Le gouvernement du Premier ministre Stephen Harper a réagi avec un silence assourdissant à la publication du rapport et des conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) le 2 juin dernier, qui a qualifié le système des pensionnats autochtones d’acte de « génocide culturel. » Apparaissant lors d’une cérémonie de clôture au Rideau Hall, M. Harper n’a pas dit un mot au sujet de la Commission ou de ses 94 recommandations, et depuis lors, a seulement continué à se distancer du rapport. Son indifférence à l’impact catastrophique des pensionnats reflète les véritables priorités du gouvernement fédéral et sa réticence continue à répondre aux souffrances des peuples autochtones.
Le jour de la sortie du rapport, avec des centaines de survivant-e-s des pensionnats autochtones rassemblés dans un hôtel d’Ottawa pour entendre les conclusions, Harper a envoyé le ministre des Affaires autochtones, Bernard Valcourt, à sa place, malgré le fait que le Premier ministre était à seulement quelques coins de rue de là. La seule réponse officielle du bureau du Premier ministre fut un bref communiqué de presse reconnaissant le travail de la Commission. Quelques jours plus tard, Harper était dans la circonscription torontoise du ministre des Finances, Joe Oliver, pontifiant au sujet de la menace posée par le terrorisme islamique, suggérant que son gouvernement était de retour à ses occupations habituelles.
La CVR a été créée en 2008 dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats autochtones, le plus grand recours collectif de l’histoire canadienne, qui a abouti après que des survivant-e-s des pensionnats aient amené devant les tribunaux le gouvernement et les églises qui dirigeaient les écoles, avec le soutien de l’Assemblée des Premières nations et des organisations Inuits. Le mandat de la Commission était d’apprendre la vérité sur ce qui est arrivé dans les pensionnats et d’informer les Canadien-ne-s au sujet de cette histoire, tout en travaillant à la réconciliation basée sur une relation de compréhension et de respect mutuel.
Depuis les années 1870 jusqu’à la dernière école qui a été fermée en 1996, au moins 150 000 enfants des Premières nations, des Métis et des Inuits ont fréquenté les pensionnats au Canada. Plus de 130 écoles financées par le gouvernement et administrées par les églises existaient à travers le pays, dans le but exprès de « civiliser » les enfants autochtones en les retirant de force de leurs propres cultures « inférieures », dans un effort de les assimiler à la culture euro-canadienne et ainsi « tuer l’Indien dans l’enfant ». D’innombrables familles furent déchirées alors que le gouvernement canadien kidnappait les enfants et les plaçait dans des écoles où il leur était interdit de parler leur propre langue. Avec le dénigrement de leurs cultures, les étudiant-e-s étaient confrontés à la violence psychologique, physique et sexuelle généralisées.
Si beaucoup de ces faits étaient connus antérieurement, le rapport de la CVR impressionne par le degré auquel il fait la lumière sur ces crimes. Au moins 3 200 enfants qui ont fréquenté les écoles ne sont jamais retournés chez eux. Les dossiers ont été détruits régulièrement, ce qui suggère que le nombre réel d’élèves qui sont morts peut avoir été beaucoup plus élevé (entre 1936 et 1944 seulement, 200 000 dossiers des Affaires indiennes ont été détruits). Sinclair estime que le nombre total d’étudiant-e-s qui sont morts pourrait être aussi élevé que 6000, ce qui signifie que les enfants qui ont fréquenté les pensionnats avaient plus de chances de mourir que les soldats canadiens qui ont combattu dans la Seconde Guerre mondiale.
Les causes de décès incluaient la maladie, les incendies et le suicide, avec beaucoup d’enfants mourant de froid alors qu’ils tentaient de fuir. Souvent, le nom, le sexe ou l’âge des enfants qui mourraient étaient inconnus, avec des parents qui n’étaient pas informés du sort de leurs proches. Certaines écoles n’avaient pas de terrain de jeux, mais avaient des cimetières où de nombreux enfants furent enterrés. Des soins de santé et de nutrition médiocres étaient la norme.
Les conclusions sont une condamnation cinglante du gouvernement et des églises impliqués dans la gestion des écoles, qui ont été mis au courant de ces problèmes, mais n’ont rien fait pour les résoudre. Les membres du personnel qui ont alerté les responsables des problèmes ont souvent été rejetés, tandis que les institutions ont protégé les agresseurs.
Le résumé du rapport indique également que les écoles furent des échecs en matière d’éducation. Reflétant à la fois un manque de ressources et la piètre opinion à l’égard autochtones détenus par les responsables de l’État et des églises, les enfants ont passé beaucoup de temps à faire des corvées plutôt que d’apprendre. De plus, comme mesure déshumanisante supplémentaire, les étudiant-e-s furent désignés par un numéro, et ceux et celles qui parlaient leur propre langue faisaient face à des sévices corporelles sévères.
Retournant à la maison après des années, séparés de leurs familles et incapables de parler la langue de leurs aînés, les étudiant-e-s furent mis à l’écart de leurs communautés traditionnelles. La CVR trace un lien direct entre le traumatisme intergénérationnel subi par les familles autochtones pendant plus d’un siècle et les problèmes sociaux auxquels sont confrontées aujourd’hui les communautés autochtones tels que la pauvreté, l’itinérance, la violence, l’alcoolisme et la toxicomanie.
Les recommandations du rapport de la CVR offrent une litanie de suggestions pour aborder les effets persistants des pensionnats, telles que l’adoption par le Canada de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la création d’un Conseil national de la réconciliation auquel le Premier ministre devrait répondre à chaque année avec un rapport sur « l’état des peuples autochtones ». D’autres recommandations comprennent le respect des terres autochtones et des droits issus des traités, la réduction du nombre d’enfants autochtones dans des familles d’accueil, le comblement des lacunes dans les soins de santé et l’éducation entre les autochtones et les non-autochtones, et la promotion de la sensibilisation à l’histoire des pensionnats.
