La première version date de mars 2015.
Il y a sept ans débutait la « Grande Récession » et, jusqu’à maintenant, aucune reprise ne se pointe à l’horizon. En fait, il semble que nous nous apprêtions à entrer dans un nouveau cycle de crise à court terme. Il y a sept ans, les travailleurs-euses se sont fait dire que s’ils se mettaient à l’ouvrage et acceptaient les sacrifices, alors les beaux jours reviendraient. Cela s’est avéré absolument faux. L’incapacité prolongée du capitalisme à améliorer la vie des travailleurs-euses doit être la base de nos perspectives.
Tout autour du monde, la patience des travailleurs-euses atteint ses limites. L’incapacité de la classe dirigeante à présenter une voie à suivre fait que des sections significatives de la classe ouvrière commence à questionner ouvertement le système capitaliste. Les développements politiques remarquables dans des pays comme la Grèce, l’Espagne et le Royaume-Uni sont des preuves du fait qu’un nombre croissant de travailleurs-euses et de jeunes rejettent tout ce qui cherche à maintenir le statu quo.
Aussi mauvaises que soient les conditions de vie de la classe ouvrière en général, elles sont particulièrement pourries en ce qui concerne la jeunesse – et c’est la raison pour laquelle nous devons porter une attention particulière aux développements en son sein. C’est la génération qui est la plus ouverte aux idées révolutionnaires. Contrairement aux travailleurs-euses plus âgés, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas vécu les réformes de la période d’après-guerre. Les jeunes de la classe ouvrière d’aujourd’hui ne connaissent qu’un capitalisme qui ne leur offre aucun avenir viable. L’incapacité de la classe dirigeante à fournir des emplois et des conditions de travail décents, sans parler d’une pension de retraite, va éventuellement amener les jeunes à tirer des conclusions révolutionnaires. C’est là un danger que même les bourgeois commencent à considérer. David Stewart-Patterson, le vice-président du Conference Board du Canada, a affirmé que « [n]otre rapport fournit des données quantitatives plutôt convaincantes montrant qu’il s’agit ici d’une tendance systémique. Ce ne sont pas que des histoires individuelles – il y a réellement une tendance qui se déploie sur une longue période, une tendance qui pourrait éventuellement avoir des conséquences dérangeantes… la jeune génération va assez vite ‘‘en avoir marre’’. »
Bien que nous ne puissions pas prévoir exactement quand les événements vont survenir, il semble assez certain que le calme relatif des dernières années ne va pas continuer. À courte échéance, l’instabilité et les soubresauts de la lutte de classe à l’échelle mondiale vont vraisemblablement atteindre le Canada.
L’économie canadienne se dirige-t-elle vers un nouveau ralentissement?
La lutte de classe s’est déroulée à un rythme plus lent au Canada, alors que le pays a quitté les bas-fonds du krach de 2008-09 plus rapidement que plusieurs nations compétitrices. Le produit intérieur brut (PIB) du Canada a chuté de 2,7% en 2009 – une chute presque identique à celle des États-Unis. Toutefois, la reprise de l’économie canadienne a été supérieure à celle de plusieurs des autres pays capitalistes avancés tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et les pays du sud de l’Europe. Cependant, nous ne disons pas que la « reprise » de l’économie canadienne, ou l’économie canadienne en général, est saine. Cela serait comme se vanter d’être le patient le moins malade de l’hôpital. Et maintenant qu’une bonne partie du globe semble à nouveau entrer en récession – entraînée dans leur chute par la Chine et les pays du BRICS – les problèmes et les contradictions profondes de l’économie canadienne pourraient faire en sorte que le pays s’en sorte moins bien que la moyenne.
Le gouvernement conservateur célèbre le bas taux de chômage du Canada, mais reste silencieux en ce qui concerne le taux d’activité (66%) qui est à son plus bas depuis 2002. Le pourcentage de la population se trouvant sur le marché du travail est à son plus bas depuis 1998 en Ontario, et à son plus bas depuis 1990 en Colombie-Britannique. Mike Moffatt, un économiste de la Ivey School of Business de l’Université de Western Ontario, affirme que « cela révèle la faiblesse de l’économie, sans aucun doute. » Le taux de croissance en glissement annuel de l’emploi était sous 1% depuis 15 mois consécutifs en date d’avril 2015, ce qui représente la séquence la plus longue (sauf les périodes de récession) dans les 40 années au cours desquelles Statistique Canada a collecté ces données. Tout aussi inquiétant est le fait qu’au sein de ces misérables chiffres, les emplois temporaires ont augmenté de 2,3% tandis que les emplois permanents n’ont augmenté que de 0,1%. Le nombre de travailleurs-euses indépendants (ce qui représente souvent une tentative désespérée pour les sans-emploi de gagner une forme de revenu) a cru de 2,2%, mais l’emploi dans le secteur privé n’a cru que de 0,2%. Et ces chiffres reflètent une soi-disant « reprise économique »!
Le ralentissement de l’économie de la Chine est profondément ressenti dans bon nombre de pays, y compris le Canada, qui avaient bénéficié de la hausse du prix des marchandises, particulièrement l’essence. L’indice des prix des marchandises de la Banque Scotia a chuté de 28% depuis un an, et est maintenant à un niveau plus bas qu’au plus fort de la crise de 2008. La faiblesse des prix des marchandises a déjà forcé le Conference Board du Canada à diminuer ses prévisions de la croissance du PIB pour 2015; la croissance globale au Canada devrait atteindre seulement 1,9% cette année, moins que le 2,4% qui était prévu par le Conference Board en novembre 2014. Le Conference Board s’attend aussi à ce que la chute des prix du pétrole prive le gouvernement fédéral d’un revenu de 4 milliards de dollars, et prive les gouvernements provinciaux d’un autre 10 milliards de dollars.
