Selon les données fédérales, le Canada a connu en 2023 un nombre de grèves record en 18 ans, totalisant plus de deux millions de jours non travaillés. Il s’agit de la troisième augmentation consécutive d’une année à l’autre depuis la pandémie. C’est un signe que, face à la crise actuelle, les travailleurs se radicalisent.
Une « année d’agitation ouvrière »
Les statistiques des grèves sont de nouveau à la hausse. Selon Statistique Canada, les grèves en 2023 ont atteint leur sommet en 18 ans avec 2,2 millions de jours-personnes non travaillés.
Bien que les données ne tiennent pas encore compte de la récente grève de 600 000 travailleurs du secteur public menée en partie par le Front commun au Québec, l’éventail des travailleurs concernés est déjà énorme. Il inclut les travailleurs de la Voie maritime du Saint-Laurent, les travailleurs de l’industrie alimentaire, les travailleurs de l’automobile, les travailleurs des compagnies aériennes, les travailleurs de l’éducation et bien d’autres encore.
Au total, les 147 arrêts de travail de l’année dernière ont représenté le plus grand nombre de jours non travaillés depuis 2005. Cette année-là, les grèves des travailleurs de Telus en Colombie-Britannique et en Alberta, ainsi que les grèves des travailleurs de l’éducation et des services sociaux dans d’autres provinces, avaient fait grimper ce nombre à 4 147 580.
Ce n’est pas pour rien que CBC News a qualifié l’année 2023 d’« année d’agitation ouvrière » et d’« année de la grève ».
Il est toutefois important de noter que les données de 2023 ne marquent pas seulement une augmentation du nombre de jours de grève, mais une augmentation soutenue du nombre de jours de grève. Alors que la plupart des augmentations soutenues au cours des dernières décennies ont été suivies d’une baisse du nombre de jours de grève l’année suivante, depuis 2019, le nombre de jours de grève n’a fait qu’augmenter.
Les données montrent que 1 000 466 jours-personnes ont été « perdus » pour cause de grève en 2019, suivis par 1 333 537 en 2020, 1 123 627 en 2021, jusqu’à 2 155 612 en 2022 et plus de 2,2 millions en 2023.
Hausse des prix, hausse des grèves
Comme le fait remarquer CBC News, cette augmentation des grèves a suivi de près l’érosion des salaires réels des travailleurs, en particulier depuis le début de la pandémie.
Selon la chaîne, le « pouvoir d’achat » des travailleurs reste « inférieur à ce qu’il était au début de l’année 2020 ». C’est une façon délicate de dire que le travailleur moyen a subi des années de baisse de salaire, tandis que le patron moyen a engrangé des milliards de profits supplémentaires.
En 2021, le travailleur moyen a bénéficié d’une augmentation de salaire de 3%, contre les 4,8% d’inflation. En 2022, les salaires ont augmenté de 5,1%, contre une inflation de 6,8%. Quant à l’année dernière, l’inflation est restée élevée à 3,1% alors que les salaires moyens peinaient toujours à suivre.
Dans les années 2000, après des années de trahisons et de défaites, les ententes à rabais d’un ou deux pour cent sont pratiquement devenues la norme. Si ces ententes n’ont jamais suscité l’enthousiasme des syndiqués, elles étaient comparativement plus faciles à tolérer en période de faible inflation, ce qui équivalait le plus souvent à une stagnation. Cependant, depuis 2020 et la « reprise » qui a suivi, les ententes à rabais du passé ne sont plus seulement synonymes de stagnation; elles sont synonymes de coupes.
Cela a incité la classe ouvrière à se battre.
Un « effet domino »
Sur ce point, divers médias bourgeois ont eux-mêmes exprimé leur consternation face à une « série d’ententes rejetées », face à des travailleurs « rejetant des ententes que même leur syndicat jugeait bonnes » et face à un « environnement propice aux luttes ouvrières » tout au long de l’année 2023. Human Resources Magazine a par ailleurs averti que de telles luttes ouvrières risquaient de provoquer un « effet domino » où chaque lutte en encore d’autres, dans toutes les régions et dans tous les secteurs.
