À l’annonce des résultats tant attendus du vote de ratification de la convention collective proposée par le Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCEO, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique, SCFP), le vote en faveur du « Oui » a suscité une vague de colère. Parmi les messages, des travailleurs se sont dits « intimidés »; « c’est de la bull****! »; « vous nous avez élevés et vous nous avez laissés tomber »; « beaucoup de gens vont quitter leur poste parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de travailler »; « on est foutus pour 4 ans de plus!!! »; « nous étions si unis et maintenant divisés… cette convention n’aide absolument pas les élèves et n’atténue pas nos difficultés dans nos classes »; « tout ça pue au nez »; « c’est affreux! Ce n’est pas le résultat dont nous avions besoin ». Des commentaires de ce genre se comptent par centaines. Comment sommes-nous passés d’une victoire historique des travailleurs contre la loi de retour au travail et la clause nonobstant, à cette convention collective décevante?
Après une période de vote exceptionnellement longue de deux semaines, 73% des travailleurs ont voté en faveur de l’entente de principe prévoyant une augmentation salariale de 1$ l’heure. C’est très peu comparé aux 3,25$ que le syndicat demandait pour suivre l’inflation et surmonter l’érosion salariale des dernières années. Le taux de participation au vote de ratification a été de 76 %, ce qui est inférieur au 83 % enregistré lors du vote de grève massif. Il y a seulement trois semaines, Laura Walton, négociatrice du SCFP, qualifiait d’inacceptable toute augmentation inférieure à 3,25 $ et se disait prête à faire la grève pour suivre l’inflation. Walton faisait l’éloge de la force et de l’unité des travailleurs qui ont déclenché une grève illégale pour vaincre la loi de retour au travail et la clause nonobstant. Et maintenant, nous avons ce recul.
Cette convention collective inadéquate contraste fortement avec l’incroyable victoire contre le régime Ford d’il y a quelques semaines. Les 55 000 travailleurs des conseils scolaires de l’Ontario, organisés par le SCFP, ont marqué l’histoire en déclenchant deux jours de grève illégale et en menaçant de déclencher une grève générale. Cette incroyable démonstration du pouvoir et de la solidarité des travailleurs a contraint le gouvernement à un recul sans précédent, soit le retrait de la loi. Mais après cette démonstration de force, la direction du syndicat a effectué un virage à 180 degrés et poussé pour une démobilisation complète.
Le 16 novembre, le SCFP a émis un avis de grève de cinq jours au gouvernement. Après la défaite de la loi de retour au travail, le gouvernement a haussé son offre d’une augmentation d’environ 2,5% à une augmentation de 3,5% par année. Le préavis de grève montrait clairement que l’offre était insuffisante, mais elle a tout de même été soumise aux membres. Toutefois, avec du recul, nous pouvons constater que la direction syndicale préparait ce qui est maintenant connu sous le nom de « bluff du SCFP ».
Le SCFP est généralement considéré comme étant à la gauche du mouvement syndical canadien. Alors que d’autres syndicats appellent à la coopération entre les syndicats et le patronat, les représentants du SCFP font souvent un bon travail pour dénoncer les patrons. Parfois, ils vont même jusqu’à dénoncer le système capitaliste. Cependant, la rhétorique forte n’est pas souvent soutenue par des actions fortes. Après avoir attaqué politiquement le patronat, mobilisé ses membres, organisé un bon vote de grève, puis fixé la date de la grève, les sections locales du SCFP ont une forte tendance à signer une entente à minuit moins une. Parfois, ce bluff fonctionne et le patronat fait des concessions, parfois non et le patronat ne bouge pas d’un pouce. Mais ce qui est évident, c’est que les dirigeants syndicaux n’ont jamais l’intention de faire la grève, quelles que soient les conditions. Le patronat s’en rend compte, et le bluff du SCFP est maintenant totalement inefficace. C’est exactement ce qui s’est passé lors des négociations pour le personnel des écoles et cela explique pourquoi les dirigeants du SCFP ont défendu une mauvaise entente qu’ils avaient précédemment dénoncée et contre laquelle ils menaçaient de faire grève à peine cinq jours auparavant.
Pas besoin d’être très intelligent pour comprendre qu’une menace est inutile si vous n’êtes pas prêt à la mettre à exécution.
