Un reportage publié par Radio-Canada à la fin du mois de mai a mis au grand jour les conditions de vie horribles auxquelles sont soumis les travailleurs étrangers temporaires dans les serres des Productions Horticoles Demers à Drummondville. Les travailleurs guatémaltèques qui produisent les tomates de l’entreprise sont entassés pendant la durée de leur embauche dans des logements mal isolés et croulants sous la moisissure. Loin d’être un phénomène unique aux serres Demers, le problème des logements insalubres est un fléau dans la vie des travailleurs étrangers temporaires. Sans surprise, les patrons et leur gouvernement exploitent ouvertement la vulnérabilité particulière de ces travailleurs pour se remplir les poches.
À la merci des patrons
Plusieurs dizaines de milliers de travailleurs étrangers temporaires sont embauchés chaque année par des entreprises au Canada. Ces travailleurs sont exploités dans des secteurs clés comme la santé, les soins aux aînés et particulièrement le secteur agricole. Environ 60 000 d’entre eux sont engagés comme travailleurs agricoles saisonniers chaque année.
Provenant principalement du Mexique, de l’Amérique centrale et des Caraïbes, ces travailleurs se séparent de leurs familles pour séjourner au Canada pour des périodes pouvant s’étendre sur jusqu’à deux années.
Ces travailleurs reçoivent typiquement un salaire deux fois moindre que celui d’un Canadien pour du travail plus intensif. Ils travaillent durement pendant des journées de 18 heures de travail. Les patrons québécois et canadiens ne se retiennent pas pour profiter de cette main-d’œuvre bon marché.
Une fois au Canada, leur logement est choisi par les employeurs. Souvent, comme dans le cas de Demers, les travailleurs sont logés à proximité de leur milieu de travail. Déjà séparés de leurs familles par les frontières, ils sont aussi isolés du reste de la population. Ils se plaignent justement de ne pas pouvoir se déplacer librement en dehors des fermes et doivent avoir l’autorisation des patrons pour recevoir des visites sur leurs lieux d’habitations. Ils se font harceler et même confisquer leurs passeports.
Ces violations de leurs droits sont rarement déclarées, non parce qu’elles sont rares, mais plutôt parce que la barrière linguistique constitue une couche d’isolement supplémentaire pour les travailleurs étrangers temporaires. Les portails pour dénoncer ces abus au Canada ne sont pas accessibles dans d’autres langues que le français et l’anglais, et il n’y a pas de service d’interprétation. Cette réalité place les travailleurs étrangers temporaires dans une situation extrêmement vulnérable.
Pour couronner le tout, les travailleurs étrangers temporaires sont admis au Canada avec un permis de travail fermé. Le permis fermé lie ces travailleurs à un employeur spécifique et ils peuvent rester au Canada seulement tant que celui-ci les garde à leur service. Le travailleur risque donc à tout moment de perdre son droit de séjour au Canada, selon le bon vouloir de l’employeur. Donc, pour ces travailleurs, dénoncer les violations de leurs droits peut déclencher leur retour accéléré vers leur pays d’origine, ce qui signifie la perte d’une source de revenu essentielle pour faire vivre leur famille. C’est la recette parfaite pour garantir la violation de leurs droits sur les milieux de travail et de vie. Les travailleurs étrangers temporaires sont complètement à la merci des patrons.
Logements surpeuplés et insalubres
Les patrons, avec les politiciens à leur queue, y compris Legault, se sont empressés de rassurer ou de souhaiter que l’insalubrité des logements dans lesquels sont hébergés les travailleurs de Demers, tels que révélés par Radio-Canada, soit un cas isolé. De son côté, Jacques Demers, le PDG de l’entreprise feint l’ignorance.
Mais ce n’est pas un secret que les travailleurs étrangers temporaires sont logés de façon inadéquate au Québec et au Canada. En fait, plus de 1250 des plaintes reçues par le ministère du Travail du Mexique entre 2009 et 2020 concernent les conditions d’hébergement des travailleurs temporaires au Canada. Dans un sondage du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMQ), le tiers des 675 répondants trouvent que leurs logements sont inadéquats.
Les travailleurs rapportent que les lieux d’habitation sont infestés de rats et de punaises de lit. Ils doivent faire la file pendant des heures pour finir par prendre une douche froide. Ils dorment jusqu’à 20 personnes dans le même dortoir dans des lits superposés et doivent utiliser des toilettes à l’extérieur ou sans portes. Ils n’ont vraiment aucune vie privée.
« Nous n’avons pas de toilettes intérieures. Nous devons utiliser des toilettes portables à l’extérieur ou faire pipi dans une bouteille. Pas d’Internet ni de télévision. Pas de sèche-linge ni de machine à laver. Nous vivons dans des conditions d’esclavage moderne. Nous voulons des maisons décentes, pas des écuries. C’est pire que si nous étions en prison », relate un des travailleurs.
Pendant la pandémie, les patrons ne se sont pas gênés pour créer des conditions exacerbant les problèmes déjà existants. Par exemple, pour trouver de l’espace pour mettre des nouveaux travailleurs en quarantaine, au lieu de payer pour des chambres d’hôtel, Demers a déplacé des travailleurs dans un sous-sol sans autres meubles qu’un matelas posé directement sur le sol et en a confiné jusqu’à 14 dans la même salle pendant deux semaines.
