Vendredi 12 juillet, 600 personnes ont occupé le Panthéon, à Paris, en signe de protestation contre la répression des sans-papiers, confrontés au racisme, à de terribles conditions de vie et de travail, et à la menace constante de se retrouver en centre de rétention et déporter.
Ces militants, les gilets noirs, exigeaient, entre autres choses, que le Premier ministre Édouard Philippe leur octroie des documents leur permettant de vivre et travailler légalement en France.
Pendant que le personnel évacuait les visiteurs venus rendre hommage aux sépultures de héros nationaux tels que Voltaire, Marie Curie et Victor Hugo, les gilets noirs distribuaient pacifiquement des tracts expliquant les raisons de leur occupation :
« Nous sommes les sans-papiers, les sans voix, les sans visage de la République française. On vient sur la tombe de vos grands hommes pour dénoncer vos profanations. […] [et] pour demander au Premier ministre de fournir des papiers à tous les migrants sans papiers de France. »
Après avoir pris possession du bâtiment, les manifestants ont scandé : « Que voulons-nous ? Des papiers ! Pour qui ? Pour tous ! »
À la suite de négociations avec le personnel du Panthéon et la police, il a finalement été convenu que, s’ils quittaient pacifiquement le bâtiment, les gilets noirs ne seraient inquiétés d’aucune poursuite. Mais à leur sortie du bâtiment, la police s’en prit immédiatement à eux, ce qui entraîna de nombreuses arrestations.
Selon les journalistes présents sur les lieux, les manifestants furent « traités comme du bétail », frappés par plusieurs charges de la police et détenus grossièrement. Des images ont circulé, sur les réseaux sociaux, montrant des policiers se tenant debout sur le dos de gilets noirs, un sourire aux lèvres ; un photographe de Libération a également été agressé. La brutalité de l’État français, révélée au grand jour lors du mouvement des gilets jaunes, fut encore une fois exposée.
Le lendemain, un groupe de gilets noirs s’est réuni dans un commissariat de police pour exiger la libération des membres du Panthéon. Un manifestant souligna avec colère le rôle de l’impérialisme français dans la situation critique où se trouvent actuellement les travailleurs migrants :
« C’est notre maison. Le seul crime des personnes arrêtées est d’être né en dehors de la France. Si nous sommes ici, c’est parce que la France a colonisé nos pays ».
Les sans-papiers ripostent
Les gilets noirs construisent leur campagne depuis des mois, inspirés par le mouvement des gilets jaunes qui se bat contre le gouvernement des riches de Macron depuis octobre 2018, attirant plus d’un demi-million de personnes dans la rue. Les gilets noirs sont loin de l’ampleur du mouvement original, mais ont été influencés par ses méthodes et son militantisme.
Un gilet noir, connu sous le nom de Kanouté, a déclaré dans une interview que les gilets jaunes « représentent une force puissante en France actuellement, car ils protestent chaque semaine, et n’abandonnent pas. C’est à cela que souhaitions faire référence en choisissant le nom de notre mouvement, le fait que nous souhaitons être aussi puissants qu’eux, que l’on ne veut plus être effrayés, et déclarer que nous nous battrons pour nos droits légitimes de toutes les façons possibles. »
Les gilets noirs ont gagné en importance grâce à une lettre ouverte, signée par un certain nombre de célébrités françaises, publiée par Libération en juin. Le même mois, la députée Danièle Obono (FI) a également remis une lettre du groupe parlementaire à Édouard Philippe.
L’occupation du Panthéon n’était pas leur première action publique. En novembre, 400 gilets noirs ont protesté pour la libération des migrants detenus dans les centres de rétention français, décrits comme des « prisons pour étrangers », détenant 46 800 personnes en 2017, dont 2797 mineurs. En décembre, 700 gilets noirs réunis devant la Comédie Française exigèrent une réunion avec le ministre de l’Intérieur pour demander des logements décents pour les migrants.
En mai, quelques centaines de gilets noirs ont occupé un terminal de l’aéroport de Roissy – Charles de Gaulle pour protester contre le rôle d’Air France, « déporteur officiel de l’État français ». Et en juin, ils ont occupé les bureaux de nettoyage et de restauration de l’entreprise Elior au sein du quartier d’affaire de La Défense.
En France, les migrants peuvent travailler et ainsi être régularisés, devenant des « migrants légaux ». Mais avant que l’Etat ne prenne en considération cette demande de régularisation, leur employeur doit au préalable signer une série de documents officiels. Or, de nombreuses entreprises, comme Elior, refusent de le faire, car il est plus facile d’exploiter les travailleurs en faisant planer la menace du centre de rétention au-dessus de leur tête.
Tout comme le mouvement des gilets jaunes, qui commença par une protestation contre la hausse de la taxe sur les carburants, pour finalement exploser dans une protestation contre des injustices plus vastes touchant la classe ouvrière et les pauvres, la demande de régularisation des migrants portée par les gilets noirs déboucha sur une remise en question de tout l’édifice pourri du capitalisme et de l’impérialisme français.
