La plus grande grève des employés du gouvernement fédéral depuis une génération se prépare et pourrait commencer demain.
Lundi, le président de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), Chris Aylward, a annoncé qu’une entente devait être conclue d’ici le 18 avril à 20 heures. En l’absence d’entente, le syndicat appellera les 155 000 travailleurs qu’il représente à une grève totale. Précédemment, les membres de l’AFPC s’étaient prononcés à une écrasante majorité en faveur d’un mandat de grève.
Il s’agirait de la plus grande grève d’employés fédéraux depuis 1991. Avec un tel développement à l’horizon, l’ensemble du mouvement syndical doit être en alerte maximale et se préparer à une solidarité active avec les travailleurs fédéraux.
Revendications
Alors que les travailleurs peinent à joindre les deux bouts et croulent sous le poids de l’inflation, le gouvernement propose sans vergogne une augmentation dérisoire de seulement 2,06 % en moyenne sur quatre ans. Cela signifie que les travailleurs subiraient une baisse considérable de leurs salaires réels.
Lors de sa conférence de presse, M. Aylward a déclaré : « Les travailleurs de ce pays méritent une augmentation de salaire juste et décente, qu’ils soient syndiqués, non syndiqués, du secteur public ou du secteur privé. Nous n’avons pas causé l’inflation, nous ne devrions pas avoir à la payer! » C’est tout à fait exact.
Toutefois, les revendications de l’AFPC ne représentent qu’une faible amélioration par rapport à l’offre du gouvernement. L’AFPC ne demande qu’une augmentation de 4,5% par année sur trois ans. Comme l’a dit M. Aylward lui-même, pour la durée du contrat de trois ans (rétroactif à 2021), l’inflation a été de 13,8%, ce qui signifie que ce que demande la direction du syndicat est déjà inférieur à l’inflation.
Il convient de noter qu’un nombre important de travailleurs de l’AFPC – les 35 000 employés de l’Agence du revenu du Canada (ARC) – demandent ce qui équivaut à une augmentation de 33% sur trois ans. Nous saluons cette revendication, car elle permettrait aux travailleurs de maintenir leur salaire au-dessus du taux d’inflation et d’améliorer leurs conditions de vie. Les membres de la base de l’AFPC devraient inciter leurs dirigeants à aligner les revendications salariales des 155 000 travailleurs sur les demandes audacieuses des employés de l’ARC.
La presse capitaliste dira que même la revendication de 4,5% est trop élevée. En effet, depuis le vote de grève, on a demandé à plusieurs reprises aux dirigeants syndicaux si leurs revendications salariales n’étaient pas excessives et ne risquaient pas d’aggraver l’inflation. Cette absurdité crasse fait écho à l’argument insensé avancé par la Banque du Canada, selon lequel l’inflation est causée par une « spirale salaires-prix ». Nous ne devrions pas y céder.
Pendant des années, les travailleurs ont été en proie non pas à des augmentations, mais à une stagnation des salaires et à des coupes budgétaires. Les capitalistes et leur gouvernement tentent de blâmer les travailleurs pour un problème qu’ils ont causé, avec des politiques inflationnistes qui ont injecté des milliards de dollars dans les coffres des entreprises pendant la pandémie. Les entreprises ont enregistré des bénéfices records pendant la pandémie – une source d’inflation que les porte-parole du capitalisme évitent soigneusement de mentionner.
Le problème n’est pas que les augmentations de salaires entraînent l’inflation, mais que, ayant accumulé des niveaux records de dette, la classe dirigeante a besoin de faire payer la crise actuelle aux travailleurs. Alors que les libéraux n’ont aucun problème à engager des milliards de dollars dans de nouvelles dépenses militaires, ils ont promis à leurs amis de Bay Street qu’ils seraient « fiscalement responsables » et qu’ils n’« indemniseraient » pas les travailleurs pour l’inflation. Nous ne devrions pas nous demander si le gouvernement peut ou non se permettre de payer les travailleurs. Nous devrions nous demander si les travailleurs peuvent se permettre de ne pas se battre.
Un autre problème est l’impopularité du plan gouvernemental de retour au travail en formule hybride. Après avoir adopté le travail à domicile depuis trois ans et prouvé qu’il n’avait pas d’incidence sur la productivité, les travailleurs estiment qu’il n’y a rien à gagner à revenir au travail en personne et que le retour au bureau ne serait rien d’autre qu’une charge supplémentaire. Le syndicat demande également une majoration du tarif des heures supplémentaires, une augmentation des congés annuels et familiaux, des ajustements salariaux et des indemnités spéciales. La principale préoccupation des travailleurs reste l’inflation, et l’offre ridicule du gouvernement met les deux parties sur une trajectoire de collision, ouvrant la perspective d’une lutte des classes de grande ampleur.