Les plaintes faites au ministère du Travail au Mexique sont transmises à Emploi et Développement Social Canada sans que rien ne soit fait. Plusieurs organismes transmettent des rapports et des recommandations aux gouvernements du Québec et du Canada sur les conditions de vie des travailleurs étrangers temporaires depuis des années, en vain. Les patrons et leurs gouvernements sont clairement incapables d’offrir une solution à cette crise.
Normes dérisoires
Suite aux révélations de Radio-Canada, Jacques Demers a déclaré que les trois maisons et l’ancien motel décrépis et mal aérés aux placards couverts de moisissure dans lesquels il entasse les travailleurs toute l’année sont conformes aux règles définies par Ottawa. On peut lui donner le bénéfice du doute, car les prétendues normes établies par le gouvernement fédéral sont en réalité quasi-inexistantes.
Alors que l’ONU considère qu’un logement avec plus de trois personnes par pièces est surpeuplé et qu’au Canada la norme est d’une chambre par adulte, quand il en vient aux travailleurs étrangers temporaires, il est permis aux employeurs de les loger dans 7 mètres carrés par travailleur. Pire encore, cette aire est calculée sur la superficie de l’ensemble du logement et pas seulement des dortoirs. Six travailleurs par four et par frigo et 10 par toilette et par douche c’est raisonnable selon ces prétendues normes humiliantes.
Les dortoirs et les lits superposés sont interdits pour les travailleurs locaux, mais pour les étrangers, ils sont permis, même pendant la pandémie. Le gouvernement canadien établit simplement un minimum de 45 centimètres entre les lits. Les divers minimums d’espace et d’équipement établis sont loin en dessous des standards nationaux et internationaux. Malgré cela, les patrons s’en fichent complètement dans leur quête du profit.
« L’idée, c’est qu’ils soient heureux, mais ce n’est pas un monde de Calinours, ce sont des employés agricoles », déclare cyniquement Yannick Rivest, le conseiller aux ressources humaines de Jacques Demers. En effet, la vie des travailleurs étrangers temporaires au Canada n’est pas un monde de Calinours, mais plutôt un véritable enfer.
Des conditions similairement horribles sont imposées à des travailleurs locaux aussi, qu’ils font dormir dans des espaces de rangement ou dans des buanderies. L’avidité des capitalistes n’a pas de limites et ne se soucie point du statut de résidence de ceux qu’ils exploitent, et ceci encore moins lorsqu’il s’agit de travailleurs en situation de précarité.
Les capitalistes et l’État : main dans la main
Considérant qu’au Québec, une organisation des patrons, la Fondation des entreprises de recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME), conduit la plupart des inspections, ce n’est pas étonnant que le fléau des logements insalubres soit aussi répandu dans ce secteur. En fait, les entreprises sont averties avant les inspections et s’arrangent pour ne laisser voir que ce qu’elles veulent bien montrer.
L’état déplorable des logements utilisés par l’entreprise Demers a été dénoncé deux fois dans la dernière année à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Le dossier est passé de mains en mains entre les divers bureaux et commissions sans aucune résolution.
Pendant ce temps, l’entreprise, qui est déjà le plus gros producteur de légumes au Québec, s’apprête à doubler sa production avec la gracieuse aide du gouvernement de la CAQ. Près de la moitié des 70 millions de dollars nécessaires pour ce projet d’expansion proviendront de prêts et subventions gouvernementaux.
La vulnérabilité des travailleurs étrangers temporaires en font les proies parfaites du capital sous l’œil insouciant sinon approbateur de l’État.
Quiconque travaille ici a le droit de vivre ici!
Les capitalistes à la recherche du profit utilisent les travailleurs comme de simples machines dont il faut tirer le plus de profits possible. À cette fin, ils les exploitent de façon démesurée. Ils rallongent la journée de travail, baissent les salaires et accélèrent le rythme du travail.
Des dortoirs et espaces de vie de qualité constituent des dépenses qui coupent directement dans leurs profits. Il ne faut pas espérer la bienveillance des patrons ni de leur État pour mettre fin à ce problème. En fait, les capitalistes à qui Demers fournit des légumes se sont empressés de souligner qu’ils n’avaient aucune intention d’enlever les tomates Demers de leurs étagères. Lorsqu’il s’agit d’exploiter les travailleurs et de se remplir les poches, le patronat s’unit facilement.
Les travailleurs doivent faire pareil. Les travailleurs peu importe leurs origines ou leur statut au Canada ont les mêmes intérêts. L’exploitation des travailleurs étrangers temporaires est en réalité une attaque contre toute la classe ouvrière. L’utilisation de « cheap labour » fait pression à la baisse sur les salaires du reste des travailleurs et aide les patrons à détruire de bons emplois. Par exemple, en 2013, la banque RBC avait fait scandale lorsqu’elle s’était servie du programme des travailleurs étrangers temporaires pour remplacer 45 de ses informaticiens par des travailleurs indiens sous-payés. Pour empêcher cette pression à la baisse, le mouvement syndical doit lutter pour qu’ils possèdent les mêmes droits et les mêmes conditions de travail que le reste des travailleurs.
Les syndicats doivent revendiquer que le programme des travailleurs étrangers temporaires soit aboli et que ces travailleurs obtiennent un plein visa. Quiconque travaille ici doit avoir le droit de vivre ici! Les syndicats possèdent d’immenses ressources et effectifs qui devraient être utilisés pour mener une campagne contre ce programme rétrograde. Ils devraient également utiliser ces ressources pour syndiquer ces travailleurs et assurer leur défense. Dans notre lutte contre les patrons, nous ne pouvons compter que sur nos propres moyens.