Dans la deuxième partie de notre série, Tom Trottier analyse l’histoire du mouvement LGBTQ et des lois anti-sodomie aux États-Unis ainsi que des gains réalisés par la communauté LGBTQ durant la Révolution bolchevique et de leur retrait ultérieur lors de la contre-révolution stalinienne.
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L’ancienne Amérique
La répression de l’homosexualité commença dans les Amériques dès l’arrivée des Européens. Comme expliqué précédemment, les peuples autochtones ont subi le courroux des Européens dès le début. De nombreuses colonies américaines adoptèrent des lois contre la « sodomie ». Il est estimé qu’au moins sept hommes ont été condamnés à mort spécifiquement pour sodomie entre 1607 et 1740. Beaucoup d’autres ont reçu des peines de prison ou d’autres punitions et quelques-uns ont été exécutés ou torturés par des bandes de lyncheurs.
Même lors de la guerre d’indépendance américaine, des soldats de l’armée révolutionnaire ont été condamnés pour des accusations de sodomie. La répression contre les gais dans l’armée remonte littéralement à George Washington. Même après la Révolution américaine, il y avait des lois anti-sodomie dans les différents états et celles-ci ne furent supprimées à l’échelle nationale qu’en 2003! La persécution constante contre les gais et les lesbiennes les décourageait de chercher la visibilité. Étant donnée leur oppression, les gais et lesbiennes ont dû vivre dans la clandestinité.
Il est intéressant de remarquer que beaucoup de staliniens et de maoïstes affirment que l’homosexualité est un sous-produit du déclin du capitalisme et de la dégénérescence de sa société. Pourquoi le capitalisme américain a eu besoin dès ses débuts de réprimer un phénomène qu’ils affirment être un produit de son déclin, ils ne semblent pas pouvoir l’expliquer.
La Révolution bolchevique
Tandis que les personnes LGBTQ faisaient face à la répression étatique aux États-Unis, en Russie la victoire de la révolution prolétarienne avait signifié une nouvelle liberté. Les femmes russes obtinrent l’égalité juridique et le droit de vote bien avant celles des États-Unis! Les bolcheviques mirent fin à la criminalisation et aux arrestations de prostituées, et arrêtaient seulement les clients. Ils essayèrent également d’aider les prostituées à trouver d’autres formes d’emplois en leur fournissant des formations et des logements. Il y eut aussi des tentatives pour fournir des soins universels aux enfants ainsi que des restaurants communaux et des blanchisseries.
En outre, les bolcheviques supprimèrent les lois contre l’homosexualité. Le gouvernement soviétique envoya des délégués à la Ligue mondiale pour la Réforme sexuelle, mise sur pied par le réformateur allemand Magnus Hirschfeld, que l’on décrirait aujourd’hui comme un militant pour les droits des gais.
« Dans les mots du Dr Baktis dans son livre La Révolution sexuelle en Russie : “Comme pour l’homosexualité, la sodomie et n’importe quelles autres formes de sexualité qui sont considérées comme des violations morales par les codes juridiques européens, la loi soviétique les traite simplement comme ce qu’on appelle communément des rapports sexuels naturels. Toutes les formes de rapport sexuel sont des affaires d’ordre privé.” » (Barry D. Adam, The Rise of a Gay and Lesbian Movement; n.d.t. : notre traduction)
Le stalinisme
Les avancées en Union soviétique ne firent pas long feu. Le socialisme a besoin de se fonder sur les meilleures technologies et le haut niveau de productivité développées par le capitalisme pour réussir. L’une des raisons de la supériorité du socialisme est qu’il mettra à profit la division du travail à l’échelle internationale pour les bienfaits de l’humanité en entier. Sous le capitalisme, au contraire, la division du travail et la compétition ne font qu’aggraver la crise du système.
