Article publié le 5 mai dernier sur le site In Defense of Marxism.
Le mardi 28 avril – dans ce que les manifestants appellent « la nuit des molotovs » – les travailleurs ont afflué dans les rues du Liban pour protester contre le gouvernement. Les masses sont une fois de plus dans les rues pour réclamer une solution à la situation économique désastreuse à laquelle le pays est confronté.
Cette nouvelle vague de manifestations survient six mois seulement après le dernier mouvement de masse qui a secoué le pays. Auparavant, près de deux millions de manifestants – dans un pays de six millions d’habitants – sont descendus dans la rue pour exiger la chute du gouvernement. Ce mouvement a entraîné la chute du précédent gouvernement de coalition de Harriri, qui a été remplacé par un gouvernement de « technocrates ». Comme tous les gouvernements technocratiques, celui-ci faisait partie intégrante de la classe dirigeante, tout comme le gouvernement précédent. Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, un tel gouvernement n’a trouvé aucune solution pour les travailleurs du Liban.
Il n’est donc pas surprenant de voir le changement d’humeur brutal dans les rues de Beyrouth. Alors qu’auparavant, la révolution était marquée par un esprit d’optimisme, les masses ayant commencé à trouver leur courage révolutionnaire, les récentes manifestations sont marquées par le désespoir et la rage. Les travailleurs libanais sont confrontés à des conditions horribles, avec une monnaie qui s’effondre, des prix qui flambent et un chômage en hausse. De plus en plus, les travailleurs sont incapables de se nourrir. Le peuple en a assez et est enthousiaste de trouver une solution à la crise actuelle. Ces manifestations ont également lieu dans le contexte de l’épidémie de COVID-19 au Liban, qui ne donne que deux options aux travailleurs : mourir de faim à la maison ou risquer d’attraper le virus. Les masses ont choisi une troisième option : se battre.
Le Liban face à l’effondrement économique
Ce qui a poussé les manifestants à descendre dans les rues auparavant, c’était la détérioration des conditions économiques et du niveau de vie des masses, résultat de décennies de gouvernements corrompus par la cabale des seigneurs de guerre qui se sont partagé le pays après la guerre civile. Sous la surveillance de ces millionnaires et milliardaires au gouvernement, la dette du Liban a continué à augmenter. Comme un joueur compulsif, la classe dirigeante du Liban a continué à accumuler la dette publique à vitesse grand V. La plupart de cet argent, destiné à la construction de l’économie libanaise, a plutôt trouvé sa place dans les poches de l’élite. Il n’est pas surprenant que le gouvernement ait manqué à ses obligations en mars.
Ces politiques, poussées par une classe de milliardaires avides et les politiciens qui les représentent, ont abouti à la situation que nous connaissons aujourd’hui. Il y a eu un effondrement virtuel de la livre libanaise, qui a perdu une grande partie de sa valeur. Alors que le taux de change officiel du gouvernement est d’un dollar américain pour 1 500 livres libanaises, le taux de change réel du « marché noir » s’élève à 4 300 livres par dollar. Il en résulte une inflation galopante et une augmentation massive du prix des produits de base. Le prix du sucre a augmenté de 70 %, le prix des légumes a doublé et la plupart des économistes estiment que le pays pourrait être confronté à un taux de chômage de 50 %. En réaction, les banques ont limité le montant des retraits d’espèces. Cela a conduit à des files d’attente quotidiennes dans les banques, la plupart des gens se voyant refuser le service.
La COVID-19 n’a fait qu’aggraver la situation à laquelle le pays est confronté. Avec le virus qui se répand dans le monde entier, un confinement a été instauré dans tout le pays. Il s’agit d’un confinement de misère, le gouvernement n’apportant aucun soutien à la population. L’armée patrouille les rues, s’assurant que tout le monde respecte les mesures de quarantaine. Les masses meurent lentement de faim dans leurs maisons, tandis que les querelles affectent gouvernement libanais nouvellement constitué. Le premier ministre blâme le gouverneur de la Banque centrale, tandis que les banques blâment le gouvernement. Le 14 avril, le ministre des Affaires sociales Ramzi Moucharafieh a admis que 75% des Libanais auraient besoin d’une aide financière pour survivre. Cette situation a conduit à des scénarios déchirants, comme lorsqu’un ouvrier du bâtiment sans emploi a essayé de vendre son rein pour payer son loyer.
Le gouvernement montre à tous exactement où se situent ses priorités, se chamaillant et prenant pour lui sa part de l’économie libanaise, alors même que le château de cartes tout entier s’écroule. Dans cette situation, il n’est pas étonnant que les masses aient recours aux cocktails molotovs lancés sur les vitrines des banques. Dans tout le pays, à Tripoli, Beyrouth, Nabatieh, les masses montrent leur pouvoir et descendent dans les rues une fois de plus pour poursuivre le processus de lutte des classes qui a commencé en octobre 2019. Mais contrairement à ce qui s’est passé auparavant, le gouvernement a rapidement fait usage de la force. Les manifestants ont affronté l’armée à de multiples reprises, comme à Tripoli, où un jeune manifestant de 26 ans, Fawwaz Fouad Al-Seman a été tué par les forces de sécurité. Ces affrontements prennent de l’ampleur et se multiplient, ce qui montre que les manifestants ont perdu patience face à la situation et au gouvernement.
