Dimanche soir, le 11 avril dernier, une manifestation contre le couvre-feu ramené à 20h a rassemblé plusieurs centaines de personnes dans le Vieux-Montréal. Le lendemain, une deuxième manifestation plus petite a eu lieu au même endroit. Le même soir, à Hochelaga, à Montréal, on a pu entendre un tintamarre de casseroles dès 20h. Mardi soir, une manifestation a eu lieu à Québec et, pour un troisième soir de suite, une autre à Montréal. Clairement, l’opposition au couvre-feu en particulier, et à la gestion horrible de la pandémie par le gouvernement en général, se développe. Il faut une direction et des revendications claires à ce mouvement.
Vague de mécontentement
En janvier dernier, lorsque le couvre-feu avait été décrété pour la première fois, beaucoup de gens étaient prêts à l’accepter comme un mal nécessaire et temporaire pour lutter contre la COVID-19, et les dénonciations de cette mesure étaient peu nombreuses. Mais maintenant, tout en restant convaincues de la nécessité de lutter contre la pandémie, des couches de plus en plus larges de la population demandent au gouvernement de revenir sur sa décision et appellent à l’action contre le couvre-feu.
Le gouvernement fait rejouer sa cassette et affirme que ce « dernier effort » permettra de vaincre la troisième vague. Cette affirmation est risible. En effet, comme il a été répété par des experts, il n’y a aucun consensus scientifique sur l’efficacité d’un couvre-feu contre la COVID-19. En fait, des données récentes de l’INSPQ montrent que le couvre-feu n’aurait eu aucun impact sur les visites à domicile!
De plus, au moment d’écrire cet article, plus de 55% des éclosions actives dans la province provenaient des milieux de travail, et 24% des écoles. À la lumière de ces faits, Legault croit-il vraiment à ce qu’il raconte quand il affirme que le couvre-feu est une mesure efficace? Ajoutons que la propagation de la COVID-19 est très faible dans les contextes de petits rassemblements extérieurs. Pourquoi alors le gouvernement continue-t-il à durcir la réglementation sur les activités extérieures?
Il semblerait bien que le vrai covidiot qui ignore la science serait notre premier ministre.
Une gestion de la pandémie bâclée
Le couvre-feu, qui devait être une mesure exceptionnelle, est devenu le réflexe autoritaire d’un gouvernement qui veut détourner l’attention de sa responsabilité dans la propagation du virus.
La réalité est que la troisième vague était tout à fait prévisible. Comme nous le soulignions il y a plus d’un mois – à un moment où personne ne critiquait les réouvertures de la CAQ – l’INSPQ prévenait qu’une réouverture trop hâtive ferait bondir le nombre de cas. Pourtant, c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement.
En effet, il a laissé le virus se propager dans des commerces non-essentiels rouverts trop tôt. Il l’a laissé se propager dans des salles de classe mal ventilées, mettant les enseignants, les enfants et leurs familles à risque. Et à cause des entreprises qui mettent leurs profits avant la santé des travailleurs, le virus s’est propagé dans des milieux de travail qui manquent de mesures sanitaires. Voilà pourquoi nous avons une troisième vague.
Pour cacher sa mauvaise gestion, le gouvernement jette le blâme sur les individus et s’épargne toute responsabilité. Jouant au papa sévère, Legault gronde ses enfants pour leur mauvais respect des mesures sanitaires et leur retire le droit d’aller prendre une marche du soir ou relaxer au parc. Et pendant ce temps, le gouvernement attend encore avant de s’attaquer au virus dans les milieux de travail et les écoles, du moins à Montréal.
S’ajoutant à des mesures sanitaires vraiment adéquates, un ordre de rester à la maison pourrait avoir sa pertinence. Cependant, c’est le contexte général dans lequel s’inscrit le couvre-feu de Legault et son caractère policier qui le rendent si détestable. Il a fallu lui tordre le bras pour qu’il ne soit pas imposé aux sans-abri – dont un est mort devant son refuge fermé, se cachant des policiers dans une toilette. Les lourdes amendes qui l’accompagnent sont le comble de l’hypocrisie : où sont les amendes pour les patrons qui ne respectent pas les mesures sanitaires? Pas étonnant que la colère monte.
Que font Québec solidaire et les syndicats?
Maintenant que la contestation monte, le gouvernement de la CAQ tente de faire taire ses opposants.
Le 13 avril, la CAQ a proposé en chambre une motion appelant tous les partis à réitérer leur confiance envers l’ensemble des mesures sanitaires recommandées par la santé publique, incluant le couvre-feu.