L’effondrement des prix du pétrole devrait frapper particulièrement fort en Alberta. À un certain point l’an dernier, l’Alberta était responsable de 90% de la création d’emploi nette au pays. Cette situation s’est transformée en son opposé. L’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) prévoit que l’industrie va couper 23 milliards de dollars de dépenses en capital dans les provinces de l’ouest en réponse à la chute des prix du pétrole. Cela inclut une réduction de 30% du nombre de puits de pétrole forés. Un économiste de Marchés mondiaux CIBC prévoit que le taux de chômage albertain va passer de 4,3% à 6,8% d’ici la fin de cette année. Déjà, l’ex-Premier ministre albertain Jim Prentice avait mis en garde les travailleurs-euses de la province : « Nous avons vécu au-dessus de nos moyens dans cette province. » Au moment d’écrire ces lignes, la plupart des économistes prévoient que l’Alberta se dirige vers un déficit de 7 milliards de dollars l’an prochain, suivi de déficits de plusieurs milliards de dollars pour bon nombre d’années, même si le prix du pétrole remonte légèrement. Par ailleurs, toute reprise ne résout pas la question, puisque les projections de hausse du prix du pétrole se basent sur une production réduite, plutôt que sur une consommation grandissante. Les conséquences sont claires : des coupures et l’austérité se profilent à l’horizon.
Tandis que les provinces de l’ouest souffrent, l’effondrement des prix du pétrole devrait en théorie bénéficier le cœur manufacturier qu’est le centre du Canada. En effet, pour la première fois en plus d’une décennie, l’Ontario devrait être la province ayant la plus importante croissance de son PIB, le Conference Board du Canada prévoyant une croissance de celui-ci de 2,9% en 2015. Nous devrions certainement nous attendre à une croissance de l’économie ontarienne, mais la question pour nous (en tant que marxistes) est à savoir quels seront les bénéfices pour la classe ouvrière suite à cette augmentation de la croissance économique. Allons-nous assister à un retour des emplois bien payés et syndiqués dans le secteur manufacturier, emplois qui ont disparu en Ontario au cours des deux dernières décennies?
Le fait est que ni l’économie ontarienne ou canadienne n’existe dans une bulle isolée, et elles sont sujettes aux mêmes pressions et aux mêmes forces que le reste du monde. Tel que nous l’avons écrit à répétition dans nos documents nationaux et internationaux, la présente crise n’est pas qu’un simple ralentissement cyclique; elle est fondamentalement une crise organique de surproduction qui touche au cœur même des contradictions inhérentes au capitalisme. Il y a beaucoup trop de marchandises, de biens et de services sur le marché mondial, qui ne peuvent pas être consommés à un prix qui génèrerait des profits suffisants pour les capitalistes. La crise globale de surproduction va certainement limiter le retour du secteur manufacturier. Cela est confirmé par l’accumulation d’argent des capitalistes, d’une valeur de près de 700 milliards de dollars au Canada seulement. Un rapport du FMI de l’an passé interpelle la bourgeoisie, l’encourage à « prendre davantage de risques » – investir dans la production plutôt que de simplement spéculer sur le marché boursier, afin d’éviter les abîmes de la crise économique. Cependant, la bourgeoisie n’est pas un organisme de charité et ne vas pas simplement jeter son argent par la fenêtre; elle préfère être assise sur des montants records de « capital mort » plutôt que de risquer d’investir dans la production, et n’avoir aucun marché pour vendre ses biens.
À l’échelle mondiale, il s’agit ici de la plus faible « reprise » qui ait été vue. Le Fonds monétaire international prévoit une quatrième année consécutive où la croissance mondiale de l’économie sera en-deçà de sa ligne de tendance, ce qui tend à montrer que l’économie s’affaiblit, et non le contraire. Le volume du commerce mondial n’a cru que de 4% par année depuis 2010, comparativement à 7% pendant la période de 1996 à 2007. Même les membres les plus prévoyants de la bourgeoisie comprennent que ceci n’est pas une crise qui va se résoudre rapidement. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié un rapport l’an passé qui prévoyait une stagnation de la croissance économique mondiale jusqu’en 2060 minimum! Et à la racine cette crise se trouve la surproduction, ou, comme les bourgeois l’appellent, la surcapacité :
« Au bout du compte, disent les économistes, le fait est que l’économie globale souffre toujours de capacité excessive. Tandis que plusieurs économies, particulièrement dans le monde développé, se sont débarrassées de capacité substantielle au plus fort de la récession, il y a plus de capacité de produire qu’il y a de demande pour ces produits. Le FMI estime que les économies avancées opèrent toujours à environ 2,5% sous leur capacité – une croissance globale chroniquement sous la moyenne signifie que la demande n’a pas été suffisante pour combler cet écart.
La surcapacité continuelle a signifié un faible besoin d’engager plus de travailleurs-euses. L’Organisation mondiale du travail rapportait cette semaine que le marché mondial du travail n’a toujours pas recouvré totalement ce qu’il a perdu dans la crise de 2008-09. Elle affirmait que l’emploi mondial se trouve 61 millions d’emplois sous sa ligne de tendance à long terme, ce qui reflète le fossé qui s’est ouvert durant la crise et qui ne s’est jamais refermé. » (The Globe and Mail, 23 janvier 2015)
Par ailleurs, la logique capitaliste signifie essayer de générer le plus haut degré de profit possible. Le patron ne va pas simplement récompenser les travailleurs-euses avec des salaires plus élevés ou des récompenses par simple générosité bienveillante. Un économiste nous met en garde que malgré les bas prix du pétrole et l’apparent rebondissement de l’économie américaine, les travailleurs-euses canadiens (particulièrement ceux du vieux centre industriel du sud-ouest de l’Ontario) devraient contenir leurs attentes quant à la soudaine réapparition des anciens emplois et conditions dans le secteur manufacturier:
« Le déclin de l’emploi dans le secteur manufacturier en Ontario n’est pas un phénomène « fait au Canada ». La pression conjuguée de l’automatisation et de la mondialisation causent l’extinction des emplois de main-d’œuvre directe dans le monde développé.
La plus large aciérie intégrée de l’Amérique du Nord est la Gary Works à Gary, qui produit de l’acier de haute qualité depuis plus de cent ans. En 1950, l’usine employait 30 000 travailleurs-euses et pouvait produire six millons de tonnes d’acier par année lorsqu’elle roulait à pleine capacité. Aujourd’hui, l’usine abrite seulement 5 000 travailleurs-euses et sa capacité maximale est de plus de sept millions de tonnes. L’automatisation a entraîné une augmentation extraordinaire de la productivité et de la qualité des produits. Elle a aussi mis fin à la carrière de plusieurs travailleurs-euses du secteur manufacturier.
