Dans cette dernière partie de notre triptyque sur l’histoire de la lutte des personnes LGBTQ pour l’égalité, Tom Trottier se penche sur l’histoire moderne du mouvement et sur les perspectives pour l’avenir de la lutte.
Les années 1950
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, plus de 12 millions d’hommes et de femmes furent enrôlés dans les forces armées américaines. Ironiquement, cette guerre allait entamer le processus par lequel le mouvement LGBTQ allait naître aux États-Unis.
Bien que l’armée américaine excluait les gais et lesbiennes de l’armée pour cause d’indignité, avec la guerre qui faisait rage, cela ne constituait pas une priorité. Une fois la guerre terminée, la chasse aux sorcières commença. De manière intéressante, les deux principaux lieux où les soldats homosexuels démobilisés étaient envoyés étaient New York et San Francisco. À cette époque, une exclusion pour cause d’indignité pour homosexualité était si préjudiciable que beaucoup ne retournèrent pas à la maison, mais continuèrent plutôt de vivre dans les grandes villes, New York et San Francisco en particulier. Cela entraîna la croissance d’une culture gaie clandestine.
De manière dialectique, le conformisme de la culture américaine capitaliste entraîna son opposé dans la communauté LGBTQ clandestine. Les années 1950 furent l’apogée du boom économique et du pouvoir de l’impérialisme américain. La classe dirigeante entama la peur rouge, essentiellement afin de détruire la gauche au sein du mouvement syndical. Il faut se rappeler que le Parti communiste américain (CPUSA) avait pris la tête de 11 syndicats du Congress of Industrial Organizations à l’époque. Les chasses aux sorcières maccarthystes dirigèrent leur fureur contre les communistes, les sympathisants de la gauche et les « pervers », c’est-à-dire les homosexuels.
Il est difficile pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque de se l’imaginer. Dans le New York des années 1950, une femme pouvait être arrêtée si elle était habillée de façon à avoir l’air d’un homme! Néanmoins, un membre du Parti communiste, Harry Hay, mit sur pied une organisation appelée Mattachine. Cette organisation pour les droits des homosexuels exista pendant les années 1950 et 1960, tout comme Daughters of Bilitis, une organisation lesbienne. Il convient de noter que bien que Hay fut un membre loyal du CPUSA pendant des années, son travail pour les droits des homosexuels n’avait pas l’approbation du parti, qui était dominé par l’idéologie stalinienne.
Les années 1960
Le mouvement des droits civiques et la révolte des Noirs relancèrent le mouvement des femmes et un mouvement de masse contre la guerre du Vietnam. De manière dialectique, la répression et l’hypocrisie des années 1950 donnèrent lieu à la révolution sexuelle des années 1960. Les gains de ces mouvements menèrent à la rébellion de Stonewall, où gais et lesbiennes combattirent physiquement la répression policière dirigée spécifiquement contre les espaces sociaux de la communauté. Le Gay Liberation Front fut mis sur pied, avec comme slogan « Hors du placard, dans les rues! »
Tous ces mouvements – Noirs, femmes, LGBTQ – incluaient des membres de toutes les classes de la société et visaient l’atteinte de droits démocratiques de base. La classe dirigeante américaine utilisa les dirigeants issus de la classe moyenne de ces mouvements pour les garder dans les limites « sécuritaires » du capitalisme. Elle s’est servie de la présence de Noirs, de femmes et d’homosexuels à des postes élus afin de donner à tous l’impression d’avoir « voix au chapitre ». Les premières marches de la Fierté gaie étaient politiques de par leur nature, tandis qu’aujourd’hui, elles ont davantage l’air d’une énorme fête, et sont de plus en plus récupérées à travers la publicité, notamment par l’industrie des boissons alcoolisées.
Bien sûr, ces mouvements ont forcé le système capitaliste à adopter certaines réformes. Les bars gais ne subissent plus les raids de la police. Les lois anti-sodomie ont été abandonnées. Au moment d’écrire ces lignes, six États et le District de Columbia autorisent le mariage homosexuel.
Cependant, les gains sont toujours bien en deçà de l’égalité réelle. Les lois fédérales (et aussi dans certains États) permettent toujours la discrimination à l’emploi basée sur l’orientation sexuelle et l’identité et l’expression de genre. L’égalité en matière de mariage sans reconnaissance fédérale signifie que les membres de la communauté LGBTQ ne peuvent pas faire une demande de citoyenneté pour leur partenaire comme un couple hétérosexuel peut le faire.