Lors d’une assemblée, après une manifestation au siège d’Elior, les gilets noirs ont décrit le quartier d’affaires de Paris comme « le cœur de l’impérialisme » et ont déclaré que les entreprises y ayant leur siège « pillaient l’Afrique » :
« Suez qui vole son eau, la Société Générale qui vole son argent et qui finance la pollution de l’Afrique avec les centrales à charbon, Thalès qui construit les armes avec laquelle ils y font la guerre. [Ce sont] les mêmes qui détruisent nos vies là-bas qui nous font la guerre ici ! »
« [Les entreprises françaises] ne veulent pas que les pays d’Afrique soient indépendants, car ils ne peuvent pas en tirer profit. Ils veulent juste que nous restions à genoux pour pouvoir exploiter nos ressources et faire des profits… Ils divisent la population en Afrique pour qu’ils puissent la contrôler. »
Les tracts distribués aux visiteurs du Panthéon le 12 juillet ne deamandaient pas uniquement la régularisation des sans papiers. Ils expliquaient que, par le biais de l’exploitation des sans-papiers et de ses actions impérialistes en Afrique, « la France continue l’esclavage par d’autres moyens… Nous ne luttons pas simplement pour obtenir des papiers, mais contre un système qui fait de nous des sans-papiers. »
Ce sont des conclusions avancées émanant d’une couche de travailleurs auto-organisés qui a été sévèrement écrasée et éloignée du reste de la classe ouvrière durant des années. Cela montre à quel point les attaques de Macron sur les travailleurs et les pauvres poussent toutes les couches de la société française vers une lutte militante.
Les gilets noirs ont également montré un très impressionnant instinct de solidarité et d’unité dans la lutte de classe, comme l’a exprimé Kanouté dans l’interview : « Si quelqu’un se bat n’importe où, à Paris, à Marseille ou ailleurs, nous le soutiendrons. Il est important de se soutenir mutuellement, contre l’État et les entreprises qui exploitent des sans-papiers. »
Une autre militante, Mariana, a confirmé que leur groupe avait déjà contacté des groupes d’ouvriers et de gilets jaunes de Paris afin de construire une action collective.
Gilets noirs, jaunes et rouges tous ensemble !
La réponse du Premier ministre à la manifestation du Panthéon fut aussi condescendante que celle de Macron aux gilets jaunes : « La France est un État de droit, dans tout ce que cela implique : respect des règles qui s’appliquent au droit au séjour, respect des monuments publics et de la mémoire qu’ils représentent ».
Ces propos fourbes sont particulièrement risibles à la lumière des derniers mois durant lesquels « l’État de droit » a très clairement montré son véritable rôle : réprimer et terroriser les masses qui se révoltent contre le pouvoir du capital.
Nous ne devons pas oublier les actes de violence perpétrés contre les gilets jaunes, qui ont laissé de nombreuses personnes éborgnées et mutilées. Cette violence n’a pas pris fin. Cette semaine encore, lors du 14 juillet, des policiers ont lancé des gaz lacrymogènes contre des manifestants à Paris. Les manifestations hebdomadaires des gilets jaunes continuent de subir une lourde répression.
La déclaration de Philippe montre qu’il est futile de demander audience aux représentants de l’administration Macron, pris dans le scandale des dispendieux repas au homard à l’Assemblée nationale, tandis qu’elle attaque la classe ouvrière.
Rien ne sera obtenu par la négociation avec ce gouvernement des riches, qui doit être vaincu. Pour que les migrants obtiennent le respect de leurs droits et que tous les travailleurs soient libérés de l’exploitation et de la répression, ils doivent s’unir sur une base de classe pour lutter contre le système capitaliste qui, en dernière analyse, est responsable de tous les maux de la société.
Les gilets noirs sont peu nombreux comparés aux gilets jaunes au plus fort du mouvement. Néanmoins, ce nouveau développement montre que, bien que les gilets jaunes aient reculé, ils sont devenus le catalyseur d’une colère profonde qui existe dans toutes les couches des masses françaises.
Il faut tirer les leçons de ce mouvement : de simples manifestations ne peuvent pas faire tomber le gouvernement Macron. Seule une mobilisation totale de la classe ouvrière ouvrant la perspective d’une grève générale radicale et illimitée est capable de paralyser le capitalisme français peut le garantir.
Tous les travailleurs – français ou étrangers - ont un ennemi commun : le capitalisme, qui les soumet à une exploitation et des violences effroyables, et l’impérialisme qui a plongé une grande partie de l’Afrique et du Moyen-Orient dans un cauchemar sanglant, pour finalement emprisonner et condamner avec hypocrise les migrants qui ont fui cet enfer.
La crise du capitalisme provoque des explosions sociales partout. L’une des anciennes colonies françaises, l’Algérie, est déjà en pleine révolution, et la France elle-même s’est retrouvée au bord d’une situation insurrectionnelle l’année dernière.
Les gilets jaunes et noirs doivent unir leurs forces et lutter ensemble pour la libération des migrants emprisonnés dans les centres de rétention, pour le droit des migrants de vivre et de travailler en France, pour de meilleurs salaires et conditions de vie pour tous les travailleurs, et contre le gouvernement détesté de Macron.
En attendant, les directions syndicales et politiques de gauche comme la FI doivent s’emparer de toutes ces revendications et lier l’ensemble de la classe ouvrière à ces mouvements de base pour en finir avec ce gouvernement.
Pour l’unité des travailleurs !
Pour les droits des migrants ! Contre les déportations !
Contre l’austérité ! Contre Macron !