Les jours des usines manufacturières massives sont comptés… Les fabricants à forte intensité de main-d’œuvre qui pouvaient automatiser l’ont fait, et les firmes qui ne le pouvaient pas ont déménagé leurs opérations vers des pays avec des coûts salariaux plus basé… Le déclin des emplois d’usine, sous le coup de l’automatisation et de la mondialisation, a donné aux fabricants le gros bout du bâton dans les négociations avec les travailleurs-euses et les gouvernements. »
(Tyler Klein Longmire, « Reforging Ontario », reviewcanada.ca)
Donc, toute augmentation dans les emplois du secteur manufacturier (aux dépens des emplois dans le secteur de la production de biens) doit être analysée à travers cette lunette. Il est peu probable que la petite hausse du secteur manufacturier soit suffisante pour rattraper les pertes qui seront observées dans le secteur de la production de biens. Au mieux, les bas prix du pétrole et un dollar faible vont simplement ralentir le déclin de la fabrication, plutôt que de mener à une croissance de l’emploi.
Aucun secteur de l’économie canadienne n’est immunisé contre la crise. Même ceux et celles qui ont des emplois précaires et mal payés voient ces emplois disparaître. Cela fut mis en évidence par la crise du secteur du commerce de détail. Cela est particulièrement inquiétant parce que selon la plus récente Enquête nationale auprès des ménages de Statistiques Canada, les emplois dans le secteur du détail sont maintenant la plus grande source d’emplois au Canada, comptant pour près de 12% de tous les emplois en 2011, et que c’était l’un des quelques secteurs de l’économie canadienne (mis à part le pétrole et la production de biens) où il y avait création d’emploi dans la plus récente période – même si plusieurs économistes admettaient que ces emplois fournissaient rarement un bon salaire ou de bonnes conditions de vie pour les travailleurs-euses. Plus tôt cette année, 17 600 emplois dans le secteur du détail furent éliminés lorsque Target a mis fin à ses activités au Canada, l’un des plus importants licenciements collectifs de l’histoire du pays. Mais ce ne fut pas le seul magasin de détail à mettre à pied des milliers de travailleurs-euses canadiens. Future Shop, Mexx, Jacob, Smart Set et Sears ont tous récemment mis fin à leurs opérations ou réduit significativement leur présence au pays, à cause du manque de confiance en la fragile économie canadienne . Selon la Banque du Canada, les intentions d’embauche dans le secteur privé ont atteint le même abîme que suite au crash financier de 2008-09, et il s’étend jusqu’à la plupart des secteurs de l’économie, pas seulement le pétrole. La crise du secteur du détail, reflet d’une crise plus large affectant l’économie canadienne, ne va qu’ajouter au découragement et au désespoir des travailleurs-euses canadiens.
Question d’en ajouter au problème de l’absence d’emplois, les dettes accumulées par une famille canadienne moyenne atteignent des niveaux record. Selon un récent rapport par l’agence de surveillance du crédit Equifax, la dette privée canadienne a maintenant atteint 1 529 milliards au début de 2015. La dette représente maintenant 163% du revenu annuel moyen des ménages. Depuis 2008, le seul pays au monde qui a vu la dette privée augmenter plus encore que le Canada est la Grèce frappée par la crise. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas vu la vague de faillites qui a frappé comme la peste les banques grecques, mais un nombre croissant de bourgeois s’inquiètent devant la situation vers laquelle le Canada pourrait se diriger. Par exemple, le Canadian Payroll Association rapporte que plus de la moitié des travailleurs-euses vivent d’un chèque de paie à l’autre – ce qui veut dire qu’il serait pour eux « difficile de remplir toutes leurs obligations financières si leur chèque de paie était repoussé d’une seule semaine. » Parmi ceux et celles âgés de moins de 30 ans, 63% vivent d’un chèque de paie à l’autre. En se basant sur ces chiffres, il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’un grand nombre de travailleurs-euses canadiens soient incapables de supporter la dette immense qu’ils et elles portent sur leurs épaules.
Sous ces niveaux d’endettement historiques se cache la bulle immobilière, qui n’a pas encore éclaté à travers la majeure partie du pays. Mis à part un bref soubresaut au début de la plus récente crise financière, les prix du logement ont grimpé en flèche dans la plupart des grandes villes canadiennes, ce qui a alimenté un boom dans la construction et dans l’emploi, mais qui a également engendré des créances hypothécaires record qui classent les logements canadiens parmi les moins abordables au monde. Un seuil commun utilisé pour juger de l’accessibilité est que le ménage moyen ne devrait pas dépenser plus que le tiers de son revenu mensuel sur son logement. Une étude de la RBC a découvert que ce seuil est dépassé dans la plupart des villes canadiennes; à Toronto, le ménage moyen dépense 56% de son revenu mensuel avant taxes sur le logement tandis qu’à Vancouver, ce taux atteint 84%! Globalement, les Canadiens-nes forment la troisième nation au monde dépensant le plus sur le logement. Le FMI a même estimé que le marché immobilier global canadien est surévalué à un taux se situant entre 7 et 20%, est qu’il est dû pour un « atterrissage en douceur » d’ici les prochaines années.
