La résolution 1973 des Nations Unies est, de facto, une déclaration de guerre contre le régime de Kadhafi. Dans le langage hypocrite et mensonger des grandes puissances qui contrôlent l’ONU, cette nouvelle intervention militaire serait motivée par des considérations démocratiques et humanitaires. Comme lors des invasions de l’Irak et de l’Afghanistan, il s’agirait de « protéger des civils », de promouvoir la « démocratie » et ainsi de suite. En réalité, cette résolution de l’ONU – comme toutes ses décisions, sans exception – vise à défendre les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances impérialistes.
Comme les révolutions en Tunisie et en Egypte, la révolution libyenne était une catastrophe pour les impérialistes. La vague révolutionnaire qui déferle à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient a renversé ou menace de renverser toute une série de régimes dont la stabilité était d’une importance stratégique vitale, pour les impérialistes. Toutes ces dictatures servaient à terroriser les masses du monde arabe, à faciliter l’exploitation des travailleurs qui vivaient sous leur joug et à assurer le pillage des ressources de la région. Sarkozy, Cameron et Obama font mine de découvrir le caractère sanguinaire et dictatorial de Kadhafi. Mais ils ont soutenu son régime jusqu’à la veille de la révolution. Et même lorsque celle-ci a éclaté, ils ont d’abord adopté une attitude extrêmement prudente. La seule et unique chose qui les préoccupait était la préservation de leurs propres intérêts. Cet objectif n’a pas changé. Si les impérialistes ont finalement décidé d’agir contre Kadhafi, c’est précisément pour contrecarrer le mouvement révolutionnaire et protéger leurs investissements, leur propriété, leurs intérêts commerciaux et militaires.
Il est arrivé à maintes reprises, dans l’histoire, que l’action de la classe révolutionnaire profite à une fraction de l’ancienne classe dirigeante qui, une fois au pouvoir, applique une politique tout aussi réactionnaire que l’ancien régime. C’est ce qui menace la révolution libyenne. Celle-ci a commencé sous l’impact et l’inspiration des révolutions tunisienne et égyptienne. Dans ces deux pays, les dictateurs ont été renversés avec une relative facilité. Les masses libyennes se sont mobilisées pour en finir avec Kadhafi. A Benghazi et ailleurs, c’est le soulèvement des travailleurs et des jeunes qui a permis de rallier une importante section de l’armée et qui a désarmé les contre-révolutionnaires. Dans un premier temps, les masses semblaient invincibles. Des soulèvements victorieux éclataient dans toute une série de villes.
Il semblait que le sort de Kadhafi était scellé. Sous les coups de butoir de la révolution, le régime a commencé à se disloquer. Chefs militaires, anciens ministres et diplomates abandonnaient leurs postes. Les rats quittaient le navire en perdition. Toutes ces « personnalités » jouissaient jusqu’alors de la confiance de Kadhafi. Or ce dernier ne l’accordait pas sans de sérieux gages. Tous ces gens avaient participé à l’implacable sauvagerie qui s’abattait sur tous ceux qui osaient défier le régime. Mais face à l’apparente imminence de son effondrement, ils se sont empressés d’adopter une posture « oppositionnelle », aux côtés de nombreux grands capitalistes libyens. Leur objectif est clair : profiter de la révolution pour prendre la place de Kadhafi. Ce sont précisément ces éléments réactionnaires qui dominent le « Conseil National de Transition ». C’est sur eux que les impérialistes misent, à présent, pour arrêter la révolution et protéger leurs intérêts.
Indiscutablement, le facteur principal qui a mené à l’affaiblissement de l’élan révolutionnaire a été l’apparition, comme « représentants de la révolution », de ces réactionnaires notoires, ainsi que leur connivence avec les grandes puissances. Par le passé, les Libyens ont terriblement souffert de la domination impérialiste. Sous l’occupation italienne, en particulier, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés. Que doivent penser les masses libyennes qui voient un réactionnaire tel que Berlusconi soutenir l’opposition à Kadhafi ?
La révolution est en danger. Elle risque d’être désarmée et écrasée à la fois par les forces de Kadhafi et par les nouveaux amis « oppositionnels » des impérialistes. Pour que la révolution soit victorieuse, il est absolument impératif que les travailleurs et les jeunes qui la portent soient armés, organisés et mobilisés sous leur propre drapeau et autour d’un programme indépendant pour la défense de leurs propres intérêts, qui ne sont pas les mêmes que ceux des ex-Kadhafistes. Ceux-ci veulent dominer le pays pour leur propre compte et pour celui des impérialistes.
L’objectif des travailleurs n’est pas de remplacer un oppresseur par un autre, mais d’en finir avec toute oppression. Ils doivent s’organiser autour d’un programme pour l’expropriation et le désarmement de tous les réactionnaires, de tous les complices de Kadhafi. Ils doivent avancer un programme social qui réponde à leurs besoins en matière de salaires, de conditions de travail et de vie. Les travailleurs libyens ne peuvent compter que sur leurs propres forces et celles des travailleurs des autres pays. Ils devraient notamment en appeler aux travailleurs d’Egypte et de Tunisie, pour qu’ils prennent le pouvoir dans leurs pays respectifs. Les gouvernements actuels, en Egypte et en Tunisie, ne représentent pas les intérêts des travailleurs. Leur rôle essentiel est le même que celui des ex-Kadhafistes : protéger les intérêts des impérialistes.
Dans tous les pays en révolution, les travailleurs ont besoin d’une stratégie révolutionnaire internationaliste visant à détruire les fondements de l’exploitation et de l’oppression, par la suppression de la propriété capitaliste de l’industrie et des banques – et par le désarmement de la contre-révolution. A la place des armées dirigées par des généraux réactionnaires, il faut armer les travailleurs et les soldats qui ont rallié leur cause. La propriété publique de l’économie, sous le contrôle des forces révolutionnaires, et l’armement de la révolution contre ses ennemis : telles sont les deux conditions essentielles de l’émancipation des masses.
Les difficultés créées par l’absence d’une organisation et d’un programme indépendants de la classe ouvrière libyenne ont ouvert une brèche dans laquelle les impérialistes veulent s’enfoncer. Si les frappes aériennes que l’ONU vient d’autoriser font chuter Kadhafi, il risque d’être remplacé par un gouvernement qui devrait son existence et sa « stabilité » aux grandes puissances. Tel est le véritable calcul de la résolution 1973. Dans le cas où Kadhafi arriverait à se maintenir au pouvoir à Tripoli, il conserverait le contrôle de toute une partie du pays. Une intervention militaire des impérialistes n’apportera rien de bon aux masses libyennes. Nous ne pouvons en aucun cas la cautionner ou la soutenir.