La pénurie d’enseignants frappe le Québec comme jamais. Loin de s’améliorer, la situation empire. Le nombre de postes vacants a presque triplé dans les deux dernières années. Cette situation, pourtant écrite dans le ciel depuis longtemps, n’a jamais été prise au sérieux par le gouvernement de la CAQ.
Les établissements scolaires souffrent d’un tel manque qu’on compte 30000 enseignants non qualifiés dans les écoles du Québec. Celles-ci, à bout de moyens, en viennent à des mesures désespérées : récemment, dans le comté de Portneuf, un Centre de services scolaire affichait une offre d’emploi pour suppléant dont le seul critère d’embauche était un diplôme d’études secondaires. Il manquait, à la rentrée il y a deux mois, quelque 889 enseignants, 1206 employés de soutien, 265 professionnels et 67 employés de direction dans environ 500 écoles publiques de la province.
Un problème de longue date exacerbé par la pandémie
Si on en parle beaucoup actuellement, le problème n’est tout de même pas récent. Une étude de 2008 montrait que 20% des jeunes enseignants quittaient la profession durant leurs cinq premières années de travail. Ce malaise est connu et dénoncé par les travailleurs de l’éducation depuis des décennies, mais les gouvernements font la sourde oreille. Comme l’a dit Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats d’enseignement (FSE-CSQ), « On le dit depuis des années […] Il y avait des cris du cœur, on avait une grande pénurie. […] Qu’est-ce qui a créé ça? C’est les conditions de travail. »
En effet, la tâche des enseignants était déjà trop lourde avant la crise sanitaire. Le manque de main-d’œuvre ne peut d’ailleurs que signifier un alourdissement additionnel de la tâche pour les travailleurs déjà épuisés.
Mentionnons aussi que les travailleurs de l’éducation travaillent dans une précarité grandissante malgré la pénurie. Quarante-deux pourcent des enseignants n’ont pas de poste permanent. Les enseignants du Québec sont également les moins bien payés, avec un retard salarial de 14% sur la moyenne canadienne.
Cette situation a été ignorée par l’ensemble des partis capitalistes – et non pas uniquement par la CAQ – qui ont été au pouvoir dans les dernières décennies. Le problème suit sa lente progression depuis des années, aggravé par l’austérité et le sous-financement imposés par le PQ et les libéraux. Ces partis du patronat ignorent le problème et se blâment les uns les autres pour une crise qu’ils ont tous contribué à créer.
Ne minimisons toutefois pas l’inaction et l’incompétence de la CAQ. Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation, affirmait en janvier 2020 que la pénurie d’enseignants était son plus grand défi de l’année; on n’a pourtant vu que très peu de réels efforts afin de résoudre la crise. « On n’est pas passés à travers la pénurie, mais la situation s’améliore », annonçait-il alors. Pourtant, malgré toutes les belles paroles du ministre Roberge, on se retrouve encore à attendre des actions concrètes.
Suivant la même tendance que dans le reste de sa gestion de la pandémie, la CAQ a continuellement joué au yo-yo avec les mesures sanitaires dans les écoles : les fermetures, ouvertures et re-fermetures à n’en plus finir ont ajouté un poids immense sur les épaules des enseignants, qui devaient sans cesse modifier et adapter leur planification aux mesures improvisées par Roberge et son parti.
L’absence de mesures sanitaires adéquates et le risque élevé de contracter le virus qui en découle n’aident certainement pas la motivation de notre personnel enseignant. Mentionnons par exemple les échangeurs d’air demandés par les enseignants et spécialistes : un rapport sur la qualité de l’air dans les écoles publié en janvier 2021 avait recensé 356 classes ayant un niveau de dioxyde de carbone deux fois plus élevé que la recommandation ministérielle. Pourtant, dans une majorité d’écoles, ces appareils se font toujours attendre, après environ deux ans de pandémie. Le manque de personnel a aussi affecté l’efficacité du déploiement de tests de dépistage rapides, démontrant encore une fois les effets secondaires néfastes de la pénurie.
La fermeture temporaire des écoles et l’enseignement à distance, ainsi que la peur de contracter le virus et la gestion supplémentaire reliée aux mesures sanitaires ont eu un effet dévastateur sur le moral des travailleurs de l’éducation : le nombre d’enseignants optant pour une retraite anticipée aurait explosé dans la dernière année. Parallèlement, de moins en moins de jeunes étudiants choisissent de s’inscrire dans des programmes d’enseignement, certainement repoussés par les mauvaises conditions de travail des travailleurs de l’éducation et par la sourde oreille du gouvernement.
Pas de confiance dans la CAQ!