Après avoir annulé la grève, la présidente du CSCEO, Laura Walton, a diffusé une vidéo émotive en direct dans laquelle elle affirmait que l’entente n’était pas très bonne, mais qu’elle n’avait pas d’autre choix que de recommander de l’accepter. Les commentaires sur cette vidéo étaient stupéfiants : des centaines de centaines de personnes appelaient à voter « Non ». Une rumeur selon laquelle Walton voulait un « Non » a largement circulé. Cette vidéo était si dommageable pour la campagne en faveur du « Oui » à l’horrible entente que les sommets de la bureaucratie syndicale l’ont supprimée d’Internet. Il y avait également un épisode du balado du SCFP enregistré deux jours avant la mauvaise entente qui a été brièvement mis en ligne avant d’être supprimé. Cet épisode de balado ne disait rien sur la question de savoir si l’entente était bonne ou mauvaise, mais il contenait de nombreux éloges sur la force et le pouvoir des travailleurs du SCFP, et il était donc inadmissible de le laisser en ligne. La mission des bureaucrates était maintenant de convaincre les travailleurs qu’ils étaient faibles et impuissants, et qu’ils devaient voter « Oui » sans quoi ce serait un désastre.
Laura Walton était considérée comme peu fiable dans la promotion de cette entente salariale inférieure à l’inflation. La bureaucratie a donc fait appel à Mark Hancock et Candice Rennick, respectivement président et secrétaire-trésorière du SCFP national. Ils ont affirmé que cette entente qui appauvrit les travailleurs était une « percée en matière de gains salariaux », présentant une défaite comme une victoire.
Ensuite, lors des réunions syndicales en ligne sur Zoom, les dirigeants ont fait appel à des avocats pour faire peur aux travailleurs et les contraindre à voter « Oui ». Ils ont mobilisé une série d’arguments alarmistes et de mauvaise foi dans le but de freiner l’esprit combatif des travailleurs. Ils ont dit que le gouvernement avait donné tout ce qu’il pouvait, alors que c’est ce qui avait été dit lorsque le gouvernement offrait seulement 2,5%. Ils ont dit qu’une augmentation de 1$ était formidable et ont utilisé toutes sortes de calculs créatifs pour embellir le chiffre, même si tout le monde savait que toute augmentation inférieure à 3,25 $ est une baisse de salaire. Ils ont dit qu’en cas de grève, les travailleurs pourraient être forcés de retourner au travail par une loi spéciale, alors que ces mêmes travailleurs venaient tout juste de vaincre une telle loi! Ils ont même dit qu’en cas d’arbitrage, les travailleurs pourraient obtenir moins de 1$ d’augmentation, un pur délire politique paranoïaque! Ils ont même utilisé le spectre du temps des Fêtes comme raison de plus d’arrêter la lutte. Pendant que tout cela se produisait, on voyait Walton en larmes.
Mais les fantômes de Noël ne pouvaient pas être contestés dans leur campagne pour le « Oui ». Aucun travailleur n’était autorisé à parler à ses collègues syndiqués lors de ces réunions pour répondre à ces arguments démoralisants de démobilisation. Il n’y avait absolument aucune possibilité de débat démocratique où ceux qui croyaient que les travailleurs étaient assez forts pour faire la grève pouvaient avoir la parole et convaincre leurs collègues. Il s’agissait d’un barrage de propagande unilatéral de la direction contre sa base. Pris dans leur ensemble, tous les arguments de la bureaucratie n’étaient pas seulement en faveur du « Oui », mais étaient aussi des arguments contre le fait d’entrer en grève en général ou même de voter pour la grève tout court. En septembre et en octobre, de tels arguments n’étaient avancés que par la droite antisyndicale, mais maintenant, ils ont été mobilisés en force par toute la direction syndicale.
La longue période de deux semaines pour ratifier l’entente était une autre manœuvre pour supprimer le vote en faveur du « Non ». Cela a donné à la bureaucratie du temps supplémentaire pour mobiliser les travailleurs démoralisés qui s’abstiendraient probablement en temps normal, tout en reportant tout à plus tard dans l’année, quand il fait plus froid et que l’année scolaire est presque terminée. Avec toutes ces ruses, il est incroyable que 11 229 travailleurs aient courageusement voté « Non » et aient tenu bon face à une démobilisation acharnée.
