Le livre de Catherine Dorion Les têtes brûlées : carnets d’espoir punk, portant sur ses quatre années comme députée, lève le voile sur le parlementarisme bourgeois, le monde étouffant des médias capitalistes, ainsi que les dynamiques internes chez Québec solidaire. C’est un témoignage qui vaut le détour.
Les passages sur QS sont extrêmement révélateurs. Depuis plusieurs années, les marxistes de La Riposte socialiste expliquent patiemment la lourde tendance à la modération chez QS, la tendance à éviter de confronter de front les capitalistes, les médias, les politiciens bourgeois, bref le fameux establishment. Le livre de Catherine Dorion vient entièrement confirmer ce que nous avons dit et écrit à de nombreuses reprises.
Parlementarisme bourgeois
« Considérez n’importe quel pays parlementaire […] la véritable besogne d' »État » se fait dans la coulisse ; elle est exécutée par les départements, les chancelleries, les états-majors. Dans le parlement, on ne fait que bavarder, à seule fin de duper le « bon peuple ». »
Ces mots sont de L’État et la révolution, écrit par Lénine en 1917. Les anecdotes du livre de Catherine illustrent pleinement ces « bavardages », et confirment pleinement ces mots d’il y a plus de 100 ans.
Elle raconte le fonctionnement des commissions parlementaires, où « ni la pertinence des arguments ni la performance de la prise de parole n’ont d’incidence sur le résultat ». La CAQ étant majoritaire, tout sauf des amendements mineurs sont refusés.
« Le signal est donné. Les autres députés du parti au pouvoir, qui portent le joli sobriquet de plantes vertes, lèvent alors la tête de leurs boîtes de courriels, de leur game de solitaire ou de la partie de hockey qu’ils regardent pour tromper l’ennui (que celui qui n’a jamais péché leur jette la première pierre). L’un après l’autre, ils lâchent le mot: CONTRE. Ce qu’ils pensent du projet de loi n’a aucune importance. Ils s’oublient, s’annihilent, se donnent à plus grand qu’eux : la CAQ. »
Elle raconte ensuite comment au Salon bleu, on dénonce ce qui se passe en commission « face à d’autres députés qui seront là pour le quorum et qui scrolleront dans le vide sur leur cell ». Puis, il y a la période de questions, « un exercice de mauvaise foi de haut niveau » où, comme nous le savons déjà, personne ne répond à quelque question de toute façon. « À quoi servent ces simagrées? Pourquoi est-ce qu’on fait ça? », se demande-t-elle.
Les véritables décisions sont prises par François Legault et son équipe. Le jeu parlementaire n’est que la façade, cette « téléréalité » comme Catherine le dit, où « les médias en sont les scénaristes et les metteurs en scène, tandis que les politiciens en sont les participants zélés prêts à tout pour remporter le gros lot. »
Mais sa critique ne s’arrête pas là. Tout au travers du livre, sa dénonciation des médias et du parlementarisme bourgeois vise également la direction de QS, qui se soumet entièrement au cirque.
QS, le « bon élève »
Dès son arrivée comme députée, Catherine Dorion se bute non seulement à la machine médiatique et parlementaire, mais à l’appareil de son parti qui est surtout soucieux de ne pas avoir l’air trop radical et de respecter les règles.
Cela commence dès le début avec le fameux serment à la Reine. Elle raconte :
« Personne à QS n’était enchanté par le ridicule de ce serment. Mais la direction de notre parti nous disait, à nous, les huit députés tout bleus et tout frais : “Y a pas moyen de faire autrement. Si on essaie de s’opposer à ça, les médias vont raconter qu’on fait des enfantillages. Pas le choix.” »
L’ironie de l’histoire est que ce sont justement les « enfantillages » de Paul St-Pierre-Plamondon et du Parti québécois qui ont permis de mettre fin au serment en 2022. Le parti a d’ailleurs connu une résurrection depuis lors, pendant que QS avait l’air mou et sans principes. Comme nous l’avons expliqué l’an dernier, « la modération et la foi aveugle dans le parlementarisme des députés de QS » a fait passer le parti à côté d’une excellente occasion de défier l’establishment.