La bourgeoisie peut bien tenter d’utiliser un euphémisme comme « atterrissage en douceur » plutôt que crash immobilier, mais son effet pourrait être assez dangereux pour l’économie canadienne. Même si les difficultés résultant de la chute des prix du pétrole ne font que commencer à se faire sentir, il y a déjà de sérieuses inquiétudes sur l’effet que cela aura sur le marché immobilier surchauffé du Canada. Calgary a été l’un des marchés les plus forts alimentant la construction de nouvelles habitations; en 2014, les prix des logements de la ville ont augmenté de 8,8% par rapport à l’année précédente, la seconde plus importante hausse de tout le pays. Mais déjà, on se doute que les beaux jours sont terminés. Les ventes de maisons annuelles ont chuté à leur niveau le plus bas en cinq ans et le nombre total de maisons non vendues sur le marché a plus que doublé. Par ailleurs, à cause de la nature même du travail dans le secteur pétrolier, la classe ouvrière de l’Alberta tend à être beaucoup plus jeune que dans le reste du pays, avec de nombreuses jeunes familles, et lourdement endettée. Il existe un risque sérieux que si la crise du pétrole se prolonge et que des congédiements massifs prennent place dans ce secteur, beaucoup de gens soient forcés de faire défaut sur leurs dettes. Immédiatement après le crash de 2008, le gouvernement fédéral a renfloué les plus grandes banques canadiennes à hauteur de 175 milliards pour couvrir les créances irrécouvrables; à cause de l’accumulation massive de la bulle immobilière du pays, le coût total d’un sauvetage serait cette fois beaucoup plus important. Le sous-gouverneur de la Banque du Canada Lawrence Schembri a récemment écrit un article affirmant que le gouvernement canadien est trop à découvert devant le marché immobilier via son assureur hypothécaire, la SCHL. Schembri a affirmé que l’exposition de 546 milliards de dollars à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, société d’État, était « insoutenable », particulièrement lorsqu’on la compare à la dette fédérale de 615 milliards.
La combinaison toxique de la crise globale de surproduction, le ralentissement de la Chine et ses effets sur les prix du pétrole et des marchandises, la bulle immobilière canadienne et les dettes massives supportées par les Canadiens-nes ordinaires signifient que le Canada risque d’être plus sévèrement atteint par un nouveau ralentissement de l’économie mondiale que beaucoup de ses compétiteurs. Ce sera là une nette différence comparativement à ce que nous avons vu durant la première étape de la présente crise du capitalisme. Des mesures d’austérité du type de celles qui ont secoué plusieurs pays d’Europe devront sans doute être implantées plus tôt que tard par les patrons canadiens.
Le front politique
Il y a aura des élections fédérales plus tard en 2015 et au moment d’écrire ces lignes, il est complètement impossible de prédire quel parti formera le prochain gouvernement. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de dégoût et de désillusion devant la démocratie bourgeoise. Il est concevable que n’importe quel des trois partis nationaux – les conservateurs, les libéraux ou le NPD – puisse gagner les élections advenant des circonstances propices.
Le NPD a fait une percée historique lors des élections fédérales de 2011. Avant cet événement, la plupart des commentateurs et des soi-disant « experts » affirmaient que le NPD avait plafonné à 20% de support parmi les Canadiens-nes. Cependant, la crise globale, autant économique que politique, qui, nous pouvons dire, a été ressentie de manière plus aigüe au Québec, a poussé un nombre historique de Canadiens-nes à rejeter les deux partis du statu quo qui ont dominé la politique fédérale depuis la Confédération. Au Québec, le NPD a gagné 58 sièges lors de ces élections, du jamais vu.
Le succès du NPD en 2011 est survenu en raison de sa connexion avec la classe ouvrière et non de sa plateforme. Cela a été mis en évidence quelques mois après l’élection suite à la mort de Jack Layton, leader du parti. Des dizaines de milliers de personnes endeuillées se sont présentées à ses funérailles et ont couvert le square Nathan Philips à Toronto de messages de condoléances et de solidarité. En fait, plusieurs des messages écrits à la craie contenants des propos quasi-révolutionnaires – plusieurs allaient même à l’encontre des politiques de droite que Layton mettait de l’avant dans le NPD au moment de sa mort! Cependant, il arrive souvent que la classe ouvrière attribue à son parti ou son chef tous ses espoirs et ses désirs. Voilà la connexion entre la classe ouvrière et son parti.
Après l’élection, nous avions écrit que le NPD avait une opportunité historique de polariser la scène politique fédérale s’il se présentait lui-même comme la voix politique des travailleurs-euses, des jeunes et des autres secteurs opprimés de la société. Les libéraux, se prétendant la face « humaine » de la bourgeoisie canadienne, pourraient être relayés aux oubliettes comme les libéraux britanniques l’ont été durant les élections générales de 1929 en Angleterre, alors que Bay Street serait obligé d’unir ses intérêts derrière ceux des conservateurs.
Malheureusement, le leadership du NPD a en grande partie dilapidé les opportunités qui s’offraient à lui après les élections de 2011. Au lieu de présenter une alternative à la crise du capitalisme, les dirigeants-es du parti ont présenté une motion pour enlever la notion de propriété sociale du préambule de la constitution du parti. En réponse aux réductions des dépenses des conservateurs d’Harper, le chef du parti nouvellement élu, Thomas Mulcair, a répondu qu’un gouvernement du NPD aurait usé d’un scalpel à la place d’une hache lorsqu’il serait venu le temps de réduire les dépenses. Ce n’est pas exactement le message que les jeunes travailleurs-euses cherchent quand ils voient une diminution des services gouvernementaux.
Même dans le domaine des affaires étrangères, qui avait toujours été un domaine facile où le NPD pouvait présenter un discours de gauche, la direction du parti en est venu à se plier aux intérêts de l’impérialisme canadien sous la pression intense de la classe dirigeante. Par exemple, en Ukraine et au Venezuela, le parti s’est aligné sur les réactionnaires, ce qui a même signifié s’aligner avec les forces fascistes dans les deux pays! Cependant, c’est le fait que la direction appuie l’invasion israélienne de Gaza pendant l’été 2014 qui a finalement brisé l’inertie et encouragé la base à affronter le tournant vers la droite du NPD.
Il serait incorrect de considérer l’actuelle direction du NPD comme des blairistes essayant de rompre le mouvement syndical du parti. Plutôt, les bureaucrates du NPD sont le pire type d’opportunistes qui croient, à tort, qu’en essayant de se présenter comme des gestionnaires responsables du capitalisme, ils s’attireront les faveurs de la classe dirigeante canadienne. En outre, ils se trompent en croyant qu’en tournant vers la droite, ils seront en mesure d’élargir leur soutien électoral. L’inverse est vrai. Pourquoi devrions-nous voter pour le NPD si on peut obtenir un programme similaire en votant libéral ? En outre, en s’orientant vers les positions des principaux partis des patrons, le NPD est en train d’ignorer que 40-50 % de la population ne voit plus aucune raison de voter. Ceux-ci tendent à être, en majorité, les jeunes, la classe ouvrière, les pauvres, et d’autres secteurs opprimés de la société.
