Après la flambée du coût des loyers et du prix de l’essence, les Québécois et Canadiens ont pu remarquer une hausse en flèche des coûts des aliments depuis l’année dernière. Les travailleurs ne sont pas au bout de leur peine : on doit s’attendre maintenant à une nouvelle augmentation de 5 à 7% du prix des aliments au cours de l’année.
Les experts bourgeois expliquent l’inflation par les problèmes d’approvisionnements liés à la pandémie, le coût élevé du pétrole et la pénurie de main-d’oeuvre. Nous comprenons aussi que l’impression massive d’argent par les gouvernements pendant la pandémie a eu pour effet de réduire la valeur de chaque dollar, contribuant à l’inflation. Mais il semble aussi que certaines entreprises profitent du contexte général d’inflation pour gonfler artificiellement leurs prix. Par exemple, les grands épiciers comme Metro et Empire ont enregistré des profits records ces deux dernières années.
Une poursuite entreprise récemment met en lumière les manigances des exploitants d’abattoir en la matière. Selon Statistique Canada, le prix du bœuf aurait augmenté de 16,8% entre février 2021 et février 2022. On parle ici de trois fois le montant de l’inflation générale, elle-même déjà historique! Une demande d’action collective a été déposée le 24 mars dernier en Cour supérieure du Québec contre quatre géants nord-américains de la transformation du bœuf qui auraient utilisé des pratiques de cartel pour contrôler la production de bétail et augmenter artificiellement le prix de la viande pour les consommateurs. Les compagnies visées sont les grands producteurs Cargill, JBS Food Company, Tyson Foods et National Beef Packing Company, qui ensemble contrôlent environ 85% du marché canadien et 80% du marché américain.
Selon la demande déposée par le cabinet Belleau Lapointe pour l’organisation à but non lucratif Option consommateurs, le cartel aurait travaillé depuis au moins le 1er janvier 2015 à augmenter artificiellement le prix de vente du bœuf tout en éliminant la concurrence. Il s’agit de la seconde demande d’action collective sur la fixation des prix du bœuf déposée cette année en Amérique du Nord. En février dernier, une plainte similaire a été déposée au tribunal de district des États-Unis qui a forcé le géant JBS à conclure une entente de règlement de 52 millions de dollars US.
Les pratiques de type « cartel » sont techniquement illégales au Canada et aux États-Unis, pour « préserver et […] favoriser la concurrence » et « assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits » selon la Loi sur la concurrence. Mais ce genre de lois ne fait que vider l’eau d’un bateau troué.
Lénine expliquait dans L’impérialisme : Stade suprême du capitalisme la tendance naturelle vers la concentration et le monopole dans un libre-marché capitaliste. Les grosses entreprises absorbent les plus petites parce qu’elles sont plus efficaces, elles produisent à moindre coût et elles peuvent vendre à plus bas prix. Le marché vient à être dominé par une poignée de compagnies, qui peuvent alors s’entendre entre elles pour étouffer la concurrence et contrôler les prix du marché. La concentration monopolistique fait partie de la nature même du capitalisme.
Et effectivement, ce genre d’occurrence n’est pas particulièrement rare. En 2010, un recours collectif contre un cartel de l’essence a forcé des compagnies pétrolières à verser des dédommagements aux citoyens de Victoriaville, de Thetford Mines, de Sherbrooke et de Magog. En 2019, une action collective a été gagnée contre les compagnies Metro, Sobeys, Loblaw, George Weston, Walmart Canada, Boulangerie Canada Bread et Tigre Géant pour avoir fait gonfler artificiellement le prix du pain pendant 14 ans. En 2021, les mêmes géants épiciers Metro, Sobeys et Loblaw ont été questionnés sur leur décision de couper presque simultanément les primes salariales liées à la pandémie à leurs travailleurs, laissant croire à une action coordonnée.
Cela dit, aucune loi ne pourra complètement annihiler le phénomène des cartels, parce qu’il est inscrit dans l’ADN de l’économie capitaliste. Dans la lutte entre les patrons pour la conquête du marché, soit une entreprise meure en héros, soit elle vit assez longtemps pour devenir un monopole. Les travailleurs, eux, sont toujours les perdants. Les recours collectifs permettent parfois de gagner quelques dédommagements après coup – mais pourquoi devrions-nous accepter que ces compagnies aient autant de pouvoir sur nos vies en premier lieu? Les familles qui doivent payer des milliers de dollars de plus en nourriture ne peuvent pas attendre des années qu’on prouve que les entreprises ont conspiré pour flouer les consommateurs.
Alors que les salaires stagnent et que le coût de la vie grimpe en flèche, l’inflation artificielle par les grands patrons est une attaque vicieuse contre tous les travailleurs. Tant que le prix des denrées de base, comme le bœuf, sera contrôlé par une poignée de producteurs parasitaires, le reste de la population devra se battre pour subvenir à ses besoins. On ne peut pas contrôler ce qu’on ne possède pas.
La seule solution viable est la nationalisation des grandes industries alimentaires et cela, sous contrôle démocratique des travailleurs. Nous pourrions ainsi planifier démocratiquement la production et la distribution de nourriture, comme partie intégrante d’un plan socialiste de production général. Sans l’incitatif du profit et les lois injustes du marché capitaliste, il sera enfin possible de fournir à tous et à toutes de la nourriture de qualité à bas prix.