Bon nombre des recommandations sont réformistes dans leur nature. L’adoption de la Déclaration des Nations Unies, tout en établissant un « cadre » pour la réconciliation, ne fournit pas les mesures de fond qui seraient effectivement utilisées pour aborder les disparités rencontrées par les peuples autochtones dans des domaines tels que les soins de santé, l’éducation et les débouchés économiques. De même, une enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées serait insuffisante pour aborder les raisons systémiques pour lesquelles les femmes et les filles autochtones sont confrontées à un risque toujours plus élevé de violence, qui sont enracinées dans l’héritage de l’État colonialiste et dans l’inégalité continue et la marginalisation exacerbée sous le capitalisme.
Malgré tout, le refus du gouvernement Harper de tenir compte de ces mesures de base témoigne de son mépris pour les populations autochtones, révélant une fois de plus le vide et le manque de sincérité des excuses de Harper en 2008 pour les pensionnats.
Lorsque le juge Murray Sinclair qui préside la CVR a reçu une ovation debout après avoir appelé à une enquête sur la disparition et les meurtres de femmes autochtones, le ministre des Affaires autochtones a choisi de rester assis. Au cours de la période de questions à la Chambre des communes, M. Harper a signalé que son gouvernement ne mettra pas en œuvre la Déclaration des Nations Unies, en le qualifiant simplement de document « ambitieux » et faisant valoir que les droits autochtones étaient déjà inscrits dans la Constitution canadienne. Il a affirmé que son gouvernement avait déjà pris des mesures pour améliorer la vie des peuples autochtones en vertu de la Loi canadienne sur les droits de l’homme.
De telles vantardises vides ne sont qu’une mince consolation pour les communautés autochtones qui continuent à faire face à des taux plus élevés de chômage, de pauvreté, d’itinérance, de toxicomanie, de dépendance à l’alcool et de criminalité violente, tout comme une espérance de vie plus courte. Les sentiments réels du gouvernement à l’égard des peuples autochtones sont devenus clairs quand il a été révélé – la même semaine que la publication du rapport de synthèse de la CVR – que le ministère des Affaires autochtones avaient retenu plus d’un milliard de dollars en dépenses promises pour les services sociaux au cours des cinq dernières années, le plaçant au premier rang parmi les ministères qui dépensent moins que leurs montants prévus dans le budget. Dans les années à venir, le budget prévu pour les Affaires autochtones devrait être rétréci davantage, avec environ un milliard de dollars de coupures sur un budget total de 7 milliards de dollars en 2017-18, malgré des conditions de vie de plus en plus désespérées sur de nombreuses réserves.
Pendant ce temps, la pression continue du gouvernement pour le développement de l’industrie gazière et pétrolière se caractérise par un mépris flagrant pour les conséquences sanitaires et environnementales rencontrées par les communautés locales, souvent en grande partie autochtones. Ces efforts, cependant, ont fait face à une résistance massive menée par les peuples autochtones, incluant le mouvement Idle No More ou l’opposition à la fracturation hydraulique du peuple Micmac au Nouveau-Brunswick.
Il ne faut pas oublier que les recommandations de la CVR sont adressées aux mêmes institutions qui ont dirigé les pensionnats, à commencer par l’État bourgeois canadien et les Églises. En dernière analyse, tout État contrôlé par les capitalistes servira toujours leurs intérêts, et le traitement des peuples autochtones au Canada à travers les siècles reflète les changements de tactique dans les efforts des capitalistes pour exploiter complètement les immenses territoires et ressources naturelles de ce pays, avec les peuples autochtones en tant qu’obstacle perpétuel.
La négociation des traités a pris naissance parce que le Canada ne possédait pas les ressources pour vaincre militairement les forces autochtones. La couronne britannique a décidé d’utiliser les nations autochtones lors de sa guerre avec la république américaine (dont la politique en était une d’extermination). Une fois que les traités ont été signés, l’État a tenté autant que possible de contourner leurs conditions et obligations. Les pensionnats furent seulement la manifestation la plus flagrante et nocive de cette tendance; en assimilant les enfants autochtones à la société blanche et chrétienne, cela enlevait à l’État la nécessité de respecter ses obligations par rapport aux traités. Le courage et la détermination des peuples autochtones à résister signifia l’échec de cette politique et rendit nécessaire une approche différente.
Tant que l’État canadien reste sous le contrôle des capitalistes, leur quête incessante de profit issu de l’exploitation des terres et des ressources du Canada se poursuivra. Le mépris qui s’en suit pour les terres autochtones et les droits issus des traités représente une contradiction irréconciliable entre l’État canadien et les peuples autochtones. Cet État capitaliste doit être renversé. C’est le même État qui réprime non seulement les autochtones, mais aussi tous les travailleurs-euses et les opprimé-e-s au Canada. L’unité des travailleurs-euses et des opprimé-es est une composante clé du renversement de l’État capitaliste. Grace à l’unité des travailleurs-euses autochtones et non-autochtones et au respect du droit des autochtones à la souveraineté, aux terres et aux ressources, les Premières nations seront finalement habilitées à déterminer démocratiquement leur propre destin. Ensemble, nous pourrons construire une société socialiste basée sur le contrôle démocratique de la base et satisfaire les besoins humains plutôt que basée sur l’exploitation, le profit et la destruction de l’environnement. Cette société serait beaucoup plus compatible avec les valeurs traditionnelles autochtones, desquelles nous avons tous et toutes beaucoup à apprendre.