Le 25 octobre dernier, un jugement de la Cour supérieure du Québec a ordonné la fin des interpellations sans motif d’automobilistes. Le juge a conclu ce qui était déjà su de tous : le motif principal derrière les interpellations, prétendument aléatoires, de la police n’est autre que le crime d’être « Noir au volant ». François Legault et son gouvernement se sont cependant précipités à annoncer qu’ils porteront cette décision en appel. Legault déclare, sans rire, que c’est « injustifié d’abolir un article aussi important pour les corps de police ».
Un problème bien réel
Le fléau du racisme au sein de la police est pourtant un problème bien connu au Québec. La décision de la Cour supérieure elle-même a été prise dans le cadre d’une poursuite intentée par un jeune Noir qui, depuis 2018, s’est fait interpeller environ 10 fois par la police, sans motif autre que le fait qu’il conduisait ou était passager dans une voiture. En février de l’année dernière, la police de Montréal avait brutalisé, emprisonné et dénigré Mamadi III Fara Camara, un homme noir faussement accusé d’avoir tiré sur un policier. En décembre 2021, c’est la police de Québec cette fois qui avait tabassé et humilié un jeune noir sans aucun motif. En novembre de cette année, des policiers de Montréal ont menotté un homme noir qu’ils ont accusé d’avoir volé… sa propre voiture. Ce cas rappelle bien ce qui s’est passé à Montréal en janvier 2021, lorsqu’un avocat noir s’est fait menotter, fouiller et ridiculiser par des policiers qui ont essayé de trouver une raison pour leur intervention après coup en lui collant une amende pour cellulaire au volant. Ce ne sont là que quelques exemples d’une liste interminable de cas réels de profilage racial commis par les forces de police au Québec menant à l’humiliation, des blessures et même la mort pour les victimes.
Différents services de police de la province ont été forcés de reconnaître l’existence du racisme systémique dans leurs rangs, non seulement contre les Noirs, mais aussi les Autochtones et les Arabes qui sont interpellés, brutalisés et tués de façon disproportionnée par la police au Québec et au Canada.
Les « solutions » de la CAQ
À la suite des mouvements de masse qui ont secoué le monde en réponse au meurtre de George Floyd par des policiers aux États-Unis, le gouvernement de Legault lui-même avait mis sur pied le Groupe d’action contre le racisme. Le rapport émis par ce groupe en décembre 2020 recommandait comme première mesure, justement, d’interdire les interventions aléatoires. En décembre 2021, l’ancienne ministre de la Sécurité publique de la CAQ, Geneviève Guilbault, avait déposé un projet de loi visant à introduire des réformes en réponse à ce rapport. Le gouvernement de la CAQ avait évidemment d’autres priorités et rien n’en est sorti au final.
Pendant le procès, le ministre actuel de la Sécurité publique, François Bonnardel, a prétendu que les policiers sont maintenant formés pour ne pas interpeller les conducteurs sur une base discriminatoire. Cette stratégie n’ayant pas fonctionné, il promet maintenant une vague réforme future de la Loi sur la police. Comme solution alternative à la fin des contrôles aléatoires, François Bonnardel propose même d’augmenter le financement de la police (prétendument pour améliorer la formation) et appelle ceux qui seraient victimes de profilage racial à « avoir confiance en la déontologie policière »! Ça frôle la parodie!
La CAQ, le capitalisme et le racisme
Les corps policiers et leurs fraternités à travers le Québec se sont également empressés d’exprimer leur opposition au jugement et leur soutien au recours en appel de François Legault. Dans des déclarations de plus en plus alarmistes, ils évoquent toutes sortes d’excuses comme les accidents causés par l’alcool au volant et la circulation sans entraves de présumés criminels pour tenter de justifier le droit des policiers d’interpeller n’importe qui sans motif.
Legault persiste et demande de « laisser les policiers faire leur travail ». Avec l’aggravation de la crise du capitalisme, une intensification de la lutte de classes est à prévoir. Legault et son gouvernement auront effectivement besoin que les policiers fassent leur « travail », c’est-à-dire réprimer les travailleurs qui oseront lutter contre l’inflation et le déclin de leurs conditions de travail. Legault n’a aucun intérêt à enlever des pouvoirs au bras armé de l’État, au contraire. Il essaie donc de rester dans les bonnes grâces des policiers en défendant leur droit d’être raciste.
Legault n’a aucun intérêt à lutter contre le racisme, peu importe la forme que ça prend. C’est assez clair avec l’exemple récent de Jean Boulet, l’ancien ministre de l’Imimigration. L’an dernier, il avait essayé d’utiliser les réfugiés passant par le chemin Roxham comme boucs émissaires de la gestion laborieuse de la pandémie par le gouvernement de la CAQ. Il est allé jusqu’à déclarer dans la récente campagne électorale que « 80% des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ». Ses propos racistes ont été tolérés par Legault et ce Boulet est encore aujourd’hui membre de son conseil des ministres.
En fait, Legault a besoin du racisme comme outil pour maintenir sa carrière politique basée sur la xénophobie et le nationalisme identitaire. Il érige continuellement une opposition construite de toutes pièces entre le mode de vie de ceux qui immigrent ici et la « façon de vivre au Québec », la laïcité (lisez catho-laïcité), le « respect », etc. Il suffit de se remémorer ses propos lors de la campagne électorale de septembre dernier pour se convaincre de son opportunisme crasse. Selon lui, les immigrants représentent une menace pour les « valeurs québécoises » parce que « les Québécois sont pacifiques, ils n’aiment pas la chicane, ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence ». Loin d’être inacceptable, le racisme est en fait un invité d’honneur autour du premier ministre. S’attendre que la CAQ combatte le racisme d’une quelconque façon serait un espoir très mal placé.
Au-delà de l’enjeu du profilage racial par la police et des besoins opportunistes de la CAQ, le capitalisme qu’ils défendent, pour être maintenu, a vitalement besoin du racisme. D’un côté, diviser la majorité, les travailleurs, sur des lignes arbitraires comme la race ou la religion, est essentiel pour les affaiblir dans leur lutte contre la minorité des exploiteurs, les patrons. Et de l’autre, maintenir les procédures et règles laissant le champ libre aux caprices arbitraires et discriminatoires de la police renforce la capacité de répression de l’État.
La police défendant un système basé sur toutes sortes d’oppressions sera nécessairement raciste. Pour en finir avec le profilage racial et le racisme systémique plus généralement, il faut en finir avec le capitalisme.