Après une incessante frénésie médiatique autour du chemin Roxham, les libéraux de Trudeau ont annoncé fin mars qu’ils fermaient la porte aux milliers de demandeurs d’asile entrant au Canada par les États-Unis. L’annonce a eu lieu lors de la visite très attendue de Joe Biden en mars, au cours de laquelle l’accord sur la fermeture de Roxham, préparée depuis plus d’un an, a été annoncé.
Biden et Trudeau ont modifié l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) afin d’éliminer totalement le droit de demander l’asile au Canada pour toute personne entrant dans le pays par les États-Unis. Cet accord est une attaque à peine dissimulée contre les migrants vulnérables, de la part du premier ministre même qui prétendait les accueillir tous à bras ouverts.
L’hypocrisie de l’Entente sur les tiers pays sûrs
L’Entente sur les tiers pays sûrs est entrée en vigueur en 2004, rejetant les demandes d’asile pour les personnes entrant par les frontières terrestres officielles avec les États-Unis, mais laissant la possibilité de le faire si l’on entre par un point de passage « irrégulier » comme le chemin Roxham, une route de campagne reliant le Québec et l’État de New York. L’amendement comble cette « faille », tout en promettant de permettre à 15 000 migrants supplémentaires d’entrer par les voies « appropriées » chaque année. Cela représente moins de la moitié du nombre de personnes qui ont pu trouver refuge dans le pays par des chemins irréguliers en 2022.
L’idée des libéraux est que les migrants devraient être forcés de chercher refuge dans le premier pays « sûr » qu’ils traversent. Selon l’ETPS, les États-Unis et le Canada sont tous deux « sûrs » – oui, les États-Unis, le pays où les demandeurs d’asile sont systématiquement mis en cage et agressés, où les personnes LGBTQ sont attaquées et où le droit à l’avortement est de plus en plus bafoué.
Depuis 2017, 81 000 personnes ont pu entrer au Canada par des passages irréguliers pour demander asile, principalement par le chemin Roxham. Parmi elles, 30 000 ont obtenu le statut de réfugié, 23 000 demandes sont toujours bloquées par la bureaucratie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, et la plupart des autres ont été rejetées.
Malgré leur phraséologie parfois progressiste, cette attaque contre les droits des migrants n’est pas inhabituelle pour les libéraux. L’ETPS a été introduite pour la première fois par le premier ministre libéral Jean Chrétien pour freiner l’immigration et a été critiquée par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies et Amnistie Internationale pour avoir potentiellement violé le droit de chercher refuge contre la persécution. Ce sont également les libéraux de Jean Chrétien qui ont entraîné le Canada dans la guerre en Afghanistan, où des dizaines de milliers de civils ont été massacrés et des millions de réfugiés ont été créés par les troupes de l’OTAN au nom de l’impérialisme. Ce sont encore les libéraux qui ont soutenu la destruction de la Libye pour ses réserves de pétrole, les sanctions asphyxiantes contre le Venezuela et les interventions déstabilisatrices en Haïti. La liste de crimes et d’hypocrisies est longue, et ce sont toujours les travailleurs du monde entier qui ont dû payer de leur vie ou de leur lieu de vie. L’augmentation du nombre de réfugiés ne devrait pas être une surprise après ce bilan impérialiste.
Le tapage au sujet de Roxham
Où est passée la compassion illimitée de Trudeau pour « ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre »?
Au cours des mois précédant la visite de Biden, la CAQ, avec le Parti québécois dans son sillage, ont fait monter la frénésie autour des milliers de migrants qui entrent au pays par Roxham. Le Bloc québécois a emboîté le pas et est allé jusqu’à comparer l’expérience des réfugiés du chemin Roxham à des vacances tout inclus dans une horrible publicité.
Bien que la CAQ n’ait pas été aussi grossière, M. Legault a hypocritement soulevé des préoccupations en matière de « droits de l’homme » au sujet des soins de santé, des services d’éducation et de services sociaux mis à rude épreuve, ainsi que les logements inadéquats, pour dire que le Québec n’a tout simplement pas la capacité d’accueillir davantage de migrants – sans tenir compte du fait que son gouvernement a participé à amoindrir ces services. En fait, Legault aimerait beaucoup que les travailleurs pensent que ce sont les migrants, et non l’inaction de son gouvernement, qui sont à blâmer pour les difficultés qu’ils rencontrent.
Pierre Poilievre, heureux de sauter dans le train de la xénophobie anti-migration, a été réprimandé par Trudeau pour son ultimatum « simpliste » de fermer les frontières au chemin Roxham dans les 30 jours – les ministres et négociateurs libéraux éclairés trouveraient une solution plus « humaine ».