La plupart des sectaires voient les organisations de masse de façon empirique et superficielle. Ils attribuent les positions et les déclarations des Tom Mulcair, Andrea Horwath, Darryl Dexter et Adrian Dix à l’ensemble des membres du parti. Ils observent ce qu’est présentement le parti et croient qu’il va rester ainsi pour toujours. Dans son œuvre-phare « Classe, parti et direction », Trotsky explique:
« Le leadership est façonné lors du choc entre les différentes classes sociales ou lors de frictions entre les différentes couches d’une même classe. Une fois établie, le leader se hisse inévitablement au-dessus de sa classe d’origine et devient, par le fait même, prédisposé aux pressions et aux influences des autres classes. Le prolétariat peut « tolérer » longtemps un leadership qui a déjà souffert d’une dégénérescence interne complète mais qui n’a pas eu l’opportunité de démontrer cette dégénérescence lors de grands évènements. Un choc historique important est nécessaire afin de clairement démontrer la contradiction entre le leadership et la classe. Cependant, même dans le cas où l’ancien leadership a déjà révélé sa corruption interne, la classe ne peut en improviser un nouveau, surtout si elle n’a pas hérité de cadres révolutionnaires compétents, capables de se servir de l’effondrement de l’ancien régime. »
Suite à la débâcle entourant la position sur Gaza et aux défaites électorales en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, dans la circonscription de Trinity-Spadina (en Ontario) ainsi qu’aux élections municipales de Winnipeg et de Toronto, la direction du parti a vite fait marche arrière. La position des dirigeants concernant la bande de Gaza a donné lieu à quelques occupations isolées de bureaux de députés néo-démocrates, organisées spontanément par des membres de la base du NPD. L’exécutif des Jeunes néo-démocrates du Canada (JNDC), aile jeunesse principalement inactive, a même écrit une lettre ouverte réprimandant les dirigeants du parti.
Les dirigeants du NPD ont profité d’une certaine marge de manœuvre suite au décès de Jack Layton. Le déplacement continuel vers la droite de la plateforme électorale du parti et de ses interventions dans les médias était justifié par la soi-disant nécessité de le « moderniser » et de le faire paraître comme un candidat sérieux aux yeux du grand public. Toutefois, c’est le contraire qui est arrivé. Les dirigeants du parti ont affirmé que de se présenter comme des « gérants responsables » de l’économie allait les mener au pouvoir. Cependant, cela a donné lieu à une série de revers embarrassants pour le NPD. La Nouvelle-Écosse, l’Ontario, la Colombie-Britannique ainsi que la circonscription de Trinity-Spadina sont tous tombés aux mains de l’opposition, sans oublier la cuisante défaite d’Olivia Chow lors des élections municipales de Toronto. Un fort ressentiment s’est développé parmi les membres du parti, alors qu’ils ont vu celui-ci se dissocier des principes travaillistes qu’il est sensé défendre, sans pour autant se rapprocher du pouvoir.
Depuis, le NPD a annoncé plusieurs mesures, tant au niveau fédéral que provincial, qui suggèrent que les dirigeants du parti sont arrivés à la conclusion qu’ils sont allés trop loin et qu’un déplacement vers la gauche, même marginal, est nécessaire afin d’apaiser la base du parti.
Lors du caucus fédéral d’octobre, Mulcair a fait l’annonce de deux réformes qui seront la pierre angulaire de sa plateforme électorale lors des prochaines élections : un service de garde universel ne dépassant pas 15$ par jour, ainsi qu’un salaire minimum de 15$/heure dans les domaines d’emploi sous juridiction fédérale. Bien que nous puissions affirmer que ces mesures ne vont pas assez loin, il s’agit assurément d’un pas dans la bonne direction, surtout lorsqu’on les compare à celles mises de l’avant précédemment par le parti, et qu’on considère qu’elles répondent à de vrais problèmes quotidiens auxquels fait face la classe ouvrière du pays. Le leadership fédéral du parti a aussi adopté une position relativement correcte en ce qui a trait à l’implication canadienne dans le conflit contre l’État islamique en Irak et en Syrie, et s’oppose aussi au projet de loi C-51, cette nouvelle loi « anti-terroriste » qui met en péril les libertés civiles au Canada (et supportée par les libéraux de Trudeau). Après avoir vécu une frousse lors de la révision de la direction du NPD en Ontario, Andrea Horwath et son équipe ont lancé une campagne vigoureuse contre les coupes salariales dans la fonction publique et la privatisation possible de services gouvernementaux par les libéraux de Kathleen Wynne. Cela contraste avec la désastreuse campagne du NPD lors des élections provinciales de juin, alors qu’il avait proposé la création d’un « ministère de l’austérité », qui aurait été en charge d’administrer des coupures annuelles de 600 millions de dollars !
Ce déplacement vers la gauche par le leadership du parti n’aurait pu s’effectuer sans une certaine pression de la classe ouvrière. Les nouvelles promesses ont mené à une légère hausse dans les sondages, certes. Cependant, c’est peut-être trop peu trop tard pour regagner le terrain perdu depuis 2011; plusieurs travailleurs-euses ne se rendront pas nécessairement compte de la nouvelle direction prise par le parti à temps pour les prochaines élections fédérales.
Il y a toutefois une réelle possibilité que le NPD triomphe lors des prochaines élections, étant donné l’ambivalence et l’incompétence des conservateurs et des libéraux, et la haine qu’ils suscitent. Les conservateurs ont grandement déçu Bay Street, qui s’attendait à ce que la majorité conservatrice soit beaucoup plus autoritaire envers les mouvements ouvriers. Cependant, afin de conserver le pouvoir, les conservateurs sont aussi forcés de flatter leurs bases rurales populistes, ce qui va à l’encontre des intérêts du milieu corporatif canadien. Harper a dû stopper la vente de Potash Corp et de Nexen suite à un tollé nationaliste, et continue à promouvoir le partage du revenu ainsi que le « Crédit d’impôt familial », même si ces mesures ont été décriées par les économistes bourgeois comme un étant un terrible gaspillage d’argent qui n’apportera aucun bénéfice économique. Récemment, les partisans de Harper à la tête du Parti conservateur ont décidé que la clé de la victoire consistait à satisfaire leurs partisans les plus débiles – en prétendant voir des terroristes à chaque coin de rue et en soulevant la menace des criminels du troisième âge.