Le nouveau gouvernement de Diab n’a pas de solutions
Le nouveau gouvernement libanais, dirigé par Hassan Diab, a complètement échoué à résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté. Cela ne devrait choquer personne, car ce n’était pas son intention. Le gouvernement est soutenu et approuvé par le Hezbollah, le Mouvement Amal et le Courant patriotique libre. Ces mêmes partis et politiciens étaient impliqués dans le dernier gouvernement, qui a dirigé le pays pendant plus de deux ans. Ce n’est pas un gouvernement de changement, mais un gouvernement du statu quo qui a conduit le Liban dans l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui.
Le budget 2020 adopté en janvier en est la preuve. Bien qu’il ait été élaboré et rédigé par le gouvernement Hariri, le même gouvernement qui a été forcé de démissionner à la suite du mouvement spectaculaire que nous avons vu en octobre, aucun changement n’a été apporté au budget. Le gouvernement Diab reconnaît ainsi qu’aucun changement ne sera apporté à la situation. Au lieu de cela, le gouvernement se tourne vers le FMI et d’autres programmes de prêts internationaux. Mais l’augmentation de la dette ne résoudra rien.
Les manifestants le reconnaissent et ont commencé à manifester contre l’accord avec le FMI, qu’ils considèrent comme une impasse. « Aller au FMI n’est pas la solution », a déclaré Al-Mughrabi, un manifestant de Sidon. « Nous n’avons pas besoin de plus de dettes que celles que nous avons déjà. » Les manifestants mettent plutôt l’accent sur des changements radicaux. Ils estiment, à juste titre, que le statu quo ne peut être renversé par de simples réformes du système. Quoi qu’il en soit le FMI a déjà déclaré que tout accord conclu avec le gouvernement nécessitera des « réformes structurelles », c’est-à-dire de l’austérité et des attaques contre le niveau de vie. Sous le capitalisme, ce sont toujours les pauvres qui paient lorsque les riches plongent la société dans la crise, et le Liban en est un excellent exemple.
Que faire?
Comme nous l’avons déjà dit, les problèmes du Liban ne proviennent pas de politiciens individuels. En fait, c’est le mouvement d’octobre qui a exigé un gouvernement de technocrates. On s’imaginait ces technocrates comme des juges impartiaux qui seraient justes et qui respecteraient au moins la loi. C’est là un rêve utopique, car il n’y a pas de technocrates justes et impartiaux. Beaucoup de personnes dans le nouveau gouvernement Diab sont de nouveaux visages et des technocrates venus des coulisses de l’État, dont le rôle principal est de protéger la propriété privée de la classe dirigeante. Nous le voyons dans le fait qu’en y regardant de plus près, ces gens ont des liens avec les mêmes criminels que le mouvement avait lutté pour faire tomber. C’est le cas de tous les hauts fonctionnaires de l’État, qui sont les représentants non élus de la classe dirigeante, et qui veillent à ce que l’État soit géré dans son intérêt. Les masses ne peuvent faire confiance qu’à leurs propres forces.
La crise au Liban n’est pas due à la question de savoir quel bureaucrate dirige le système, mais au système lui-même. Sous le capitalisme, la recherche des profits pour la classe dirigeante, représentée par des serviteurs loyaux comme Hassan Diab, passe devant les besoins de la société. La corruption fait partie du tissu même du capitalisme libanais. Il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture, pas de plan sanitaire et pas d’aide pour les travailleurs; non pas à cause d’une erreur dans le système, mais à cause du système. Dans la crise actuelle, la classe dirigeante et ses laquais dans l’État n’essaient pas de garantir aux gens des moyens de subsistance, mais de protéger leurs propres intérêts. Cela signifie inévitablement que les travailleurs payent pour la crise. Le mouvement ne peut se permettre de faire confiance à quiconque au sein de la classe dirigeante. La gestion du pays ne peut pas être laissée aux technocrates ou aux riches politiciens. Ce sont les masses travailleuses du Liban qui doivent diriger le pays.
Jusqu’à présent, ce sont les couches les plus pauvres de la société libanaise et les jeunes qui sont à l’avant-garde du mouvement. La classe ouvrière du Liban doit être entraînée dans la lutte. Des comités révolutionnaires doivent être mis en place dans tous les lieux de travail, les quartiers et les écoles afin d’amener une couche aussi large que possible. Ils doivent être liés au niveau local et national pour organiser la lutte. Au fur et à mesure que la lutte s’intensifie, ces organes démocratiques pourraient jeter les bases de la gestion éventuelle de la société sous le contrôle des masses travailleuses.
On ne peut plus faire confiance aux demi-mesures des politiciens au pouvoir. Ils doivent tous être renversés. Les masses ne peuvent faire confiance qu’à leurs propres forces. Mais une fois ces forces libérées, aucune répression ne pourra résister à la Révolution libanaise.