La réouverture de l’économie a commencé. Les patrons sont impatients de faire des profits et de ne pas être dépassés par les capitalistes des autres pays qui rouvrent. Tous les experts s’accordent à dire que le dépistage de masse et une rigoureuse « recherche des contacts » sont absolument nécessaires tant qu’il n’existe pas de vaccin contre la COVID-19. Or, le Canada est à la traîne pour les deux, ce qui menace de transformer la réouverture en catastrophe.
« Dépistez, dépistez, dépistez! »
Tel était l’avis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au début de la pandémie. « Tous les pays devraient pouvoir dépister tous les cas suspects, ils ne peuvent pas combattre cette pandémie les yeux bandés », disait le directeur général de l’OMS en mars dernier.
Pourtant, malgré ce conseil clair, le Canada n’a pas agi. « Jusqu’à présent, nous avons joué à rattraper la maladie », ont déclaré le médecin spécialiste des maladies infectieuses Isaac Bogoch et Goldy Hyder, PDG du Conseil canadien des entreprises dans un article pour MacLean’s.
Nous savons depuis le début que le dépistage est essentiel, mais il a fallu des semaines pour qu’il commence sérieusement. Et il est encore tout à fait insuffisant.
Dans l’ensemble du Canada, 1 332 447 tests ont été effectués en date d’aujourd’hui. Cependant, une étude de l’Université Harvard affirme que 5 millions de tests par jour seraient nécessaires aux États-Unis pour une réouverture sécuritaire, ce qui se traduirait par 600 000 tests quotidiens au Canada. L’objectif fixé par le gouvernement fédéral est dix fois moins élevé, soit 60 000 par jour.
Mais même cet objectif modeste n’a pas été atteint, avec seulement 26 000-28 000 tests par jour en moyenne. Au Québec, où le premier ministre François Legault avait fixé un objectif de 14 000 tests quotidiens, nous n’en étions qu’à 9 000 la semaine dernière. Ainsi, nos gouvernements se sont limités à des promesses vides. Et pourtant, ils se précipitent pour rouvrir l’économie.
En plus, il n’y a même pas assez de tests et de personnel pour effectuer le dépistage et assurer le suivi simplement auprès des personnes travaillant dans le système de santé. Dans un exemple accablant, une infirmière de Montréal a dû mentir sur ses symptômes pour pouvoir se faire dépister – et elle était bel et bien atteinte du coronavirus. Une autre infirmière de Montréal, chargée d’appeler les gens pour leur donner leurs résultats au test de dépistage, a expliqué la mauvaise gestion et les conséquences du manque de personnel : « Aujourd’hui, je devais rappeler en priorité les travailleurs avec des résultats négatifs! À côté, il y avait une pile de résultats positifs de gens encore au travail à risque d’en infecter d’autres. J’étais découragée. » C’est parce que seuls les médecins et les infirmières praticiennes peuvent informer les gens d’un résultat positif, et il n’y en avait pas ce jour-là!
Insuffisante recherche de contacts
Bien que les tests soient essentiels, un autre élément important de la lutte contre la propagation du virus est ce que l’on appelle la « recherche des contacts », ce qui signifie retracer les individus qui ont pu être en contact avec le virus et faire le suivi auprès d’eux. Cependant, aucune tentative sérieuse n’a été faite pour intensifier ces opérations. Selon certains témoignages, la recherche des contacts dans le pays peut prendre jusqu’à dix jours et se fait toujours à l’aide de dossiers papier et de télécopieurs – ce qui n’est pas exactement ce que nous pourrions qualifier de technologie avancée.
Un autre exemple est la nouvelle plate-forme numérique sur le point d’être utilisée au Québec. Elle s’appuiera sur une chaîne de courriels et les gens seront invités à donner l’adresse électronique des personnes avec lesquelles ils ont été en contact afin de les retrouver. Ce système a été décrit par un expert comme « très dépassé et désuet ». Et qui connaît l’adresse courriel des inconnus croisés à l’épicerie?
À Montréal, la ville la plus touchée au pays et l’une des pires au monde quant au taux de mortalité quotidien, la Direction de santé publique a la capacité de mener 500 enquêtes par jour. Jusqu’à présent, le nombre de cas quotidiens a dépassé ce chiffre à 9 reprises, et ce chiffre devrait augmenter si le dépistage augmente. Il est crucial de former et d’embaucher davantage de personnel. Mais peut-on attendre cela de Legault et son gouvernement proche de ses cennes qui a notamment imposé un gel d’embauche dans la fonction publique au début de la pandémie?
L’exemple de la Corée du Sud, où les tests ont été nombreux et la recherche des contacts beaucoup plus rigoureuse, est instructif. Après la réouverture de l’économie, un jeune homme a été testé positif après avoir visité plusieurs boîtes de nuit à Séoul le 1er mai. En quelques jours, les autorités ont pu retracer plus de 10 905 personnes présentes dans le secteur cette nuit-là, en tester 7 272 et détecter 100 nouveaux cas du virus. Cela montre ce qui pourrait être fait. Mais cela ne serait pas possible au Canada avec le niveau actuel de dépistage et de traçage.