Malheureusement pour les hommes d’affaires de Bay Street, Justin Trudeau se discrédite à chaque fois qu’il ouvre la bouche; il s’avère une grande déception. Les libéraux continuent d’espérer que le nom « Trudeau » ainsi que ses beaux cheveux seront suffisant pour le propulser au 24 Sussex Drive, mais chaque jour qui passe révèle encore plus son imbécilité. Dans cette situation, chacun des trois partis peuvent espérer l’emporter; peut-être un gouvernement majoritaire, mais plus probablement minoritaire.
Étant donné la faiblesse de l’économie canadienne et les inquiétudes qu’elle soulève, il est fort probable que le parti élu (peu importe lequel) se lance dans des attaques violentes sur les programmes sociaux et la fonction publique. Comme il le fut mentionné plus tôt, le gouvernement fédéral n’a pas été en mesure de promulguer les mesures d’austérité les plus drastiques, malgré le fait que la situation économique sous le gouvernement Harper ait été désastreuse. Il est fort probable que le gouvernement fédéral retourne en situation de déficit budgétaire, à cause de la chute des prix du pétrole et l’éclatement possible de la bulle immobilière. Il faut s’attendre à ce que les hommes d’affaires de Bay Street fassent payer les travailleurs-euses pour les coûts de la récession imminente, avec une combinaison de mise à pieds dans le secteur publique, ainsi qu’avec des coupures dans les programmes sociaux.
Si le NPD parvient à former un gouvernement, soit par lui-même ou en coalition avec les libéraux et est incapable de sortir du cadre du capitalisme, il n’aura guère le choix d’implanter des mesures d’austérités. Dans le cas échéant, il ne serait pas surprenant que le NPD emboîte le pas des partis comme le PASOK en Grèce, le PSOE en Espagne et le Parti Socialiste en France. Il va surement y avoir une période de lune de miel, alors que les partisans du NPD célèbrent la formation d’un gouvernement néo-démocrate, mais celle-ci sera de courte durée, étant donné que les réalités de la crise capitaliste vont devenir prédominantes. Tout comme le gouvernement ontarien de Bob Rae fut forcé de le faire, un gouvernement fédéral dirigé par Mulcair devra vite décider s’il obéit aux hommes d’affaire de Bay Street, ou s’il respecte les désirs de la classe ouvrière.
Si le NPD implante les mesures d’austérités et les coupes budgétaires à la demande des bourgeois, il risque certainement d’y avoir une vive opposition à cette trahison. La suite des évènements est dure à prédire, mais il est tout de même intéressant d’examiner quelques situations historiques. Quand le gouvernement formé par le Parti travailliste britannique, dans les années 1970, s’est mis à attaquer la classe ouvrière, cela a mené à une montée de la gauche et à la scission de la plupart des éléments de droite du parti. Cependant, suite à la trahison du gouvernement NPD de Bob Rae en Ontario, les syndicats furent forcés de s’opposer au gouvernement (surtout le SCFP et les TCA), mais aucune faction de gauche organisée n’a émergé. Au lieu, la gauche est tombée dans la désillusion et s’est mise à s’éloigner, alors que l’abstention de quelques syndicats a pavé la voie aux conservateurs de Mike Harris. Il est aussi possible que, particulièrement dans l’éventualité d’une coalition entre les libéraux et le NPD, la bande de Mulcair fusionne avec les libéraux, ce qui laisserait un parti affaibli en termes parlementaires, mais beaucoup plus près des syndicats et des mouvements ouvriers. Il est impossible de prédire lequel de ces scénarios est le plus plausible; il faut donc garder un œil ouvert et s’attendre à de changements drastiques et soudains. Ce qui est certain, c’est qu’une période paisible de réformes est aujourd’hui impossible.
Finalement, que va-t-il arriver si le NPD se retrouve confiné à sa troisième place traditionnelle? Contrairement à Jack Layton, Mulcair n’est pas très aimé en tant que chef du parti. Mulcair a été élu pour une seule raison : gagner. S’il échoue à livrer la marchandise, cela pourrait rendre sa position intenable et discréditer l’aile droite du parti. Toutefois, il est intéressant de regarder la vague de crises du leadership dans le parti. Carole James, Adrian Dix, Andrea Horwath et Greg Selinger ont tous fait face, à différents degrés, à une révolte des membres et du caucus ayant pour cause l’impasse du réformisme de droite. Dans le passé, durant les années 1970, ces crises du leadership auraient mené à la montée d’une alternative de gauche. Cependant, cela n’est pas arrivé en raison de l’extrême dégénérescence et de la démoralisation de l’aile gauche de la social-démocratie. La faiblesse de la gauche a mené ces leaders ratés à être remplacés par des leaders tout autant de droite. Dans la période précédente, la « gauche-molle », malgré son anti-stalinisme, tirait une certaine confiance de l’existence du modèle alternatif que constituait l’URSS. La chute de ce modèle et la période prolongée de calme relatif dans la lutte des classes ont mené l’aile de gauche à abandonner le socialisme, même en mots. Les politiques keynésiennes capitalistes de la soi-disant gauche d’aujourd’hui sont fréquemment plus à droite que celles défendues par l’aile droite du parti dans les années 1960 et 1970. Tout ce que nous pouvons prédire, c’est que dans la période à venir, de nombreuses opportunitées se présenterons pour qu’une direction de gauche solide remplace l’aile droite discréditée. Toutefois, il semble quasiment certain que le leadership ne proviendra pas des pathétiques « gauchistes » de l’heure et devra venir d’une source encore inconnue, si elle vient.
Quand l’explosion sociale surviendra-t-elle ?
