Les États-Unis ont bombardé le Yémen à plusieurs reprises ce mois-ci, en représailles aux attaques des Houthis sur des navires en mer Rouge. Le président américain Joe Biden a aussi promis une action militaire « prolongée » contre les Houthis pour permettre la « libre circulation des marchandises ». Les impérialistes britanniques se sont aussi mis de la partie. Et comme les journaux le rapportent constamment avec fierté, le Canada aussi est impliqué.
Mais le diable est dans les détails : comment le Canada a-t-il été impliqué exactement? Le ministre de la Défense Bill Blair et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly l’expliquent : « Le personnel des Forces armées canadiennes déployé au sein du Commandement central des États-Unis a appuyé les frappes précisément ciblées entreprises hier par les forces armées des États-Unis et du Royaume-Uni. »
Voilà qui est vague. Comment le Canada a-t-il appuyé les frappes? L’étendue de la participation canadienne se réduisait en fait à deux planeurs et à un analyste de renseignement! Le Canada ne fait donc qu’envoyer une poignée de « cheerleaders » pendant que les grands s’occupent des vraies affaires. C’est un peu comme lorsque le grand frère joue aux jeux vidéos et donne une manette éteinte à son petit frère pour qu’il puisse se sentir inclus.
Mais le Canada a bel et bien fait une chose : il a proféré des paroles. Les paroles ne coûtent pas cher, alors elles cadrent plus dans les capacités du Canada. Le gouvernement canadien a fait écho à toutes les déclarations principales de son grand frère, les États-Unis. Tout comme le coordonnateur de la sécurité nationale américaine John Kirby, le gouvernement canadien a qualifié les frappes de « conséquences » des attaques Houthi dans la mer Rouge. Le Canada envisage d’emboîter le pas aux États-Unis en désignant lui aussi les Houthis comme une organisation terroriste. Le Canada a aussi égalé les États-Unis en termes d’hypocrisie : il a affirmé que l’opération visait à « promouvoir une paix et une sécurité durables dans la région ». Cette déclaration est franchement dégoutante venant de la même ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly qui vient tout juste de réaffirmer l’appui du Canada à la guerre barbare qu’Israël mène à Gaza.
Mais les Palestiniens peuvent dormir tranquilles, sachant que Joly est « profondément troublée » par la crise humanitaire que la guerre a engendrée à Gaza. Les Forces de « défense » d’Israël ont tué plus de 25 000 personnes à Gaza, c’est-à-dire plus d’une personne sur cent. Presque 85% des gazaouis ont dû fuir, avec maintenant plus d’un million de personnes entassées à Rafah dans le sud de Gaza, une région qui est elle-même en train d’être bombardée. Les ressources sont tellement rares qu’il y a maintenant 500 000 personnes à Gaza qui souffrent de la faim, et la population en entier est à un « niveau critique » de famine. Le gouvernement canadien n’a pas levé le petit doigt pour défendre les vies innocentes à Gaza. Le Canada n’a pas non plus prouvé sa grande force militaire. Mais il a prouvé une chose : qu’il est capable de défendre des atrocités aussi bien que les autres.
Les Houthis eux-mêmes ont bien compris cela. Un leader Houthi, Abdel Malek Al-Ejri, a dit que les Houthis n’allaient pas contre-attaquer les navires canadiens, parce que « les frappes ont été conduites principalement par les États-Unis et le Royaume-Uni. Leurs alliés, incluant le Canada, n’ont joué qu’un rôle superficiel. »
Le cirque continue. Dans une déclaration sur le bombardement des Houthis, la ministre Mélanie Joly et le ministre de la Défense Bill Blair sont même allés jusqu’à laisser entendre que le bombardement était nécessaire pour permettre la circulation de l’aide humanitaire. C’est la même Mélanie Joly qui, comme nous l’avons mentionné, a réaffirmé le support canadien à Israël – ce même Israël qui limite la circulation de l’aide humanitaire à Gaza à des niveaux tellement bas que la population en est rendue à un niveau critique de famine! Ces gens n’ont absolument aucun scrupule.