Nous devons également comprendre que tant que le capitalisme, tant à l’échelle mondiale qu’ici aux États-Unis, continuera d’être en crise, la classe dirigeante et ses éléments les plus réactionnaires chercheront de plus en plus de boucs émissaires, et la communauté LGBTQ continuera d’en être un.
Le Parti démocrate
Le démocrate Bill Clinton a été élu président en 1992 en promettant de mettre fin à la discrimination des gais et lesbiennes au sein de l’armée américaine lors de ses 100 premiers jours en poste. Les dirigeants des classes moyennes du mouvement LGBTQ l’ont appuyé, soutenant qu’il allait lutter pour l’égalité pour les gais et lesbiennes. Ces mêmes dirigeants affirment encore aujourd’hui que la communauté LGBTQ doit soutenir les démocrates parce que c’est le parti qui va réaliser l’égalité réelle. Quel a été le résultat de cette politique?
En plus de ses politiques anti-ouvrières de « réforme » de l’assistance sociale, d’augmentation des pouvoirs de la police pour « lutter contre le crime » et la signature de l’ALÉNA, Bill Clinton mit en place le « Don’t Ask, Don’t Tell » (« Ne demandez pas, n’en parlez pas ») qui ne fait que laisser la discrimination des gais et lesbiennes dans l’armée se poursuivre. Il faut également se rappeler que c’est Bill Clinton qui a signé loi de Défense du mariage (Defense of Marriage Act). C’était la première fois dans l’histoire qu’une politique pour prévenir l’égalité en matière de mariage était mise en place à l’échelle nationale. Avec des amis comme les démocrates, pas besoin d’ennemis!
Comme Bill Clinton avant lui, Barack Obama se présente comme un ami de la communauté LGBT. Il a promis d’éliminer la politique « Don’t Ask, Don’t Tell » au sein de l’armée, mais cela lui a pris deux ans à le faire. Entre-temps, la politique a continué d’être appliquée. À l’égard de la Proposition 8 en Californie, Obama et le Parti démocrate national maintiennent une politique consistant à refuser de soutenir l’égalité en matière de mariage.
De manière intéressante, alors que la crise du capitalisme va en s’approfondissant et que les démocrates s’attaquent aux travailleurs et coupent dans les programmes sociaux et l’éducation, ils commencent à craindre de perdre la prochaine élection. Récemment, les démocrates ont tenté d’adopter davantage de réformes pour la communauté LGBTQ afin de se faire passer pour des réformateurs progressistes. Par exemple, le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, a réussi à promulguer l’égalité en matière de mariage. Le gouverneur de la Californie, Jerry Brown, a fait passer une loi afin qu’on enseigne l’histoire LGBTQ dans les écoles publiques. Ironiquement, Brown et les démocrates coupent dans l’éducation et congédient des professeurs. Qui va enseigner ce nouveau curriculum?
Ultimement, les démocrates représentent la même classe que les républicains. Ils s’appuient sur le maintien du capitalisme. Cela les force à attaquer la classe ouvrière et à jouer la carte du « diviser pour mieux régner ». Ce ne sont pas de vrais amis. La communauté LGBTQ doit compter sur ses propres forces, en alliance avec la classe ouvrière élargie.
Le mouvement LGBTQ et le mouvement ouvrier
Au cours des dernières années, le mouvement ouvrier a adopté des politiques d’appui au mouvement LGBTQ et à la lutte pour l’égalité. Des syndicats de la fonction publique comme l’AFSCME et les enseignants ont été à l’avant-garde de ce changement. Les syndicats ont besoin d’un maximum d’unité afin de vaincre les patrons, et le mouvement LGBTQ a besoin de l’appui du mouvement ouvrier organisé, qui représente le pouvoir de la classe ouvrière.
Un exemple historique intéressant de coopération de ces deux mouvements fut le boycottage de Coors à San Francisco. Au début des années 1970, le syndicat Teamsters organisa un boycottage de la bière Coors, qui s’était toujours vicieusement battue contre les syndicats. Aussi, la famille Coors donnait (et donne toujours) beaucoup d’argent à des groupes et des politiciens de droite.
Le militant gai Harvey Milk se joint à la campagne des Teamsters. Il parvint à organiser un mouvement de pression de la communauté sur les bars et les clubs gais pour les forcer à cesser de vendre de la bière Coors. Le boycottage réussit et les deux mouvements furent renforcés. À travers cet effort commun, les Teamsters de San Francisco devinrent plus sympathiques aux objectifs politiques de la communauté LGBT. C’est là une leçon dont il faut tenir compte pour aujourd’hui.
