Le lundi 18 juin dernier, près de 2000 grutiers ont entamé une grève sauvage héroïque. Ignorant la loi, les travailleurs sont entrés en grève malgré le fait qu’ils se trouvent hors de la période de négociation. Ce mouvement a paralysé les chantiers de construction étant donné le rôle critique des grutiers dans de nombreux projets d’envergure. En adoptant un moyen de pression aussi audacieux, les grutiers montrent la voie à suivre pour le mouvement ouvrier non seulement au Québec, mais au Canada et dans le reste du monde.
Le premier ministre Philippe Couillard a clairement expliqué que son gouvernement ne ferait pas de compromis : « Ceux qui pensent que parce qu’il y a des élections qui s’en viennent, le gouvernement pourrait marchander une sorte de solution à l’écart des lois. Enlevez cette illusion de votre esprit. » Le jeudi 21 juin, la Commission de la construction du Québec (CCQ) a obtenu une ordonnance du Tribunal administratif du travail forçant les grutiers à retourner au travail et ordonnant aux syndicats d’appeler les travailleurs à reprendre du service. La direction de la FTQ-Construction s’est immédiatement pliée à cette demande et a demandé aux grutiers de retourner au travail, affirmant qu’elle n’appuie pas « l’usage de moyens de pression qui pourraient constituer des gestes illégaux ». Les grutiers ont répliqué en défiant tant l’ordonnance du Tribunal que la direction de la FTQ-Construction et ont poursuivi la grève le 22 juin. La section locale 791 qui représente les grutiers est demeurée silencieuse face à l’ordonnance, ce qui signifie en pratique qu’elle défie celle-ci.
Le fait de défier l’ordonnance expose les travailleurs à des amendes pouvant aller jusqu’à 10 000$ et même à des peines d’emprisonnement pour outrage au tribunal. Les syndicats pourraient quant à eux recevoir des amendes de 100 000$. Les agissements du gouvernement n’ont fait qu’ajouter de l’huile sur le feu et ont enragé les travailleurs, qui sont demeurés en grève malgré l’ordonnance du Tribunal administratif du travail. Un des grutiers en grève a bien résumé l’humeur des travailleurs : « Des amendes, il y en aura tant qu’ils voudront, ils peuvent me mettre en prison s’ils le veulent, je ne retourne pas travailler. » Nous avons ici la voix des travailleurs qui en ont assez et qui n’ont pas peur d’entrer en lutte.
Les grévistes font pression contre de nouvelles règles moins strictes en matière d’exigence de formation pour l’embauche de grutiers. La nouvelle législation permet d’engager des grutiers après une formation de 150 heures seulement, comparé aux 870 heures que dure la formation professionnelle actuellement. Il y a une pénurie de grutiers à Montréal depuis 2009, et les patrons s’en servent maintenant pour justifier ce changement aux exigences de formation, qui permet d’embaucher un travailleur sans diplôme de formation professionnelle. Les grutiers craignent que cela augmente le risque d’accident sur et autour des chantiers de construction. Après l’ajout d’une exigence de diplôme de formation professionnelle en 1989, les accidents de grue sur les chantiers ont diminué de 66%. L’argument en faveur de moins d’heures de formation pour les nouveaux grutiers représente essentiellement une tentative de couper les coûts et de diminuer les salaires des nouvelles embauches. Comme cela se voit constamment, les employeurs diminuent les exigences de formation pour faire une pression à la baisse sur les salaires. Si ces règles sont appliquées, une baisse de salaire est à prévoir pour les grutiers, ce qui, évidemment, augmentera par le fait même les profits des patrons et des entrepreneurs.
Les grutiers, face à leurs patrons et au gouvernement, avancent avec confiance et leur lutte constitue un brillant exemple de combativité ouvrière. Les travailleurs ne sont pas des idiots et ont appris des dernières années de lutte. Ils comprennent que les lois du travail ne garantissent pas les droits des travailleurs. Dans un communiqué émis par des manifestants en appui aux grutiers le 22 juin dernier, ceux-ci affirment que la grève « soulève la question de la liberté d’action syndicale et permet de constater que le cadre réglementaire actuel de l’industrie a pour effet de criminaliser les travailleurs de l’industrie de la construction qui cherchent à faire respecter leurs droits. » Il est clair que les travailleurs se souviennent de la grève de la construction de l’an dernier où une loi spéciale de retour au travail a été adoptée par le gouvernement après seulement cinq jours de grève. Sous le capitalisme, les droits des travailleurs sont tolérés à contrecoeur, de manière temporaire et sévèrement limitée.
Dans cette situation, il faut que les dirigeants syndicaux se mobilisent en solidarité avec les grutiers contre le gouvernement et les patrons. Cependant, jusqu’à présent, nous voyons exactement le contraire. En demandant à ses membres de retourner au travail, la direction de la FTQ-Construction agit comme porte-parole du gouvernement et du patronat. Ce n’est pas la voie à suivre. Plutôt que de se soumettre à l’ordonnance du Tribunal afin de calmer la situation, la direction de la FTQ-Construction devrait montrer le même courage que ses membres et les appuyer. Malheureusement, la direction va même un pas plus loin et a même affirmé qu’elle envisage de mettre sous tutelle la section locale 791, ce qui revient à retirer aux travailleurs le contrôle démocratique de leur syndicat local. Cette trahison ne devrait pas être tolérée par les travailleurs de la FTQ-Construction. Ceux-ci doivent lutter contre ces actions scandaleuses et doivent se doter d’une direction combative désireuse d’organiser la mobilisation en solidarité avec les grutiers.
La CCQ se plaint du fait que la grève est illégale, mais même lorsque la grève est légale, le droit de grève est retiré en l’espace de quelques jours avec une loi spéciale. Nous l’avons vu lors des deux dernières grèves des travailleurs de la construction en 2013 et en 2017. En défiant des lois injustes, les grutiers démontrent quelle est la véritable façon de gagner. Mais cela seul ne suffit pas. La seule façon d’en arriver à une victoire complète est de mobiliser le reste des travailleurs de la construction et du mouvement ouvrier dans son ensemble pour des actions de solidarité envers les grutiers en grève. Nous devons commencer par mobiliser tout le mouvement ouvrier dans un rassemblement de masse en solidarité avec les grutiers. De plus, si le gouvernement va de l’avant avec des amendes et des peines de prison, nous devons répliquer avec des grèves de solidarité de tous les travailleurs de la construction ayant pour objectif d’étendre le mouvement à l’ensemble de la classe ouvrière. C’est seulement ainsi que nous pouvons défaire les lois antidémocratiques et repousser les attaques sur nos conditions de vie.