Un an après le Brexit, la Grande-Bretagne vient de connaître un nouveau séisme politique de grande magnitude. En convoquant des élections législatives anticipées, il y a deux mois, la première ministre conservatrice Theresa May se croyait assurée de consolider sa position et celle de son parti. Dans les sondages, les conservateurs avaient alors 20 points d’avance sur le Parti travailliste (Labour). Les grands médias bourgeois du pays annonçaient et, déjà, fêtaient la victoire « inéluctable » des conservateurs. L’aile droite du Labour – les « blairistes », du nom de Tony Blair – s’en réjouissait d’avance, eux aussi. Ils y voyaient une bonne occasion de se débarrasser de Jeremy Corbyn, le n°1 du Labour, qui depuis 2015 s’efforce de pousser le parti vers la gauche.
Mais rien ne s’est passé comme « prévu ». La robotique et arrogante Theresa May a mené une campagne calamiteuse. En annonçant trop franchement son programme réactionnaire, elle s’est même aliéné une partie de l’électorat conservateur traditionnel. Pendant ce temps, Jeremy Corbyn menait une campagne énergique, multipliant les meetings de masse. Le nouveau manifeste du Labour, sur lequel s’appuyait Corbyn, est le document programmatique le plus radical de ce parti depuis les années 50. Il prévoit la renationalisation du Royal Mail (la Poste), du système ferroviaire et d’autres services. Il propose d’investir massivement dans la santé publique, l’éducation – et d’en finir avec les politiques d’austérité. Ce programme a rencontré un puissant écho chez les pauvres, les jeunes et les travailleurs britanniques. Soixante et onze pourcent des 18-24 ans ont voté pour les candidats travaillistes ! Et 72 % des jeunes ont participé au scrutin : du jamais vu depuis 1987.
Résultat : les conservateurs ont perdu 13 sièges (de 331 à 318) et le Labour en a gagné 29 (de 233 à 262). Les conservateurs perdent leur majorité absolue au Parlement. Theresa May s’accroche à son poste et tente de constituer une coalition avec le Democratic Unionist Party d’Irlande du Nord (droite), qui compte 10 députés. Mais un tel gouvernement serait d’emblée fragile et pourrait tomber rapidement sous la pression de la rue. En outre, certains dirigeants conservateurs de premier plan seront tentés de régler leurs comptes avec Theresa May, qu’ils jugent personnellement responsable de leur défaite. Huit ministres ont été battus, jeudi dernier.
Corbyn renforcé
Même si le Labour n’est pas majoritaire au Parlement, Jeremy Corbyn est le grand vainqueur de l’élection. Il en sort énormément renforcé. Le Labour a recueilli 40 % des voix, soit 10 % de plus qu’en 2015, lorsque le parti était dirigé par Ed Miliband – et même 5 % de plus que Tony Blair en 2005. Or Corbyn faisait face à l’hostilité des grands médias (qui ne lui ont épargné aucune calomnie), mais aussi au sabotage systématique des blairistes, dont la grande majorité des députés du Labour.
Ironie de l’histoire, beaucoup de candidats de l’aile droite du Labour ont sauvé leur siège grâce au programme défendu par Corbyn – ce même programme qu’ils combattent et jugent « irresponsable » (ce qui est « responsable », selon eux, c’est de gérer le capitalisme en crise pour le compte de la bourgeoisie).
En conséquence, l’aile droite du Labour fait profil bas, dans l’immédiat. Mais cela ne durera pas. La droite du Labour ne renoncera pas à se débarrasser de Jérémy Corbyn. Comme la bourgeoisie britannique, les blairistes ont peur du programme de Corbyn, et plus exactement des masses qui soutiennent ce programme. Depuis le début de la campagne électorale, il y a deux mois, 100 000 personnes ont adhéré au Labour, ce qui porte ses effectifs à 600 000. Mais même ce chiffre impressionnant ne dit pas tout : les réserves sociales du Labour se comptent en millions, dans la jeunesse, dans les syndicats et dans la classe ouvrière en général.
Ces deux dernières années, Jeremy Corbyn a souvent recherché un compromis avec l’aile droite de son parti. Mais un tel compromis est impossible. Les blairistes doivent être battus. La grande majorité des militants du parti est à gauche; elle soutient Corbyn. Il doit s’appuyer sur cette majorité pour préparer le parti à prendre le pouvoir sur la base d’un programme socialiste, qui vise à briser le pouvoir économique de la classe dirigeante. C’est le sens du mot d’ordre de nos camarades de Socialist Appeal, en Grande-Bretagne : « Défendons Corbyn! Luttons pour le socialisme! ».