Il y a plus de matière à combustion qu’il n’en faut pour une explosion sociale au Canada. En effet, alors que nous rédigeons et discutons du présent document, une nouvelle éruption sociale semble se former au Québec et celle-ci pourrait être plus grande que la grève étudiante qui a ébranlé la province en 2012. La pression ressentie par les libéraux québécois pour restaurer l’équilibre budgétaire à tout prix pourrait potentiellement provoquer une nouvelle guerre avec les travailleurs-euses de la fonction publique. Le projet de loi 3 a en pratique déchiré les conventions collectives des travailleurs-euses municipaux afin de s’attaquer à leurs pensions de retraite. Ce n’est certainement pas ce que les électeurs du Québec pensaient lorsqu’ils ont élu Philippe Couillard et les libéraux dans un gouvernement majoritaire il y a un an de cela. Ce mensonge, cette trahison, a frappé les travailleurs-euses de la province et a provoqué la plus grande crise sociale au Québec depuis la grève générale de 1972. Même la police, l’arme de coercition de l’État bourgeois, a été affectée. Le président d’un des syndicats de policiers a dit : « On peut difficilement blâmer les gens présentement de ne pas se soumettre à la règlementation quand on voit que le gouvernement actuel déchire des ententes et revient sur des contrats. C’est difficile de dire aux gens de respecter les règlements et les lois en vigueur quand le gouvernement lui-même ne les respecte pas. »
Le mouvement de 2012 était limité par le fait que la classe ouvrière n’est pas entrée dans la lutte de manière organisée. Le potentiel de bâtir un lien entre la classe ouvrière et le mouvement étudiant était là, comme le montre la sortie spontanée des travailleurs-euses durant les manifestations de casseroles de soir. Toutefois, malgré ses limites, le mouvement étudiant a été capable de battre le gouvernement libéral de Jean Charest et temporairement arrêter la hausse des frais de scolarité. Malheureusement, le manque de connexion avec les travailleurs-euses et la position abstentionniste prise par la direction du mouvement étudiant n’ont pas permis au momentum de 2012 de se maintenir, et le Parti québécois nouvellement élu fut en mesure de ramener la hausse des frais de scolarité.
Cette fois-ci, le mouvement est basé autour des revendications des travailleurs-euses, avec les étudiants-es comme alliés. Il y a un potentiel que les travailleurs-euses puissent faire cesser les activités de la province et ainsi mettre une grande pression sur le gouvernement libéral. Aussi, cette fois-ci les leaders étudiants-es semblent au courant du fait qu’ils doivent s’unir avec les travailleurs-euses s’ils veulent gagner contre le gouvernement. Le mouvement en 2015 pourrait être de plus longue haleine et avoir un plus grand impact, alors que la lutte des classes s’échauffe au Québec.
Les travailleurs-euses et la jeunesse du Québec ont montré un grand enthousiasme dans leur désir de lutter. Malheureusement, ils ont été confronté-e-s à une direction soit timide ou confuse. D’un côté, les dirigeant-e-s syndicaux ont tenté de garder le couvercle sur le mouvement, ce qui a causé de la frustration et freiné la mobilisation de la base. De l’autre côté, les leaders étudiants ont simplement promu une escalade d’actions sans prendre en compte les conditions objectives. Cette situation a provoqué un contrecoup dans certains secteurs de la population étudiante. En réponse à l’opportunisme des dirigeants syndicaux, les activistes étudiants tendent à pencher vers des actions individuelles aventuristes et une approche «boycottiste» à l’endroit des syndicats. Ces deux pôles ne sont que deux côtés de la même médaille et, en fait, se complètent et se renforcent mutuellement. L’opportunisme dégoûtant des dirigeants syndicaux pousse la jeunesse dans une direction ultra-gauchiste, mais une approche ultra-gauchiste ne peut qu’isoler les activistes étudiants et renforcer le contrôle de la bureaucratie syndicale sur sa base. Ces deux pôles sont tous deux des barrières à l’avancement de la lutte.
Mais qu’advient-il avec le reste du Canada? Les conditions sociales au Canada anglais ne sont pas meilleures (et dans certains cas, elles sont pires) qu’au Québec. Toutefois, de manière générale, les luttes syndicales ont été très calmes, sauf dans quelques rares occasions.
Ce qui a freiné le développement de la lutte des classes dans le reste du Canada a été la faillite totale de la direction pourrie du mouvement ouvrier. L’ampleur de l’état arriéré des leaders dans le mouvement ouvrier a été époustouflant à certains moments. Dans un effort pour empêcher la droite des conservateurs de Tim Hudak d’être élue, de grands secteurs du mouvement ouvrier de l’Ontario ont appuyé Kathleen Wynne et les libéraux aux dernières élections provinciales. Un groupe de syndicalistes de gauche ont même qualifié le budget des Libéraux du « plus progressiste des 20 dernières années. » Le président de la Ontario Federation of Labour (OFL), Sid Ryan, a même critiqué le NPD pour avoir voté contre le budget et avoir plongé la province en élection. Tout cela, malgré le fait que les économistes bourgeois ont affirmé que le plan d’austérité des libéraux impose des réductions de dépenses beaucoup plus grandes que celles qui étaient mises en place durant les années détestées du gouvernement conservateur de Mike Harris/Ernie Eves!
Depuis les élections, les travailleurs-euses du secteur public ontarien ont rapidement commencé à comprendre les effets de l’alliance entre leurs syndicats et les libéraux. Alors que les syndicats du secteur public entrent en négociations les uns après les autres avec le gouvernement, ils réalisent rapidement que le gouvernement tente d’arracher leur dû aux travailleurs-euses pour redresser les finances publiques de la province. (Présentement, le déficit du budget de l’Ontario est de 12,5 milliards de dollars, le plus élevé au Canada, et la dette publique est de 300 milliards, l’une des plus importante à l’échelle sous-nationale dans le monde entier) Les syndicats, les uns après les autres, se font dire que le gouvernement a une politique du « strict zéro » – c’est-à-dire que le total net des augmentations de salaires, des avantages sociaux et des pensions doit être égal à zéro. Si les salaires augmentent, il devra y avoir des sacrifices des travailleurs-euses ailleurs.
