Ce matin, les 5500 travailleurs des 404 succursales de la SAQ ne sont pas rentrés au travail. Cette grève-surprise fait suite au mandat de grève de six jours voté à une écrasante majorité de 91% par les travailleurs le 25 juin dernier.

Cela fait maintenant 16 mois que les négociations sont commencées. Les 12 et 13 juillet derniers a eu lieu une nouvelle ronde de négociations entre les patrons et le syndicat. Le communiqué émis ce matin par l’exécutif du SEMB-SAQ CSN affirme que l’employeur ne négocie pas avec sérieux et qu’il ne veut reculer sur aucune concession demandée aux travailleurs. « Aujourd’hui, notre message est on ne peut plus clair : nous n’accepterons aucun recul sur nos conditions de travail », a affirmé la présidente du syndicat, Katia Lelièvre.

Les principales concessions demandées par les patrons concernent des clauses non salariales. Selon le syndicat, les patrons de la SAQ souhaitent couper 220 000 heures de travail, ce qui équivaut à des coupes de 7 millions de dollars. De plus, ils souhaitent forcer davantage d’employés à temps plein à travailler les fins de semaine, au nom de la « flexibilisation du travail ». Les employés à temps partiel sont déjà tenus de le faire, tandis que c’est présentement le cas de 58% des employés à temps plein.

Déjà en décembre 2016, à quelques mois de la fin de la convention collective, le syndicat dénonçait la précarité croissante du travail dans les succursales : 70% des employés sont à temps partiel. Ceux-ci doivent chercher un autre emploi, ce qui les rend encore moins disponibles pour prendre des heures à la SAQ lorsqu’elles sont offertes à la dernière minute. Le président du SEMB-SAQ à l’époque, Alexandre Joly, affirmait que la situation avait empiré depuis 2008, année où la firme comptable PricewaterhouseCoopers avait publié un rapport recommandant aux patrons de la SAQ de faire diminuer les heures de travail afin d’augmenter la rentabilité. « La SAQ se comporte comme une entreprise en difficulté », disait-il.

Alexandre Joly affirmait aussi que « La situation est très différente par rapport aux années 1980-1990. À l’époque, la grande majorité des employés en succursales avaient une permanence. » Le remplacement des bons emplois par des emplois précaires, les économies de bout de chandelle, les coupes dans les conditions de travail au cours des dernières décennies sont survenus tant dans le secteur public qu’au privé. Il s’agit d’une tendance générale sous le capitalisme, un système qui priorise les profits des patrons au détriment des travailleurs. Cela est encore plus vrai aujourd’hui, à une époque où l’économie mondiale est dans un état précaire, et où la course aux profits est d’autant plus effrénée. Les entreprises d’État et les services publics, sous la pression de la dette publique, ne sont pas épargnés.

En plus de la précarisation du travail, les demandes patronales s’attaquent à la conciliation travail-famille. Selon le syndicat, les patrons souhaitent assigner les heures de travail aux employés à temps partiel selon les heures travaillées le mois précédent, et non en fonction de l’ancienneté. Donc, supposons qu’un parent doit refuser des quarts de travail à cause d’obligations parentales, il se verrait reculer dans la liste.

Ces attaques surviennent alors que la SAQ engrange des profits records. Au cours de l’exercice financier qui s’est terminé le 31 mars, la SAQ a réalisé un bénéfice net de 1,1 milliard de dollars, soit une augmentation des profits de 28 millions de dollars comparé à l’an dernier. Les profits sont en augmentation constante depuis de nombreuses années déjà.

Mais dans quelles poches vont les profits de la SAQ? Les travailleurs n’ont pas vu la couleur de cet argent. Par contre, leurs patrons ont le sourire aux lèvres. Le PDG de la SAQ, Alain Brunet, a reçu en salaire la somme de 448 000$ en 2017, pour une augmentation totale de 27% depuis 2012. Pour ajouter l’insulte à l’injure, il avait affirmé dans une entrevue qu’il pourrait gagner le double dans le secteur privé. Les vice-présidents de la SAQ, quant à eux, ont vu leurs salaires augmenter de 15% entre 2012 et 2017.

Plus encore, il y a un an, on apprenait que les neuf vice-présidents de la SAQ avaient réclamé des remboursements de 115 586,56$ sur le dos des contribuables québécois. Le grand public et les employés de la SAQ n’ont aucune idée de ce à quoi ont servi ces dépenses, le document qui en contient les détails étant caviardé presque au grand complet. Évidemment, ce ne sont pas les employés qui pourraient réclamer d’être remboursés pour un compte de dépenses sans présenter de justificatif.

Ainsi, pendant que les patrons se remplissent les poches, on demande aux travailleurs d’accepter des reculs. Ceux-ci sont en train de montrer qu’ils ne veulent pas se laisser marcher sur les pieds.

Le mouvement des travailleurs de la SAQ survient au moment où nous observons une montée de la lutte des classes au Québec. Aujourd’hui même, il y a des grèves dans au moins trois secteurs. Les 475 travailleurs de CAE, fabricant de simulateurs de vols, sont encore en grève depuis trois semaines; les 300 employés de cinq Résidences Soleil ont entamé aujourd’hui une grève générale illimitée; et maintenant ceux de la SAQ entrent en lutte. Demain, ce sera le tour des employés d’Héma-Québec d’entrer en grève. Après des années à marcher la tête basse devant l’austérité capitaliste, les travailleurs refusent de plus en plus de se plier aux exigences des patrons.

Comment les travailleurs de la SAQ peuvent-ils l’emporter? La stratégie actuelle de six jours de grève à utiliser « au moment opportun » préconisée par la direction syndicale a peu de chances de faire reculer les patrons si elle n’est pas liée à la perspective d’un mouvement plus large. La direction syndicale devrait mettre à l’ordre du jour un plan pour une grève générale illimitée. C’est ce que les travailleuses de 57 CPE de Montréal et Laval ont fait en juin dernier, et c’est seulement ainsi qu’elles ont pu véritablement faire pression sur les patrons. Des journées de grèves sporadiques, bien qu’elles puissent constituer une nuisance pour les patrons, sont insuffisantes pour gagner, ce que toute l’histoire du mouvement ouvrier démontre. La combativité est la garantie la plus sûre de victoire!

Il nous faut aussi adopter les méthodes qui permettent d’étendre la mobilisation. Des piquets de solidarité doivent être organisés. Imaginez seulement ce que ce serait de voir des centaines de travailleurs de CAE sur les piquets des succursales de la SAQ, et vice-versa!

Les travailleurs de la SAQ doivent pouvoir compter sur l’appui du mouvement ouvrier plus large. Le grand nombre de luttes au cours des derniers mois est un prétexte idéal pour organiser une manifestation de masse unissant les travailleurs en grève aux travailleurs et aux jeunes des autres milieux, syndiqués comme non syndiqués. C’est la tâche de la direction des centrales syndicales d’organiser de telles actions de solidarité.

La lutte des travailleurs de la SAQ, comme celle des travailleurs de CAE, des Résidences Soleil et toutes les autres, ne doivent pas demeurer isolées. Les centrales syndicales existent justement pour faire sortir de l’isolement les travailleurs des différents milieux. La direction syndicale doit agir afin d’unir les luttes en cours. Mettre à l’ordre du jour la grève générale et mobiliser la solidarité du mouvement ouvrier plus large, telles sont les tâches immédiates qui se posent à nous afin de gagner.

Solidarité avec les travailleurs de la SAQ!