La nécessité du socialisme
En février 2011, la National Gay and Lesbian Task Force a publié une étude sur la discrimination contre les personnes transgenres et non binaires. Les résultats ont confirmé ce que plusieurs savaient déjà. Les personnes trans et non binaires ont quatre fois plus de chances de se retrouver dans la pauvreté extrême, la moitié affirmant avoir été harcelées ou maltraitées au travail; une sur quatre rapportait avoir été licenciée par un employeur en raison de sa sexualité; 19 % se sont déjà fait refuser un appartement et 11 % ont été évincées; 19 % se sont fait refuser des services de santé; et 22 % ont été harcelées par la police.
Cette discrimination s’ajoute à une société où le nombre de sans-abri augmente sans cesse et où des millions de gens sont au chômage sans espoir de trouver du travail. Et la discrimination dans l’accès aux services de santé doit être comprise dans le contexte d’une société où de nombreuses personnes soit n’ont pas de couverture médicale, ou en ont une qui est inadéquate et dispendieuse.
Nous nous souvenons tous du meurtre brutal de Mathew Shepard. Il s’agit d’un exemple de comment le capitalisme tente de rediriger la haine envers les riches et leur horrible système vers un jeune homme qui ne demandait qu’à vivre. À moins que nous transformions la société, le capitalisme va créer les conditions dans lesquelles d’autres meurtres du genre vont se reproduire.
Afin de garantir une société égalitaire et libérée des préjugés, nous devons passer du capitalisme au socialisme. Le socialisme éliminerait le besoin de diviser les gens et permettrait à tous et à toutes de développer leur potentiel. Le socialisme serait une société où les emplois, la nourriture, les vêtements, les logements, les services de santé, le transport, les pensions et autres seraient disponibles pour tous. Pourquoi faudrait-il que l’accès à ces biens et services dépende du mariage ou de notre capacité à trouver un bon emploi, alors même que les emplois manquent?
Afin de transformer la société, nous avons besoin du maximum d’unité de la classe ouvrière. Les travailleurs, les travailleuses et la jeunesse LGBTQ doivent jouer un rôle dans ce processus, en s’unissant au reste de la classe ouvrière.
Le socialisme et les relations humaines
Nous ne pouvons pas savoir avec exactitude comment les relations humaines, et les relations amoureuses en particulier, vont se développer sous le socialisme. Toutefois, nous pouvons être certains que les gens seront libres d’explorer leur sexualité, libérés de la coercition étatique ou religieuse, et que le sexe ne sera pas qu’une simple marchandise, comme c’est parfois le cas sous le capitalisme. Sous le capitalisme, la nécessité économique et les « normes » sociales exercent une pression colossale sur les relations sociales des individus. Le fait de se débarrasser des contraintes de la société de classe va permettre aux gens de choisir librement leurs interactions mutuelles et consensuelles.
Ou, comme l’explique Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État :
« Pour que l’entière liberté de contracter mariage se réalise pleinement et d’une manière générale, il faut donc que la suppression de la production capitaliste et des conditions de propriété qu’elle a établies ait écarté toutes les considérations économiques accessoires qui maintenant encore exercent une si puissante influence sur le choix des époux. Alors, il ne restera plus d’autre motif que l’inclination réciproque. »
Un autre élément qui complique les relations humaines est le fait que, sous le capitalisme, la société soit divisée en classes. Cela crée des divisions artificielles et ajoute des dynamiques de pouvoir que le socialisme peut éliminer. Les individus ne seront que des individus, et n’auront pas de « statut » particulier. Il n’y aura qu’un seul « statut » partagé par tous, celui d’être humain. Une fois que les besoins humains seront satisfaits par une économie planifiée démocratiquement et rationnellement et que les « statuts » disparaîtront, les humains seront en mesure d’interagir en tant qu’individus libres et égaux. Élever les enfants sera la responsabilité de la société dans son ensemble, et pas seulement celle des parents (et de la mère en particulier). La société évoluera peut-être vers une situation où il ne sera plus nécessaire de faire reconnaître les relations par la société ou la loi, comme c’est le cas pour le mariage et l’adoption.
La Riposte socialiste s’oppose de manière inconditionnelle à toutes les formes de discrimination. Dans la lutte d’aujourd’hui contre la discrimination, la création de citoyens de seconde zone et le gay bashing, les travailleurs, travailleuses et la jeunesse LGBTQ se doivent de rejoindre la lutte pour la transformation socialiste de la société. Afin que cette lutte soit victorieuse, nous devons construire un leadership marxiste qui a appris les leçons du passé afin de transformer l’avenir. La Riposte socialiste souhaite construire ce leadership avec lequel la classe ouvrière peut faire avancer la société vers un avenir différent. Nous vous invitons à nous rejoindre dans la lutte pour un monde meilleur, la lutte pour le socialisme.