Il est certain qu’avec une autre direction, le résultat aurait été très différent. Il ne s’agissait pas d’une situation où la direction se tenait à l’écart et sondait passivement l’opinion des travailleurs. Il s’agissait d’une guerre politique où un camp disposait de toutes les armes. De nombreux travailleurs qui ont voté « Oui » se sont surement dit qu’ils n’aimaient pas l’entente, mais qu’ils n’avaient pas le choix quand leurs propres dirigeants disent qu’il n’y a aucun espoir de gagner. C’est comme si une armée partait au combat avec des généraux qui se préparent déjà à capituler. Dans cette situation, un soldat de première ligne serait plus enclin à brandir le drapeau blanc plutôt que de se laisser mener à la défaite par des officiers qui ont clairement annoncé qu’ils allaient trahir la bataille.
La tragédie est que cette bataille aurait totalement pu être gagnée. Même les médias de droite affirmaient que le gouvernement était affaibli par le retrait de la loi de retour au travail. La lutte des travailleurs était incroyablement populaire, avec de nombreux sondages qui disaient que les travailleurs méritent plus. Ce qu’il fallait, c’était un désir et une volonté de passer à l’action et de faire la grève. Ce qu’il fallait, c’était un appel politique au grand public disant que tous les travailleurs méritent une augmentation salariale qui suit l’inflation. Qu’une victoire pour les travailleurs de l’éducation est une victoire pour tous les travailleurs contre ce gouvernement au service des seuls profiteurs capitalistes. Ceux qui disent que c’est impossible disent essentiellement que les travailleurs ne peuvent jamais se battre et gagner, car le rapport de force ne sera jamais aussi favorable qu’en ce moment. Nous devons nous battre pour une direction syndicale qui exige la fin des reculs pour les travailleurs, une direction prête à faire la grève pour y arriver.
Il existe au sein du SCFP un groupe de travailleurs de la base qui militait en faveur d’un « Non ». Malheureusement, ce réseau n’était pas encore assez fort ni suffisamment organisé pour gagner la bataille. Mais si les centaines de travailleurs qui ont argumenté en ligne pour le « Non » avaient pu être unis dans un groupe de la base, ils auraient pu convaincre plus que les 11 000 personnes qui étaient prêtes à défier la direction démobilisatrice. Telle est la prochaine étape du mouvement : réunir les éléments qui comprennent et croient sincèrement que lorsque les travailleurs sont unis, jamais ils ne seront vaincus.
L’entente de principe pour le personnel de l’éducation a malheureusement été acceptée, mais la lutte est loin d’être terminée. L’inflation ne partira pas et de plus en plus de syndicats sont en train de négocier des conventions collectives. Les écoles pourraient bientôt être confrontées à de nouvelles grèves lorsque les négociations avec les enseignants entreront dans une impasse. Les travailleurs ont appris que les lois spéciales de retour au travail peuvent être défaites par une action de masse, ce qui affaiblit le gouvernement. Les travailleurs sont également en train d’apprendre la nécessité d’une direction combative et démocratique pour tous les syndicats, contrôlée par la base qui peut s’exprimer lors de réunions de masse.
Aux travailleurs de l’éducation qui voulaient un « Non », nous disons : n’abandonnez pas la lutte! Il est possible de nous organiser dans le syndicat au sein du groupe de la base pour que cette démobilisation ne se reproduise pas. Et vous pouvez vous battre pour soutenir d’autres travailleurs qui viennent d’entrer dans la lutte. Si d’autres travailleurs gagnent, cela aide les travailleurs de l’éducation à gagner, et vice versa.
Au bout du compte, chaque lutte syndicale est une lutte contre la crise du système capitaliste. C’est le capitalisme qui provoque l’inflation, et c’est le capitalisme qui ne peut pas offrir de bons emplois et de bons salaires. Plus les travailleurs entrent en lutte, plus nous développons le pouvoir de changer la société. Nous devons utiliser ce pouvoir pour construire des organisations déterminées à éliminer le capitalisme, afin de construire une société socialiste avec de bons salaires et des emplois pour tous.
Rejoignez la lutte pour le socialisme! Contactez-nous en cliquant ici!