Leur stratégie est claire : présenter quiconque s’opposerait au couvre-feu comme quelqu’un qui refuse d’écouter la santé publique en général, voire comme des conspirationnistes qui minimisent la nécessité de lutter contre le virus.
Malheureusement, Québec solidaire est tombé dans le piège. Pour supposément éviter de donner l’impression qu’ils n’écoutent pas la science, les députés de QS ont voté pour cette motion. De facto, ils donnent un couvert de gauche à la gestion terrible du gouvernement ainsi qu’à son approche répressive.
Québec solidaire a bien tenté de se rattraper. Aujourd’hui, le parti a proposé une motion stipulant qu’il faut « tenir un débat démocratique » sur le couvre-feu. Mais le parti ne s’y oppose jamais clairement, ni dans cette motion, ni dans ses sorties publiques.
Par peur d’avoir l’air trop critique du gouvernement ou d’être contre les mesures sanitaires en général, la direction de QS s’est trouvée paralysée de manière semblable de nombreuses fois dans la dernière année. Voilà pourquoi ils n’arrivent pas à couper court au faux dilemme de la CAQ.
De leur côté, les syndicats sont complètement absents du débat. Après avoir généralement supporté le couvre-feu en janvier, ils sont présentement muets sur cette question.
Toute l’opposition à genou devant ses mesures; Legault doit bien rire!
Il faut une opposition de gauche organisée
Pourtant, il est tout à fait possible de continuer à lutter contre la pandémie tout en étant opposé au couvre-feu. En fait, le couvre-feu à lui seul ne fonctionne pas, spécifiquement parce qu’il ne s’attaque pas aux foyers d’éclosion principaux, qui sont les milieux de travail et les écoles. Et les milieux de travail non essentiels et les écoles restent ouverts trop longtemps car « l’économie » doit rouler (lire : les profits des entreprises doivent rentrer).
C’est ce que QS et les syndicats doivent oser affirmer. C’est la seule façon d’offrir une vraie opposition à la CAQ et de déjouer ses manœuvres visant à peindre quiconque s’oppose au couvre-feu comme un « covidiot ».
En attendant, l’absence d’une vraie direction de gauche crée un vide politique qui laisse le champ libre aux vrais « covidiots »!
La manifestation de dimanche à Montréal n’était pas organisée par l’extrême-droite après tout, malgré les rumeurs qui avaient circulé à ce sujet. Le mouvement est surtout composé de jeunes en colère qui ne sont pas organisés politiquement. Mais si la gauche ne prend pas la direction du mouvement, les groupes complotistes ou d’extrême-droite finiront par profiter de la colère qui monte.
Un programme pour la lutte
Ne laissons pas à la droite et aux conspirationnistes le monopole de la critique des mesures répressives et de la gestion de la pandémie par la CAQ. Les syndicats et QS ont le devoir d’organiser un mouvement de masse contre le couvre-feu et pour de véritables mesures pour freiner la pandémie.
Ce n’est pas aux individus de payer pour la mauvaise gestion de la pandémie par la CAQ. Pour faire reculer le virus, nous devons nous attaquer aux vraies causes de la troisième vague.
Le mouvement syndical doit lancer une campagne massive de débrayage pour fermer les entreprises non essentielles, avec plein salaire pour les travailleurs affectés. Le personnel des écoles devrait exercer son droit de retrait jusqu’à ce que les écoles soient sécuritaires, c’est-à-dire adéquatement ventilées et avec des tailles de salles de classe réduites.
Ce sont les travailleurs qui devraient décider collectivement si leur milieu de travail est sécuritaire ou non et des mesures adéquates devraient être immédiatement implantées si ce n’est pas le cas. Nous avons besoin d’un vrai dépistage de masse, ce qui pourrait commencer par l’utilisation des millions de tests rapides inexplicablement inutilisés par les gouvernements et les patrons.
Cette approche combative permettrait de montrer que la faute pour la troisième vague revient au gouvernement et aux patrons. Cela minerait directement la propagande du gouvernement, qui mise tout sur la responsabilité individuelle. De plus, un tel programme pourrait couper l’herbe sous le pied des éléments réactionnaires, comme l’extrême-droite et les anti-masques.
La population est de plus en plus en colère contre la gestion répressive de la CAQ, et contre son incapacité à faire face à la pandémie. Il serait entièrement possible de bâtir un mouvement de masse contre ce gouvernement. Tout ce qui manque, c’est une direction combative du mouvement syndical et de la gauche.