À voir sa gestion des écoles pendant la pandémie, il est évident qu’on ne peut se fier à la CAQ pour redresser le système d’éducation. Après tout, c’est aussi ce parti qui a maintenu la ligne dure avec les syndicats en donnant des augmentations salariales générales d’à peine 2%, bien insuffisant pour le rattrapage salarial nécessaire.
Loin de se porter à la défense de l’école publique, la CAQ a démontré de nombreuses fois son désir de soumettre le système d’éducation au secteur privé. C’est ce gouvernement, également, qui tout récemment annonçait son désir de réformer le milieu universitaire afin d’encourager les jeunes à faire leurs études dans des programmes « plus payants ». Après tout, M. Legault lui-même, alors qu’il était ministre de l’Éducation pour le PQ de Lucien Bouchard, avait instauré des « contrats de performance » dans les universités, visant à leur offrir des subventions uniquement à la signature d’un contrat qui assurerait une certaine « efficacité », à la manière d’une entreprise privée. Continuant sur cette lancée, il avait soutenu en 2012 la hausse des droits de scolarité proposée par le gouvernement libéral de Jean Charest. L’année suivante, il annonçait vouloir créer un système universitaire « à deux vitesses ». Il évoquait alors le « besoin d’une élite », ajoutant que « ces élites […] vont nous permettre de faire avancer le Québec». La CAQ, qui a toujours appuyé l’austérité dans l’opposition, qui considère l’éducation comme une industrie, cherchera toujours à couper les coins ronds dans l’éducation publique plutôt que de réinvestir dans celle-ci.
Avec un tel parti responsable de la gestion de notre système d’éducation, la crise est loin d’être terminée. On peut même s’attendre à ce qu’elle continue à s’aggraver dans les prochaines années.
Alors que les négociations dans le secteur public cette année auraient été l’occasion de renverser la vapeur, les ententes insatisfaisantes ne font que remettre le problème à plus tard. Josée Scalabrini, de la FSE-CSQ, a résumé ainsi le sentiment qui régnait après le vote sur celles-ci : « ce n’est pas avec le sourire qu’on vient vous donner les résultats aujourd’hui ». Dans certains locaux de la FSE-CSQ, l’entente n’a été acceptée qu’à 18%! Cela découle directement du manque de mobilisation de la part des directions syndicales. Au lieu d’organiser des grèves isolées et éparpillées, une véritable escalade des moyens de pression aurait été nécessaire. Les syndicats de l’éducation, la CSQ et la FAE, sans parler des autres syndicats du secteur public, auraient dû faire front commun et coordonner leurs actions face à la CAQ. Sans mener de véritable lutte, nous avons dû nous contenter du statu quo. L’exaspération qui se fait sentir en éducation n’est pas sans rappeler ce qui se passe actuellement dans le milieu de la santé ou dans les CPE.
Les prochaines négociations du secteur public auront lieu dans moins d’un an et demi. Les directions syndicales doivent préparer dès maintenant un plan de mobilisation des membres et d’escalade des moyens de pression. Cette fois-ci, au lieu d’accepter le cadre salarial du gouvernement, nous devons revendiquer un réel rattrapage salarial, rendu d’autant plus urgent par l’inflation grimpante, et être prêts à mener une véritable lutte, jusqu’au bout, pour y arriver. Depuis trop longtemps, nous faisons des compromis avec les gouvernements capitalistes qui laissent nos conditions de travail dépérir.
Si l’on parle fréquemment de « valorisation » de la profession enseignante, dans le contexte actuel, ce terme a des airs de mauvaise blague. Nous sommes traités comme de simples rouages d’une énorme machine et n’avons aucun contrôle sur notre pédagogie et nos conditions de travail, le tout à de bas salaires. Nous devons revendiquer un système entièrement public dans lequel les décisions seront prises par les travailleurs et travailleuses de l’éducation eux-mêmes. Ce sont ces derniers, après tout, et non quelques politiciens au service du patronat, qui savent comment les écoles devraient rouler. Nous pourrons alors réellement parler de valorisation de la profession enseignante.
Un financement massif est aussi nécessaire pour rénover nos écoles qui s’écroulent, pour embaucher plus de personnel de soutien afin d’appuyer les enseignants, pour leur donner le matériel dont ils ont besoin, et pour leur offrir des conditions de travail de qualité. Cet argent existe, mais il dort dans les poches de quelques parasites capitalistes. Sous le capitalisme, la propriété privée et la recherche du profit sont les valeurs suprêmes. La menace constante de l’austérité et des incursions du privé, les conditions de travail aberrantes et le manque cruel d’enseignants sont les produits de ce système. C’est donc contre le capitalisme lui-même qu’il faut lutter.