Et pourtant, c’est exactement ce que Trudeau a fait. Trudeau ne pouvait pas laisser le « problème » du chemin Roxham agir de munition que le Bloc ou les conservateurs pourraient utiliser contre lui. Il s’est plié à la frénésie de la droite, et sa solution de rechange « humaine » aux propositions « imprudentes » de Poilievre est en fin de compte la même : renvoyer la plupart des gens pour qu’ils soient déportés ou qu’ils cherchent des moyens plus précaires d’entrer dans le pays et d’y survivre.
De plus, il s’avère que Trudeau et ses ministres avaient conclu l’accord d’amendement de l’ETPS à huis clos il y a plus d’un an et ont gardé son existence bien gardée, même vis-à-vis des députés élus, de peur que le plan ne déclenche une vague massive d’immigration avant que l’amendement ne puisse entrer en vigueur.
Lorsqu’on les presse, le vernis progressiste et la posture morale de Trudeau et des libéraux s’effritent.
Hypocrisie et diversion
Les libéraux ont promis d’accepter 500 000 immigrants par an d’ici 2025 dans l’espoir de résoudre la « pénurie de main-d’œuvre » et, dans leur grande compassion pour les réfugiés de guerre (ukrainiens), ont déclaré qu’ils accepteraient un « nombre illimité » de migrants venus d’Ukraine. Les libéraux ne voient aucune contradiction entre ces affirmations et le fait de barrer la route à des milliers de migrants pauvres.
Le « scandale » du chemin Roxham a été un concert d’hypocrisie du début à la fin. Il a également été exploité comme une diversion commode par la CAQ, le PQ et Poilievre, pour détourner l’attention des problèmes les plus urgents de la classe ouvrière pour lesquels ils n’ont pas de solution. Mais ce théâtre politique autour de Roxham aura des répercussions très concrètes sur ces familles en quête de refuge.
Déjà, des dizaines de personnes ont été arrêtées immédiatement après être entrées au pays par Roxham depuis la fermeture de la route – beaucoup après avoir passé des mois sur la route et flambé toutes leurs économies pour essayer d’atteindre le Canada. Plus cruel encore, la plupart d’entre elles n’ont pas été informées qu’elles ne pourraient plus jamais demander l’asile si elles entraient dans le pays et étaient arrêtées, maintenant qu’elles avaient « enfreint la loi ». Ce n’est que s’ils restent cachés et échappent à l’arrestation pendant 14 jours après leur arrivée qu’ils pourront à nouveau demander « légalement » asile. Les spécialistes de l’immigration s’accordent à dire que tout cela conduira à des catastrophes humanitaires, car les migrants devront prendre des risques encore plus grands pour essayer de trouver un refuge et un travail, avec ou sans la protection de la loi.
Comme nous l’avons déjà expliqué, les pays capitalistes riches comme le Canada ont largement les moyens d’accueillir les réfugiés qui fuient vers eux. De plus, leurs gouvernements sont souvent à l’origine de la migration – dans le cas du chemin Roxham, où de nombreux demandeurs d’asile sont des familles haïtiennes. Pendant des années, l’État canadien et ses alliés ont mené des aventures impérialistes dans le pays, le déstabilisant au point d’atteindre les atrocités que nous voyons aujourd’hui.
La fermeture du chemin Roxham ne mettra pas fin au « problème » des migrants, mais rendra leur vie plus difficile et plus dangereuse. De plus, les politiciens capitalistes cherchent toujours à blâmer quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes pour l’état décrépit de la société. Le plus souvent, les migrants jouent le rôle de bouc émissaire pour tous les problèmes créés par le capitalisme. On ne peut faire confiance ni aux libéraux, ni aux conservateurs, ni à la CAQ, ni à aucun des partis de l’establishment. Tous essaieront de diviser la classe ouvrière et de nous faire détourner le regard de leur incapacité à résoudre les problèmes auxquels les travailleurs sont confrontés.
En réalité, l’immigration en général ne devrait pas poser de problème – le Canada est un pays incroyablement riche et il y a plus de ressources qu’il n’en faut pour satisfaire les besoins de tous et donner un bon emploi et un bon niveau de vie à tout le monde. Cependant, sur la base du libre marché capitaliste, et surtout en période de crise économique, rien de tout cela ne se matérialise. Seule une société socialiste, où toutes les ressources seront libérées du carcan de la propriété privée et du profit, pourra en faire une réalité.