Un bilan des grèves de l’année montre qu’ils ont effectivement beaucoup de raisons de s’inquiéter.
Par exemple, de février à août 2023, 250 travailleurs de Sel Windsor ont tenu bon pour bloquer la tentative de l’entreprise de réduire leurs salaires et de sous-traiter leur travail.
Au cours de la grève, les travailleurs de Sel Windsor ont rejeté une entente de principe prévoyant une offre salariale d’environ 6% sur plusieurs années selon l’entreprise. L’entreprise a qualifié cette offre de « généreuse », et elle a été approuvée par les dirigeants d’Unifor. Néanmoins, elle a été rejetée par les grévistes eux-mêmes qui ont voté pour le maintien de la grève pendant un mois supplémentaire après un total de 192 jours.
En mars, 120 000 travailleurs du secteur public fédéral représentés par l’AFPC ont lancé l’une des plus grandes grèves de l’histoire du Canada. Rejetant une offre inférieure à l’inflation de 9% sur trois ans, les travailleurs ont paralysé des pans entiers de l’économie canadienne pendant des semaines, avec l’appui d’une grande partie de la population. Finalement, la direction de l’AFPC a tenté de faire passer un accord pratiquement identique de 12,6% sur quatre ans, bien en dessous de l’inflation, tout en excluant activement les employés de l’ARC, laissés à se débrouiller seuls.
Mais cette entente a été accueillie par une campagne pour le « Non » de la part d’une partie de ses membres et du syndicat représentant le personnel de l’ARC. Si l’accord a finalement été ratifié, il n’a recueilli que 76% des voix, ce qui témoigne d’un mécontentement manifeste de la part des membres. Pendant le vote de ratification, le syndicat a été bombardé de messages émanant de la base. Ces derniers insistaient sur le fait qu’ils devaient « rester dans la rue » et faire preuve de solidarité avec les autres travailleurs en grève « puisque nous sommes TOUS partis en grève en même temps ».
À Vancouver, plus tard en 2023, 4000 membres de l’ILWU sont entrés en grève contre l’érosion des salaires et les suppressions d’emplois, soutenus par leurs homologues américains. Au total, les débardeurs ont interrompu une activité commerciale potentielle de plus de 6 milliards de dollars du 1er juillet au 5 août. Tout au long de la grève, les travailleurs ont fait face aux menaces du gouvernement fédéral, de leurs patrons et des tribunaux. Par ailleurs, au cours de la grève, ils ont rejeté une entente de principe de 19,2% sur quatre ans, donc sous l’inflation, et ils sont retournés sur les lignes de piquetage pendant des semaines.
Plus tard cet été, en Ontario, 3700 travailleurs des épiceries Metro ont entamé une grève pour protester contre les baisses de salaire, la précarité et les abus de la part de la direction. Bien que les dirigeants d’Unifor aient arrêté la grève en faveur d’une entente de principe, qui compensait à peine les réductions de l’entente précédente, celle-ci a été rapidement rejetée.
À l’époque, le Toronto Star avait fait remarquer que la grève de Metro s’inscrivait dans une « tendance plus large […] des travailleurs à faible revenu qui s’opposent à leurs employeurs pour obtenir une meilleure rémunération dans des secteurs qui ont connu ces dernières années des augmentations massives de leurs profits ».
Enfin, au début de cette année, 2100 agents de bord d’Air Transat ont rejeté à 98,1% une entente de principe, acceptée à la hâte par leur exécutif du SCFP, et ils se sont préparés à la grève. Après des années difficiles avec un salaire de 26 577 dollars par an, l’offre de la compagnie – 18% sur cinq ans – signifierait selon toute vraisemblance des coupes réelles.
Un retour de la combativité
Les cas susmentionnés présentent certainement des différences. Mais dans tous les cas, nous constatons que de plus en plus de travailleurs rejettent les vieilles méthodes de compromis avec le patronat.