Les leçons de la grève de l’AFPC de 1991
À la question d’un journaliste ayant demandé « De quelle agressivité parlons-nous? Je ne m’attends pas à quelque chose comme 1991 mercredi », Chris Alyward a répondu : « Non, parce que ce que vous verrez mercredi, si cela se produit, si ce gouvernement impose une grève, sera bien plus gros que 1991. »
C’est une excellente réponse, qui contribuera certainement à mobiliser et à enthousiasmer les travailleurs pour la lutte. Mais que s’est-il passé en 1991?
Le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney offrait à l’AFPC un contrat de trois ans exécrable qui prévoyait un gel des salaires la première année et une augmentation de trois pour cent les deux années suivantes. À l’époque, le taux d’inflation était de 6,1%. Les négociations ayant échoué en raison de la réticence du gouvernement à présenter une offre décente, 110 000 membres de l’AFPC se sont mis en grève. Mulroney a accusé les dirigeants syndicaux de croire « aux grandes dépenses gouvernementales et à la dette incontrôlée ». Il a même déclaré qu’il ne se laisserait pas « embobiner par une bande de fonctionnaires égocentriques à la cervelle embrouillée ».
Contre les « intérêts particuliers » du syndicat, il a déclaré qu’il était « ici pour défendre les intérêts du pays ». Il entendait par là les intérêts de la classe dirigeante du pays, qui exigeait l’austérité pour les travailleurs.
Finalement, le gouvernement a retiré le droit de grève à l’AFPC en adoptant une loi de retour au travail, imposant ainsi un contrat aux travailleurs. Face à cette violation du droit démocratique de grève, la direction du syndicat a dit à ses travailleurs de retourner au travail et d’obéir à cette loi injuste. C’était une grave erreur et, comme nous l’avons expliqué ailleurs, les lois de retour au travail sont un cancer dans le mouvement et, si nous ne nous y opposons pas, elles se propagent. C’est exactement ce qui s’est passé depuis. La grève de 1991 s’est donc soldée par une défaite démoralisante pour les travailleurs. Mais il n’était pas nécessaire qu’elle se termine ainsi. Il ne faut pas que cela se reproduise cette fois-ci.
On peut vaincre les lois de retour au travail
Trudeau n’est pas aussi insolent que Mulroney et s’efforce plutôt de se donner l’air d’être l’ami des travailleurs. Mais si la grève a lieu et que le syndicat campe sur ses positions, il y a de fortes chances que Justin Trudeau oblige l’AFPC à reprendre le travail. Il y a seulement cinq ans, il l’a fait pour les travailleurs de Postes Canada. Il n’y a pas de différence fondamentale entre un gouvernement libéral et un gouvernement conservateur lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la classe dirigeante et de miner les droits des travailleurs.
Le fait que le gouvernement Trudeau adopte une telle loi de retour au travail, après avoir couvert d’éloges les membres de l’AFPC en tant que travailleurs de première ligne pendant la pandémie, le démasquerait encore plus comme un ennemi de la classe ouvrière.
À son honneur, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré qu’il appuyait les travailleuses et travailleurs de l’AFPC « à 100% ». Chris Aylward s’est dit convaincu que le NPD continuera de le faire. Cela soulève la question de savoir ce que le parti fera lorsque ses amis libéraux tenteront d’écraser les travailleurs et travailleuses.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, le NPD n’aurait pas dû soutenir les libéraux en premier lieu. Si Trudeau adopte une loi de retour au travail, le NPD doit répondre par une motion de non-confiance. Cela pourrait soit faire tomber le gouvernement, soit forcer les conservateurs ou le Bloc Québécois à se discréditer et à soutenir les libéraux qui écrasent les travailleurs. Si le NPD continue de soutenir les libéraux en cas de loi de retour au travail, cela démontrerait encore plus la faillite de l’approche de collaboration de classe adoptée par la direction du parti.
Cela dit, 2023 n’a pas à suivre le même chemin que 1991. L’automne dernier, les travailleurs de l’éducation du SCFP en Ontario nous ont montré qu’il était tout à fait possible de vaincre une loi de retour au travail. Ils ont été les premiers d’une génération à prendre position et à montrer ce qu’il est possible de faire en menant une grève illégale et en menaçant d’une grève générale.
Si les travailleurs de l’éducation l’ont fait avec un tiers du nombre d’employés en grève et dans une seule province, il n’y a aucune raison pour que l’AFPC ne puisse pas faire la même chose à plus grande échelle, d’un océan à l’autre. L’ensemble du mouvement syndical doit être prêt à appuyer un mouvement de défense du droit de grève et être sur le pied de guerre pour descendre dans la rue afin d’appuyer les travailleurs de l’AFPC.
Solidarité avec les travailleurs de l’AFPC!
Grève jusqu’à la victoire!