Vient maintenant la question du droit international et de l’ « ordre international fondé sur des règles ». À la suite des événements récents, Justin Trudeau a tenu à nous rappeler que le Canada est un « grand supporter de l’ordre international fondé sur des règles ». Il a aussi insisté sur le fait que les attaques des Houthis ont violé le droit international, et les impérialistes ont soutenu qu’attaquer les Houthis était parfaitement légal puisqu’il s’agissait de protéger la libre circulation des marchandises. Si nous comprenons bien Trudeau, attaquer un des peuples les plus pauvres au monde est justifié – tant et aussi longtemps que cela protège les profits.
Mais ce grand défenseur de la « paix » et de la « stabilité » fait face à un problème : l’accusation de génocide contre Israël déposée par l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice (CIJ). En tant que grand défenseur de l’ordre international basé sur les règles, Justin Trudeau a dû donner « tout son support » à la CIJ. Pourtant le Canada demeure un supporter d’Israël, et il est difficile de prétendre que l’offensive d’Israël n’a rien de génocidaire. Trudeau a donc, d’une manière absolument pathétique, eu recours à des subterfuges logiques. Il a simplement rejeté la prémisse de l’accusation. Il semble qu’il soit fin connaisseur de la logique formelle… ou peut-être est-ce plutôt qu’admettre que l’Afrique du Sud a raison serait tout simplement trop hypocrite, même pour Trudeau.
Quoi qu’il en soit, tout cela est un peu fort de la part d’un gouvernement qui s’est empressé de qualifier de « génocide » l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, mais qui soutient aujourd’hui la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza, et qui est favorable au bombardement des Houthis, qui ont attaqué des navires commerciaux précisément en soutien à la Palestine. La capacité du gouvernement canadien à se tordre pour justifier n’importe quoi (tant que cela sert ses intérêts et ceux de ses copains impérialistes) est vraiment exceptionnelle.
Mais l’ironie la plus tragique est sûrement que les frappes sur les Houthis vont seulement jeter de l’huile sur le feu. Les Houthis ont été endurcis par les combats. Ils ont enduré une guerre civile d’une décennie contre le gouvernement « internationalement reconnu » du Yémen. Ils ont enduré des années de bombardement par l’Arabie saoudite (soutenue par le Canada). Ils ont survécu à une famine engendrée par un blocus vicieux. Après tout cela, il est difficile de croire que les Houthis accepteraient de se soumettre simplement à cause d’une poignée de bombes et de missiles américains et britanniques.
Sans surprises, les Houthis ont donc continué d’attaquer des navires après les récentes frappes. Ils ont même renchéri en envoyant un missile sur un navire de guerre américain. Les États-Unis, le Royaume-Uni et leur petit frère le Canada ont donc jeté de l’huile sur le feu au Moyen-Orient, alors que la région est déjà au bord d’une guerre régionale, pour essentiellement ne rien accomplir.
Voilà l’impasse des impérialistes. Leurs plans pour le Moyen-Orient sont en lambeaux. La région se dirige tranquillement vers une guerre. La situation a empiré la crise économique dans des pays du Moyen-Orient qui sont déjà très instables : la colère dans ces pays pourrait éclater à tout moment. Et les impérialistes ne peuvent rien y faire. Ils ont même perdu le contrôle de leur seul allié fiable dans la région, Israël. Son leader, Benjamin Netanyahou, rejette ouvertement toutes leurs propositions pour une solution « pacifique » et « durable » à deux États.
L’impérialisme a le dos acculé au mur au Moyen-Orient. Cette agression envers le Yémen n’est rien d’autre qu’une manœuvre désespérée pour sauver sa réputation. Cela a été prouvé par le fait que les impérialistes ont même averti les Houthis quelques heures avant les premières frappes.
Toute cette hypocrisie, tous ces mensonges, et tout ce que les impérialistes peuvent faire est jeter de l’huile sur le feu. Ces gens ont eu l’air de véritables clowns aux yeux de millions de personnes à travers le monde. Et l’impérialisme canadien est le pire de ces clowns : il peut chanter les louanges de l’impérialisme américain et britannique et partager avec eux toute la culpabilité – tout en n’aidant militairement d’aucune façon que ce soit.