la montée en puissance de la classe ouvrière au Québec. Nous connaissons aussi les résultats de ces discussions : la scission du mouvement ouvrier et la formation du PQ, la trahison du mouvement de grève générale des années 1970, et les trahisons successives du PQ et des nationalistes depuis lors, qui n’ont servi qu’à affaiblir la classe ouvrière face à ses ennemis.
La direction de la classe ouvrière, plus encore que la classe ouvrière elle-même, est extrêmement mal préparée pour les attaques à venir. Alors que Québec solidaire devrait être en train de discuter et de débattre sur des questions de classe fondamentales, on y discute de sémantique. La nationalisation, le contrôle ouvrier, la fin de la guerre impérialiste, la gratuité de l’éducation, un nouveau Front Commum et une nouvelle grève générale : telles sont les vraies questions à l’ordre du jour. A l’heure actuelle, Québec solidaire devrait discuter et approfondir son programme social et ses analyses de la société et de la crise capitalistes. En somme, le parti devrait préparer la classe ouvrière pour la lutte des classes et les tâches historiques qu’elle aura à affronter. Au lieu de cela, Québec solidaire discute de la question nationale et de sémantique, encourageant le nationalisme au sein de la classe ouvrière (par-dessus tout au Québec), et détourne l’attention des questions de classe fondamentales. Cela risque de diviser le mouvement ouvrier et de laisser la classe ouvrière désarmée en face de son véritable ennemi, le capitalisme (qu’il soit de type « canadien » ou « québécois »).
Pour gagner à sa cause les travailleurs québécois qui, pour le moment, se tournent vers le Parti Québécois, aucun opportunisme vis-à-vis du nationalisme n’est tolérable. Il faut diviser le PQ suivant des lignes de classe. Québec solidaire doit montrer ce qu’est réellement le Parti Québécois – un parti de la classe capitaliste québécoise, dont les intérêts sont en opposition directe avec ceux de la classe ouvrière du Québec.
Les dirigeants du PQ sont des vendus, ils ont historiquement utilisé le désir de libération nationale des travailleurs québécois pour s’assurer à eux-mêmes une part du gâteau capitaliste.
Seule l’union des classes ouvrières francophone, anglophone et allophone peu efficacement faire obstacle aux attaques capitalistes à venir, abolir l’oppression nationale au Québec et garantir tous les droits démocratiques – y compris celui de la séparation – qui seront assurés dans le cadre d’une union socialiste volontaire. Ensemble, nous pouvons arracher les principaux leviers de l’économie des mains des grandes entreprises qui cherchent continuellement à extraire du profit sur notre dos, et établir une économie démocratiquement planifiée, qui mettra fin à la guerre, à la pauvreté, à la faim, à l’exploitation et à la dégradation de l’environnement.