Sous-financement
Le Globe and Mail commentait récemment : « Personne n’a expliqué les raisons pour lesquelles nous continuons à traîner de la patte. Au départ, on a blâmé le manque de réactifs médicaux, d’écouvillons et d’autres fournitures. Ensuite, c’était une pénurie de personnel de laboratoire. Plus récemment, ce fut le manque de personnel de recherche des contacts et, en particulier en Ontario, les querelles de priorités entre les responsables provinciaux et régionaux de la santé publique ». Quelle que soit l’excuse, il est clair que le dépistage et la recherche des contacts n’ont pas été une priorité. Alors que les gouvernements ne cessent d’annoncer leur désir d’intensifier les deux, les bottines ne suivent pas les babines.
La vraie raison, c’est que le gouvernement Trudeau a priorisé renflouer les grandes entreprises au lieu d’investir massivement dans les soins de santé, la production de matériel de dépistage et l’embauche de « traceurs de contacts ». C’est la même chose dans les provinces. Au Québec, Legault n’a pratiquement pas investi de fonds nouveaux pour quoi que ce soit jusqu’à présent.
Le « sous-financement chronique » des directions de santé publique a été cité par un professeur de santé publique de l’Université de Toronto comme faisant partie du problème. Un autre expert de l’Université de Colombie-Britannique a récemment déclaré : « la COVID-19 est le plus gros problème que ce pays ait connu depuis 1918 [année de la grippe espagnole]. Et pour d’étranges raisons, l’Agence de la santé publique, qui est notre principale défense, ne semble pas bénéficier d’un gros plan de sauvetage financier ».
Alors que Trudeau s’empressait de donner 10 milliards de dollars aux grandes entreprises en mars, le gouvernement a seulement investi 1,1 milliard de dollars dans la recherche et le dépistage, plus d’un mois plus tard. Soucieux d’aider les grandes entreprises, le gouvernement n’a que des miettes à offrir pour la santé publique.
Toutes les ressources doivent être disponibles
L’économie ne peut et ne doit pas rester sur pause éternellement. Mais les capitalistes et leurs gouvernements coupent les coins ronds et précipitent une réouverture dangereuse, qui menace des centaines de milliers de travailleurs de tomber malades et de mourir.
La déclaration commune des premiers ministres du 28 avril dernier le montre. Dans cette déclaration, ils proposent un ensemble de principes communs pour relancer l’économie. Elle avance notamment comme condition à la relance économique que les établissements de santé « disposent d’une capacité suffisante pour dépister le virus, le retracer, l’isoler et contenir sa propagation. »
Mais cette « capacité suffisante » est délibérément imprécise. Ainsi, les provinces peuvent choisir le moment où elles souhaitent rouvrir, indépendamment du manque de préparation, de dépistage et de ressources pour la recherche des contacts. C’est ce qui se passe actuellement, et les résultats pourraient s’avérer désastreux. Nous avons vu récemment en Allemagne que les cas d’infection par COVID-19 ont triplé du jour au lendemain avec la réouverture. Comment pouvons-nous espérer que les choses se passent mieux ici?
Les travailleurs ne veulent pas être de la chair à canon et être mis en danger. Un récent sondage Ipsos a révélé que 72% des Canadiens sont d’accord pour dire que le Canada doit avoir les capacités de procéder à un vaste dépistage avant de rouvrir. Mais il est clair que ce critère n’est pas encore rempli.
Au lieu des paroles vides de nos politiciens, il faut des actions concrètes. Il y a actuellement une armée de chômeurs qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie. Ces personnes pourraient être immédiatement formées pour devenir des traceurs de contact, payés à des salaires comparables aux travailleurs du secteur public. Il faudrait investir massivement dans les soins de santé et les travailleurs devraient prendre le contrôle des usines afin de produire massivement des tests et des équipements de protection individuelle. Nous devrions également prendre le contrôle des laboratoires universitaires et privés. Nous avons besoin de toutes les ressources disponibles pour augmenter le dépistage et la recherche des contacts.
L’étude de Harvard mentionnée précédemment indique que l’augmentation des tests et de la recherche des contacts aux États-Unis coûterait de 50 à 300 milliards de dollars sur deux ans. Ce chiffre serait proportionnellement plus faible pour la population canadienne. Mais avec près de mille milliards de dollars en « argent mort » qui se trouvent actuellement dans les comptes de banque des capitalistes, il y a plus qu’assez d’argent pour une augmentation massive du dépistage et de la recherche des contacts.
L’expropriation de la richesse de ces capitalistes, et l’établissement d’un contrôle des travailleurs sur la production d’équipements médicaux et de tests, sont la seule façon de rouvrir l’économie en toute sécurité.