Après le marathon diplomatique de la fin de l’été, un énième cessez-le-feu a été conclu le 10 septembre dernier. Il est entré en vigueur deux jours plus tard, mais s’est effondré en moins d’une semaine, dans un concert d’accusations mutuelles entre les Etats-Unis et la Russie.
Le 17 septembre, en effet, un raid aérien massif mené par des avions de l’OTAN a frappé des positions syriennes autour de Deir ez-Zor, un bastion du régime, dans l’Est du pays, qui est encerclé par l’Etat Islamique depuis 2014. Ces frappes ont fait au moins 90 morts parmi les troupes syriennes, peu habituées à être la cible d’attaques aériennes. Dans la désorganisation qui s’en est suivi, l’EI est passé à l’offensive et a conquis les positions qui venaient d’être frappées. Damas et Moscou ont accusé l’OTAN d’avoir partie liée avec l’EI et de vouloir couler l’accord du 10 septembre. Les Etats-Unis ont répondu qu’il s’agissait… d’une erreur humaine.
Le 19 septembre, c’est à Alep qu’un convoi d’aide alimentaire du Croissant rouge a été lourdement frappé par des tirs de l’artillerie syrienne. A leur tour, les Occidentaux ont accusé Bachar al-Assad et ses protecteurs russes de vouloir saboter l’accord, tandis que Moscou accusait les « rebelles » d’avoir mené cette attaque pour en faire porter la responsabilité au régime de Damas. Quoi qu’il en soit, les combats ont repris sur tous les fronts de cette guerre.
Contradictions insurmontables
Le cessez-le-feu n’avait aucune chance de durer : la plupart des belligérants n’y avaient pas intérêt. La priorité du régime de Bachar al-Assad est d’écraser la rébellion et de reprendre le contrôle, sinon de toute la Syrie, au moins des zones les plus importantes. Dans ce contexte, un cessez-le-feu offrait aux rebelles un répit et la possibilité de préparer leur défense face à de futures offensives gouvernementales. C’est sans doute cette perspective qui explique l’attaque du 19 septembre contre le convoi humanitaire du Croissant rouge, le régime syrien cherchant par tous les moyens à saborder le cessez-le-feu.
De son côté, la rébellion n’était pas beaucoup plus enthousiaste vis-à-vis du cessez-le-feu. Plusieurs de ses composantes les plus importantes avaient été exclues de l’accord (notamment Jabhat Fatah Al-Sham, le nouveau nom de Jabhat Al-Nusra, branche syrienne d’Al-Qaïda) et auraient donc continué à être frappées par l’aviation russe, alors même qu’elles tiennent des pans importants du front d’Alep face aux troupes de Bachar al-Assad. Mais les autres groupes, officiellement couverts par l’accord, n’étaient pas très convaincus non plus, car ils ont déjà fait l’expérience d’un cessez-le-feu en février dernier, qui n’avait pas été respecté par l’aviation russe. En pratique, l’idée même d’un cessez-le-feu ne concernant qu’une partie des groupes rebelles est absurde, tant il est impossible de distinguer, sur le terrain, où s’arrêtent les groupes « modérés » soutenus officiellement par l’OTAN et où commencent les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda.
De même, le gouvernement turc ne voulait pas d’un véritable cessez-le-feu, car il veut poursuivre son combat contre les Kurdes syriens, qui sont le principal ennemi d’Erdogan. Mais dans le même temps, les Kurdes sont les seuls alliés fiables des Etats-Unis pour combattre effectivement l’EI. Vladimir Poutine, qui est maître du jeu depuis l’intervention directe de l’armée russe, l’an dernier, en profite pour exacerber les divergences entre Washington et Ankara. L’intervention turque du mois d’août, dirigée avant tout contre les Kurdes, a ainsi bénéficié d’une sorte d’approbation tacite de la part de Moscou, car cela renforçait les tensions entre Washington et son allié turc.
Un chaos sans fin
Le gouvernement américain et l’Union européenne veulent une solution rapide à la crise syrienne – mais pas aux conditions russes. Cependant, ils n’ont pas de troupes au sol pour imposer leur solution. Les Etats-Unis payent ainsi le prix de leurs interventions passées dans la région. Elles ont brisé l’équilibre géopolitique du Moyen-Orient et réduit les capacités de manœuvre de l’impérialisme américain. C’est cette faiblesse des Etats-Unis qui rend insolubles les contradictions dans lesquelles ils se débattent – et qui permet à la Russie, malgré des moyens plus modestes, d’apparaître comme la principale force dans cette crise.
Mais cette force est elle-même fragile. La crise économique qui frappe le capitalisme mondial n’épargne pas la Russie. Son économie est en très mauvais état et il n’est pas sûr qu’elle ait longtemps les moyens de jouer le rôle qu’elle tente de se donner au Moyen-Orient. La Russie essaie déjà de s’appuyer au maximum sur les troupes iraniennes, pour compenser les faiblesses des troupes de Damas, qui sont ravagées par la corruption, les désertions et l’incompétence du corps des officiers. De fait, les opérations offensives ne rencontrent de succès décisifs qu’avec la participation directe de troupes russes, comme ce fut le cas lors de la reprise de Palmyre à l’EI, l’hiver dernier.
En intervenant en Syrie, la Russie s’est à son tour engagée dans un chaos qu’elle ne peut pas arrêter. Les impérialistes ont libéré dans tout le Moyen-Orient des forces qu’ils sont incapables de contrôler. L’enfer qu’est devenue la Syrie, pour ses habitants, est le reflet de l’impasse générale du système capitaliste. Seule une deuxième vague de la révolution arabe pourra changer la donne.