Le jour de la St-Valentin, une quarantaine d’infirmières du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont occupé les bureaux du siège social de leur CIUSSS pour dénoncer l’utilisation du temps supplémentaire obligatoire (TSO) pour pallier le manque de personnel. Le problème n’est pas nouveau. Malgré qu’ils soient unilatéralement dénoncés par tous les milieux, les TSO demeurent utilisés de façon quasi systématique. Les TSO représentent un problème véritablement endémique qui affecte gravement la vie personnelle des infirmières et nuit à la qualité des soins.
Surcharge de travail
Le recours au TSO est en explosion depuis quelques années, particulièrement depuis l’application de la réforme du système de santé en 2015. Entre 2015 et 2017, l’utilisation du TSO a augmenté d’entre 5 et 38% d’un établissement à l’autre. En raison du TSO, il est très fréquent que des infirmières soient forcées de travailler des quarts de 16 heures. Beaucoup d’infirmières rapportent être prises au piège au travail, et être menacées de sérieuses conséquences si elles refusent un TSO. Par exemple, deux infirmières ont été suspendues l’hiver dernier pour avoir refusé de rester au travail après un quart de nuit.
À la fatigue des longues journées de travail s’ajoutent aussi de lourdes charges de travail. Partout au Québec, les urgences débordent. Dans certains établissements, le taux d’occupation des civières à l’urgence monte jusqu’à 200%! Cela a été observé à l’Hôpital du Suroît et au Centre hospitalier Anna-Laberge en janvier 2019. Ces débordements résultent en surcharge de travail pour les infirmières et préposées. Il devient alors difficile de donner même les soins minimaux requis.
Manque de personnel
La cause principale du recours au TSO est le manque de personnel dans le système de la santé. Cette pénurie s’est fortement aggravée suite aux compressions de 963,4 millions de dollars dans le système de la santé entre 2014 et 2016.
Par exemple, le CHUM estimait en 2018 que son manque s’élevait à 500 infirmières. Les mauvaises conditions de travail poussent les infirmières à abandonner la profession en grand nombre, ce qui empire la pénurie. L’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) estime que 10% des nouvelles infirmières vont quitter la profession dans les cinq premières années de pratique. De plus, la crise dans le système de santé a un effet dissuasif sur les infirmières en herbe. En 2017-2018, le nombre d’infirmières ayant obtenu leur permis a baissé de 550 par rapport à 2015. Les programmes de soins infirmiers connaissent aussi une baisse de leurs inscriptions. L’exemple le plus marquant est l’absence complète d’étudiantes en première année dans le programme d’enseignement des soins infirmiers au Centre d’études collégiales de Charlevoix. Des baisses significatives dans les inscriptions ont aussi été observées dans les collèges de La Pocatière, Sorel-Tracy, Shawinigan, Beauce-Appalache et de Matane.
Organisation des infirmières
Cette situation insoutenable a eu comme effet de raviver le désir de changer les choses chez les travailleuses de la santé. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) a rapporté une hausse importante du nombre de griefs pour TSO, passant de deux en 2015 à 4526 griefs en 2018. De nombreuses lettres ouvertes d’infirmières épuisées ont été publiées dans les journaux. Les réseaux sociaux abondent de témoignages et d’infirmières sur les conditions de travail déplorables et leurs effets sur les patients. On se souviendra par exemple du cri du coeur de l’infirmière Émilie Ricard l’an dernier, partagé plus de 45 000 fois sur Facebook. Malgré que la colère soit palpable depuis des années, la situation ne change pas.
Des initiatives de visibilité (macarons, t-shirts) ont par ailleurs été entreprises. Des manifestations ont également été organisées, la plus récente ayant eu lieu le 28 février à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Mais les actions les plus significatives jusqu’à présent sont certainement les sit-in spontanés survenus un peu partout dans la province. Ils démontrent le ras-le-bol généralisé et la volonté de changement, qui s’expriment sans qu’aucune directive vienne « d’en haut ».
Pourtant, on constate que les syndicats tardent à organiser sérieusement une contestation de masse. La faute en incombe à la direction syndicale, qui privilégie une attitude conciliatrice plutôt que combative. L’hiver dernier, la présidente de la FIQ, Nancy Bédard, a même insisté pour se déresponsabiliser des sit-in spontanés survenus notamment à Trois-Rivières, Sorel et Laval, affirmant qu’ils n’étaient « absolument pas » commandés par le syndicat. On se rappellera également des propos de l’ancienne présidente de la FIQ, Régine Laurent, qui avait affirmé qu’il fallait « trouver tous les moyens, sauf la grève » dans les négociations avec le gouvernement.
Mais refuser d’avance d’utiliser la grève équivaut à priver le mouvement de son meilleur outil avant même que la lutte ne commence véritablement. La faiblesse invite à l’agression. Les infirmières ne pourront améliorer leurs conditions de travail que si elles démontrent qu’elles sont prêtes à recourir à tous les moyens nécessaires pour gagner. Justement comme l’indiquent les sit-in spontanés, ce n’est pas le désir de combattre qui manque. Il faut maintenant que la direction prépare un plan d’escalade des moyens de pression allant jusqu’à la grève. C’est seulement ainsi que nous pourrons vraiment secouer le gouvernement et le forcer à agir pour remédier à la situation dramatique dans le système de santé. Un tel mouvement trouverait certainement un écho sympathique dans l’ensemble de la classe ouvrière.