Un autre exemple concerne la loi 21. Catherine raconte qu’elle avait publié une vidéo pour Noël, rapidement devenue virale, où elle dénonçait le sort réservé aux musulmans au Québec. Mais ce n’est pas bien reçu au sommet du parti :
« Bref, mes petites vidéos ne font pas consensus à l’interne et Gabriel [Nadeau-Dubois] me le fait savoir. Que cette publication ait été approuvée par nos gens des comms ne change rien à son avis sur la question : cette vidéo était mal avisée. Une erreur politique. Il faut marginaliser cet enjeu des signes religieux ostentatoires parce que, selon lui, nous ne pouvons que perdre des plumes à exprimer notre sentiment sur la question. » [Nos italiques]
Depuis des années, la question des signes religieux a été imposée par la droite nationaliste comme son arme de distraction massive. Pendant tout ce temps, QS a tergiversé sur la question, poussant d’abord pour un « compromis », et sans jamais s’opposer de front aux tentatives de la droite d’imposer des politiques discriminatoires. Au lieu de courageusement défier la droite nationaliste, QS plie sans arrêt et évite de la critiquer de front. Cette petite anecdote du livre révèle la couardise crasse de la direction sur cette question.
Il était impossible que le livre de Catherine ne revienne pas sur le concert assourdissant dans les médias sur son t-shirt, sa tuque et son coton ouaté. Mais ici aussi, on voit comment le parti aussi aurait préféré qu’elle suive le décorum du Salon bleu.
Au début du livre, elle raconte son impatience devant une conseillère qui lui recommandait de trouver du « linge plus chic ». Elle raconte également : « Vers la fin du mandat, ce sont des collègues de mon parti qui me diront parfois: “T’as un coat de jeans… change-le pour un veston, on veut pas se faire écœurer.” »
Le point commun de toutes ces anecdotes est la réaction allergique de la direction de QS envers toute possibilité que le parti soit vu comme trop radical ou trop opposé au décorum bourgeois. Mais celui qui plie et capitule sur les petites choses le fera aussi pour les grandes choses. Catherine l’explique bien :
« [S]i on s’écrase devant le pouvoir de [tous les chroniqueurs, animateurs-vedettes et autres anticorps du système], comment pourra-t-on, une fois au gouvernement, faire face aux pouvoirs plus grands, ceux de la finance et des grands lobbys? Si on se laisse anéantir par les premiers gendarmes du système croisés sur notre chemin, comment peut-on espérer aller plus loin dans nos luttes? »
Elle a bien raison.
Cette propension à plier aux normes bourgeoises, Catherine la nomme la « stratégie du bon élève ». Un chapitre du livre est d’ailleurs consacré à expliquer la trahison de Syriza, le parti de gauche en Grèce (similaire à QS) ayant pris le pouvoir en janvier 2015 en promettant de renverser l’austérité. Les sommets du parti ne voulaient toutefois pas rompre avec le système dominé par les banques européennes et les riches. Ils ont donc capitulé honteusement, et ont imposé l’austérité à leur tour. Catherine en tire la conclusion que la stratégie du « bon élève » ne fonctionne pas. Le message est clair : la trajectoire politique actuelle de QS mènerait le parti au même cul-de-sac que Syriza en Grèce.
GND et QS : les marxistes avaient raison
Bien que Catherine ait tenu à minimiser publiquement la place qu’occupent les critiques de la direction de QS dans son livre, il reste que tout au long du récit, le conflit sous-jacent entre Gabriel Nadeau-Dubois et sa clique d’un côté, et Catherine Dorion de l’autre, est bien présent.
On apprend que Gabriel se serait opposé à des initiatives de solidarité avec Catherine Dorion au sujet des attaques incessantes à propos de son linge. De manière générale, elle explique que le régime autour de GND lui fait comprendre à plusieurs reprises, via d’autres personnes, qu’il n’aime pas l’attention qu’elle reçoit.
Probablement le passage le plus fort est le suivant :
« Une personne centrale au parti, présente depuis longtemps, m’a un jour avoué candidement, avec un grand sourire, qu’“avant l’arrivée de Gabriel, on laissait ces postes [les divers postes dans le parti] au hasard de la démocratie, sans faire de démarchage”. Ils avaient développé avec le temps une expertise difficile à égaler dans ces luttes intestines aux règles sibyllines et aux méthodes complexes. À tel point qu’il était devenu presque impossible de gagner une élection interne sans leur soutien – et donc, sans l’appui en sous-main de Gabriel. À l’interne, des esprits caustiques les appelaient “la mafia”. »
Ce passage dévastateur et les anecdotes décrites plus haut confirment la dynamique qui s’est installée au parti. Mais il n’y a pas de quoi se surprendre. En 2021, les marxistes de La Riposte socialiste avaient lancé une campagne pour les idées socialistes dans Québec solidaire, expliquant avec des exemples concrets la modération du programme et du discours du parti. Nous expliquions aussi que ce souci de ne pas avoir l’air trop radical était poussé par une clique autour de GND. En 2021, autour de la réprimande publique du Collectif antiraciste décolonial de QS, nous écrivions :
« Nous voyons donc sous nos yeux la solidification du contrôle bureaucratique et l’élimination de l’opposition politique à ce qui est franchement un régime de parti modéré et opportuniste. […] Le parti a été infiltré – pas par la gauche radicale, mais par une clique professionnelle de réformistes qui travaillent à éliminer petit à petit les traditions anticapitalistes et radicales de QS.