La nécessité de rattraper l’inflation a suscité un état d’esprit combatif dans toutes les sections de la classe ouvrière. On peut le voir dans les votes de grève de plus en plus élevés (généralement autour ou au-dessus de 95%), dans la durée et la portée des grèves ou dans la tendance des travailleurs à refuser de reculer et d’accepter des accords salariaux dérisoires.
Or, cette combativité doit être organisée.
Naturellement, les travailleurs sont enclins à s’opposer aux contrats qui, en termes réels ou nominaux, réduisent leurs salaires ou leurs avantages. Cependant, à moins qu’une véritable solution de rechange ne leur soit proposée, nombre d’entre eux se résoudront à accepter un accord médiocre.
Actuellement, le mouvement syndical est dominé par une direction qui, fondamentalement, accepte le droit de la classe dirigeante à gouverner. Ce fait conditionne tous les autres développements du mouvement syndical. De cette prémisse découlent des stratégies de compromis et de conciliation au détriment de la lutte. Il en résulte une tendance à la gestion par le haut qui, par exemple, confie le pouvoir de déclencher et d’annuler les grèves à des « équipes de négociation » et aux leaders syndicaux en général plutôt qu’à la base.
Mais, concrètement, le système que ces directions syndicales acceptent ne peut pas offrir d’améliorations permanentes.
En acceptant l’existence du capitalisme et les règles de l’État capitaliste, les dirigeants réformistes ne peuvent, à long terme, qu’éroder leur propre base de soutien.
Il est inévitable que la « reprise » actuelle se transforme rapidement en un nouveau ralentissement.
Selon les projections de BMO Marchés des capitaux, un net « ralentissement », voire une stagnation de l’économie canadienne, ne manquerait pas de « freiner la progression des salaires ». À partir de là, les économistes bourgeois sont de plus en plus en garde contre un retour à la « stagflation », terme inventé pour décrire la crise des années 1970 qui se caractérise par une croissance anémique et une hausse effrénée des prix, ponctuée de récessions et d’une augmentation du chômage.
Bien que nous ne puissions pas prédire exactement la date de la prochaine crise, personne ne conteste son caractère inévitable. Personne ne conteste non plus qu’elle nécessitera inévitablement de nouvelles luttes pour se défendre contre la prochaine offensive patronale.
Sur ce point, BMO Marchés des capitaux a conseillé la classe dirigeante : « Nous avons depuis longtemps averti que l’histoire montre que les grèves sont fortement corrélées à l’inflation, les deux ayant atteint des extrêmes d’après-guerre dans les années 1970 et au début des années 1980. »
Cette situation a atteint son paroxysme au milieu des années 70, lorsque le premier ministre Pierre Trudeau s’est plaint du fait que le Canada était en proie à plus de grèves que tout autre pays industrialisé à l’exception de l’Italie.
La tâche consiste maintenant à unir toutes les couches de la classe ouvrière et des opprimés pour se défendre contre ces attaques.
Organisons-nous pour la révolution
L’inflation qui érode les salaires des travailleurs et réduit leur niveau de vie a, sur papier, plusieurs causes : le recours à la planche à billets, des chocs de prix, des mesures protectionnistes, des prix abusifs, des guerres et des fermetures d’entreprises. Toutefois, en fin de compte, elles résultent de l’anarchie du système capitaliste et de l’incompétence et de la stupidité de la classe capitaliste. C’est aussi leur règne qui rend les crises inévitables.
Tant que la classe capitaliste reste au pouvoir, de nouvelles attaques sont inévitables.
La seule façon de nous protéger est donc de construire une organisation révolutionnaire pour renverser la classe capitaliste et son État.
Tant que la classe capitaliste sera au pouvoir, les énormes richesses de la société – la nourriture, le logement, les voitures et autres biens manufacturés, qui sont produits et entretenus par la classe ouvrière – seront dilapidées dans l’intérêt du profit et mal gérées par le chaos du marché.
En renversant les capitalistes et en nous emparant de ces richesses, nous pouvons fournir un emploi et une vie décente à tous en plaçant la richesse créée par la classe ouvrière sous le contrôle de la classe ouvrière.