Les bolcheviques voyaient la Révolution russe comme le premier pas sur le chemin de la révolution mondiale, cette révolution devant se propager en Finlande, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et ainsi de suite. La révolution s’est bien répandue. Cependant, l’absence d’une direction marxiste révolutionnaire expérimentée dans ces pays, qui aurait pu aider à orienter la classe ouvrière vers la prise du pouvoir politique et économique, a finalement permis à la contre-révolution de l’emporter.
Les capitalistes n’étaient pas assez forts pour renverser directement la révolution, mais cette dernière s’est retrouvée isolée dans un pays arriéré et cela a signifié qu’un développement propre à cette situation s’est produit. Une caste bureaucratique s’est élevée en Union soviétique, conduite par Staline, et s’est emparée du pouvoir politique tout en conservant l’économie planifiée par l’État. Progressivement, cette bureaucratie a éliminé tous les vestiges de la démocratie soviétique et a physiquement exterminé les marxistes qui ont mené la Révolution russe.
Il va sans dire que le régime stalinien a déformé le marxisme et le socialisme. Les politiques changèrent de trajectoire à 180 degrés et furent « justifiées » par des mots creux. Parmi ces changements, l’homosexualité fut recriminalisée en 1934, et des arrestations massives de gais à eurent lieu à Moscou, Leningrad, Kharkov et Odessa.
La mainmise du stalinisme dans le mouvement communiste à travers le monde signifiait que la communauté LGBTQ ne trouverait pas là un allié pour l’aider à se libérer de l’oppression.
Le capitalisme: diviser pour mieux régner
Le capitalisme américain moderne a aussi été assez impitoyable dans son oppression des gais, des lesbiennes et des personnes transgenres. En plus des lois anti-sodomie et de la persécution policière, l’homosexualité a fait l’objet d’une désapprobation sociale extrême. Il était nécessaire, pour vivre son homosexualité, de le faire dans la clandestinité.
Cela s’est reflété dans la culture capitaliste américaine. Par exemple, les films produits entre les années 1930 et les années 1970 ont eu tendance à ignorer l’homosexualité, mais s’il y avait un personnage homosexuel, il était dépeint comme un méchant ou un bouffon, et se suicidait souvent avant la fin du film.
Les marxistes comprennent que l’idéologie capitaliste exerce aussi son influence sur la science et la médecine afin de perpétuer, de justifier et de renforcer sa propre vision du monde. Ça a été le cas avec la psychiatrie conventionnelle aux États-Unis, qui considérait l’homosexualité comme un trouble dans son manuel de diagnostic jusqu’en 1974! Cela a été utilisé pour justifier la torture, telle que des traitements de choc, des lobotomies et d’autres méthodes semblables, jusqu’à ce que le patient soit redevenu « normal ».
De façon intéressante, une mère américaine écrivit à Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, à propos de son fils homosexuel en 1935. Freud lui écrivit en retour le 9 avril de cette année. Voici une partie de ce que Freud répondit :
« L’homosexualité n’est évidemment pas un avantage, mais il n’y a là rien dont on doive avoir honte, ce n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un certain arrêt du développement sexuel. Plusieurs individus, hautement respectables, des temps anciens et modernes ont été homosexuels et, parmi eux, on trouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.). C’est une grande injustice de persécuter l’homosexualité comme un crime – et c’est aussi une cruauté. » (Jonathan Ned Katz, Gay/Lesbian Almanac : A New Documentary)
Le but de cette citation est de rendre compte de la différence entre l’approche de Freud et l’approche de la communauté médicale américaine à cette époque. Les marxistes ne sont pas d’accord avec l’affirmation que l’homosexualité est « un arrêt dans le développement sexuel ». Cependant, la citation ci-dessus montre qu’à l’époque Freud était en avance sur ses confrères américains. Manifestement, jusqu’en 1974, l’Association américaine de psychiatrie préférait consulter les institutions religieuses plutôt que leur « père fondateur », Freud lui-même.