[…] Effectivement, c’est un secret de polichinelle au sein du parti qu’avec l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois en 2017 comme sauveur, la direction a connu des changements profonds et a approfondi son virage vers la modération. […] Alors que la gauche radicale du parti est accusée d’ “infiltration”, la véritable infiltration qui a eu lieu sous nos yeux reste dans l’obscurité. »
Le témoignage de Catherine démontre clairement l’existence de ce régime de parti modéré et opportuniste (« la mafia »!). C’est ce régime qui préside la stagnation actuelle de QS, incapable de connecter avec l’humeur de la classe ouvrière et des pauvres au Québec.
Et maintenant?
Le livre de Catherine Dorion est bienvenu dans la mesure où il illustre par un témoignage direct la banqueroute du parlementarisme et des médias bourgeois. La « Maison du peuple » est celle où les intérêts des riches sont défendus et où quiconque sort du moule avec éclat est ostracisé et réprimandé.
Le livre de Catherine saura rejoindre de nombreux militants de QS qui y ont vu la même chose qu’elle. La critique de la direction du parti et sa propension à accepter toutes les règles du jeu et à ne pas brasser la cage est concrète et dévastatrice. Il est indéniable que GND et sa clique amènent le parti dans cette direction. Et c’est la mauvaise.
Alors que des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs deviendront de plus en plus écoeurés par le système capitaliste, ils ne seront pas enthousiasmés par un parti qui se soumet aux règles des riches et de leurs institutions pourries. Comme nous l’avons dit ailleurs, le rôle des députés qui prétendent représenter les travailleurs devrait être d’utiliser leur tribune pour exposer la classe dirigeante, ridiculiser leurs règles et dénoncer le capitalisme et ses horreurs.
Malheureusement, la critique de Catherine tombe plutôt à plat, car elle n’a ultimement rien de concret à proposer. Ses appels vagues et abstraits à un « mouvement social », à « faire la révolution », se combinent à un certain pessimisme qui traverse le livre. Elle dit par exemple :
« Depuis des années, je m’attelle avec fièvre à dénicher l’ingrédient magique qui enflammerait un mouvement social au Québec, pour qu’on se lie en masse en dehors de la gargantuesque prison mouvante des puissants et des exploiteurs. Mais comment accomplir cela alors que nous ne savons même pas comment sortir individuellement de nos petites cellules, moi la première? »
De plus, Catherine Dorion n’a malheureusement pas tenté de mener cette bataille contre la direction modérée de QS durant son mandat. Elle explique dans son livre qu’elle n’avait pas la force pour le faire. Elle n’est pas la seule : nombreuses sont les figures de la gauche du parti qui ont simplement quitté plus ou moins silencieusement le parti depuis cinq ans, plutôt que de tenter de ramener le parti dans la voie de sa tradition anticapitaliste et anti-establishment. Les marxistes étaient bien souvent les seuls à nommer tout haut le problème de la direction de QS. Maintenant, GND est pour l’instant bien en selle et la gauche du parti a largement abandonné le navire.
Ce qui ressort de ce livre, c’est la cristallisation du réformisme et de la foi aveugle dans le parlement au sein de la direction de QS. La direction autour de GND a la conviction que QS pourrait implanter de véritables changements de société sans rompre avec le capitalisme et dans les confins des rituels décoratifs du parlement. Or, l’histoire de la gauche au pouvoir dans tous les pays est que les capitalistes ne se laisseront pas faire et seront sans pitié pour un parti de gauche ayant une foi naïve dans le système – Syriza, mentionné plus haut, en étant une des preuves les plus récentes.
Lorsque Catherine Dorion parle de « révolution » et de « mouvement social », il faut concrétiser ces paroles. Il faut remettre la perspective socialiste à l’ordre du jour. Les travailleurs du Québec ont besoin d’une voix qui dénonce sans détour le capitalisme, et propose une rupture révolutionnaire avec ce système : nationaliser les banques et grandes entreprises, et mobiliser les travailleurs pour y arriver.
Cela ne peut se faire sur une base individuelle en cherchant un « ingrédient magique ». Cela peut se faire si nous construisons dès aujourd’hui une force communiste révolutionnaire de masse. C’est ce que les communistes de La Riposte socialiste proposent pour la gauche et le mouvement ouvrier au Québec.