Crédit : La Riposte syndicale

Le 14 novembre dernier, lors de la manifestation « S’Unir. Urgence d’Agir. Gagner. » organisée par la CSN, des militants de La Riposte syndicale ont interviewé Karima Yazidi, une préposée à la stérilisation à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Les propos de Mme Yazidi sont un exemple de la colère qui gronde à la base du mouvement syndical, dans le secteur de la santé comme ailleurs. Les services publics sont à la dérive, et les négociations n’avancent pas. Nous pensons que tôt ou tard, cette colère doit être canalisée dans une escalade des moyens de pression en vue d’une grève.

La Riposte syndicale : Pour commencer, de quoi ont l’air vos conditions de travail en général, et en particulier depuis le début de la pandémie?

Karima Yazidi : Le programme opératoire a diminué, mais on reçoit les cas de COVID. On reçoit les respirateurs utilisés sur des patients COVID. On a stérilisé les masques réutilisables N95 que les infirmières et inhalos ont utilisés et pourtant, on a zéro prime. On est à risque. On est tous les jours face au risque. Pourtant, on considère qu’on n’est pas légitime à recevoir la prime de 1000$ que les autres reçoivent, comme les infirmières, les préposés aux bénéficiaires, [les travailleurs] de l’entretien. Ils nous disent « vous n’êtes pas à risque ». Malgré qu’on porte nos EPI, que les infirmières aussi portent leurs EPI, les préposés aussi se protègent, on est face au COVID aussi. Alors, pourquoi cette différence? On est comme mis à l’écart.

Et ce qui est décourageant, c’est que bien qu’il est vrai que le bloc opératoire est au ralenti, quand la pandémie va cesser, on va devoir rattraper toutes les opérations annulées. Et là, on va subir une surcharge de travail vraiment immense. Et je suis sûr que ça va nous épuiser. Parce que, avant la pandémie, on était déjà épuisés. On a beaucoup de départs dans les départements, des personnes qui manquent. On a beaucoup de maladies, des personnes qui n’en peuvent plus, qui sont fatiguées. Avant la pandémie, on a eu beaucoup de départs aux études. Beaucoup de personnes ont été déçues parce qu’on nous a fait la promesse de reconnaître nos cours et d’avoir le salaire qui va avec. Beaucoup de personnes ont été déçues; on a eu, en une année, six départs aux études.

KY : En ce moment, ça va très mal parce que le gouvernement [nous] prend pour des idiots. Il utilise la pandémie comme excuse pour geler notre salaire, pour ne pas nous donner ce qu’on mérite. Et ça, ce n’est pas juste! Je trouve ça mesquin. Ce n’est pas le moment, pourquoi utiliser la pandémie? Oui elle est là, mais au lieu de valoriser le système de santé public, il le dévalorise. Il l’utilise comme un bouclier.

Et ça, ce n’est pas juste parce qu’il va s’effondrer. Il va finir par s’effondrer. Le système de santé public, il va finir par s’effondrer. Et ce sont les cliniques privées et les hôpitaux privés qui vont augmenter en flèche. Et ça avantage qui? Toujours les riches! Les riches vont s’enrichir, ils vont pouvoir se payer des soins de santé de luxe, et de qualité, et la classe moyenne, la classe publique va se contenter d’un système public, d’un système de santé public effondré.

LRS : Ce que vous dites est très instructif. Quels sont les moyens de pression que les syndicats mettent en place en ce moment? Qu’est-ce qui a été fait pour éviter cette catastrophe, pour faire avancer les négos dans notre direction?

KY : En ce moment, on essaie d’aller doucement. Comme vous le voyez aujourd’hui, on fait des manifestations. On fait une marche. On montre notre colère au gouvernement. J’espère qu’il va entendre cette colère. S’il ne l’entend pas, et bien, on va crier plus fort.

LRS : Justement, dans cette perspective-là, qu’est-ce que vous pensez de l’idée d’escalader les moyens de pression et, en particulier, de l’idée de faire une grève dans le secteur public?

KY : Si on a pas le choix, et bien, écoute. Si on a pas le choix, il faut prendre les moyens qu’il faut pour régler un problème. Parce [qu’avec] certains problèmes, certaines personnes haut placées ne comprennent pas par la gentillesse. Il faut donner un coup dur pour qu’ils puissent comprendre. Et le seul coup dur qu’ils vont comprendre, c’est de paralyser le système. Là, peut-être qu’ils vont nous écouter.

LRS : À mon avis, il y aurait certainement un appui de la population à un mouvement de ce genre-là, visant à sauver nos services publics. Qu’est-ce que vous pensez de l’appui de la population à la cause des travailleurs du secteur public?

KY : Elle doit appuyer, la population! Parce que c’est la population qui va être opprimée, c’est la population qui va payer pour les pots cassés. Qui va dans les hôpitaux, qui va dans les cliniques? C’est la population! Si les employés de la santé sont maltraités, sont fatigués, sont épuisés, et qu’ils partent, c’est la population qui va payer le prix. Qui va prendre soin de nos vieux? Qui va prendre soin de nos enfants? Qui va prendre soin de nos malades? Personne.

Ce n’est pas le premier ministre qui va venir prendre soin des vieux, ou leur donner à manger, les laver, ce n’est pas lui qui va faire ça. Ce n’est pas lui qui va venir décontaminer les instruments pleins de sang, pleins de bactéries, pleins de virus, utilisés sur des patients malades. Ce n’est pas lui qui va venir désinfecter ça, décontaminer ça, arranger ça, préparer ça pour d’autres opérations. Ce n’est pas lui. Lui, il est assis bien au chaud dans son bureau, dans son costume. C’est normal, il parle à l’aise, il est à l’aise. Il n’est pas dans la situation. Il nous regarde de haut. Si vous voulez comprendre quelqu’un, mettez-vous à sa place. Pas au-dessus de lui, mettez-vous à son niveau, là vous allez comprendre. C’est ça le message que j’envoie au gouvernement. Mettez-vous au niveau des employés qui sont en colère, vous allez mieux les comprendre.

LRS : Est-ce que vous avez un mot de la fin pour les travailleurs, pour la population qui vous appuient en ce moment?

KY : Il y a une phrase magique qui marche toujours, et je la trouve très très correcte, et vraiment pertinente : aidez-nous pour vous aider. C’est aussi simple que ça.

LRS : Nous allons chercher à mobiliser une solidarité plus large avec les travailleurs du secteur public. Je pense que c’est ça la voie à suivre, que les syndicats luttent ensemble, qu’ils aillent jusqu’au bout contre ce gouvernement là.

KY : Merci.