Au moment d’écrire ces lignes, les travailleurs-euses dans le milieu de l’éducation des deux plus grandes universités au Canada, l’Université de Toronto et l’Université York, sont au cœur d’une violente grève où l’administration demande davantage de coupes dans les salaires qui sont déjà des salaires de misère. Les deux syndicats ont reçu des offres initiales en-deçà du seuil de pauvreté dont la ratification était recommandée par les directions provinciale et nationale du SCFP. Bien sûr, tout cela est exécuté sous les ordres du gouvernement libéral ontarien qui a mis l’austérité à l’avant-plan dans son agenda. Mis à part un langage plus musclé du syndicat des employés des services publics de l’Ontario (Ontario Public Services Employees Union (OPSEU)), la plupart des syndicats n’ont pas encore attaqué cet agenda d’austérité.
Il semble que le pathétique exemple de leadership des dirigeants du mouvement ouvrier en Ontario va se répandre dans le reste du Canada en vue des élections fédérales de 2015. Le mantra de la plupart de ces dirigeants est : « N’importe qui sauf Harper, n’importe qui sauf les conservateurs. » Lors de son congrès à Vancouver, UNIFOR, le plus large syndicat dans le secteur privé au Canada, a appelé ses membres au vote stratégique; les membres d’UNIFOR devraient aider à faire élire les candidats libéraux dans les comptés où ils semblent être dans une meilleure position pour vaincre les conservateurs, même si cela signifie voter contre le NPD. L’étroitesse de vue des dirigeants du mouvement ouvrier est ahurissante; ce fut le gouvernement libéral de Jean Chrétien et Paul Martin qui a mis de l’avant les coupures et les attaques les plus sévères de l’histoire du pays, incluant des coupures massives dans les services sociaux (qui n’ont jamais été restaurées) et le licenciement du tiers de la fonction publique à l’époque. Les trahisons des dirigeants du mouvement ouvrier ne font que désorienter et démoraliser les travailleurs-euses de la base qui essaient de riposter aux coupures, aux attaques, et à l’austérité que la classe dirigeante leur impose.
Cependant, tel qu’il a été dit en ce qui concerne la direction du NPD, l’état désolant de la direction du mouvement ouvrier ne va pas durer éternellement. Déjà, nous avons vu le début d’un changement dans l’humeur et la conscience avec l’élection de Hassan Yusuff comme nouveau président du Congrès du Travail du Canada (CTC). L’élection de Yussuff fut la première fois de l’histoire du CTC qu’un président en poste est défié sans être réélu. Yussuff a été forcé de faire campagne à gauche pour se distancer des politiques conciliatrices et discréditées de son prédécesseur. Ken Georgetti avait rendu le CTC complètement inoffensif comme outil d’organisation de la riposte des travailleurs-euses canadien-ne-s. Malheureusement, Yussuff a fait bien peu pour se distancer de Georgetti depuis qu’il a été élu, et il a aidé à organiser la campagne du mouvement ouvrier pour supporter les libéraux dans la prochaine élection fédérale.
Pour ceux et celles qui se plaignent du « faible niveau de conscience » de la classe ouvrière, nous n’avons qu’à regarder les grèves à l’Université de Toronto et à l’Université York où les travailleurs-euses du secteur de l’éducation, au moment d’écrire ces lignes, ont systématiquement rejeté les ententes de principe auxquelles en étaient venues les équipes de négociation des syndicats. Dans les deux universités, la contestation provient de la base des syndicats : à l’Université de Toronto, la plupart de ces membres de la base avaient peu ou pas d’expérience en politique. La bureaucratie n’est pas plus forte que les lois de l’histoire et il ne fait aucun doute que, tandis que les conditions continuent de se détériorer pour les travailleurs-euses, ils défieront la bureaucratie à de nouvelles occasions.
L’avenir est dans la jeunesse
L’état de paralysie du mouvement ouvrier qui afflige presque tout le pays ne peut pas durer éternellement. Tel que mentionné plus tôt dans le document, il est important d’approcher les choses de manière dialectique. Les contradictions et les pressions de la crise du capitalisme vont éventuellement forcer la classe ouvrière à bouger, même si elle est présentement bloquée par sa propre direction. Et cette charge sera menée par la jeunesse.
La génération plus âgée, particulièrement les dirigeants du mouvement ouvrier, est encore guidée dans son action (ou son inaction) par les vieilles leçons et les vieilles expériences du passé. Plutôt que de voir le boom économique d’après-guerre comme une anomalie de l’histoire du capitalisme, ils sont convaincus que ce n’est qu’une question de temps avant que nous revenions à la période des années 1950-60. Comme nous l’avons expliqué dans tous nos documents et articles internationaux, la présente crise n’est pas qu’une crise cyclique; elle est plutôt partie intégrante d’une crise organique du capitalisme, une crise qui va jusqu’à la racine même des contradictions de ce système. L’OCDE elle-même (pas tout à fait une organisation trotskyste) prédit jusqu’à 50 ans de stagnation et de crise.
La jeunesse d’aujourd’hui, contrairement aux générations précédentes, n’a pas le souvenir d’un temps où le capitalisme pouvait lui offrir un avenir. Elle ne souvient pas du « bon vieux temps », parce qu’elle ne l’a jamais vécu. D’aussi longtemps qu’ils peuvent se remémorer, les jeunes n’ont eu droit qu’à des emplois précaires et mal payés, ou même pas payés, et ce peu importe le temps et les efforts qu’ils aient pu y mettre. Ils sont forcés de se surcharger de dettes qui semblent ne jamais pouvoir être remboursées. Avoir droit à une pension et des avantages sociaux apparaît comme une pure fantaisie. Les jeunes les plus marginalisés sont constamment harcelés et menacés par l’appareil d’État. Il est donc plus facile pour la jeunesse d’aujourd’hui d’imaginer un système différent, parce que celui dans lequel elle vit ne lui offre virtuellement aucun espoir.
Les jeunes peuvent jouer le rôle d’étincelle qui déclenche un mouvement plus généralisé de la classe ouvrière. Autour de la planète, les jeunes radicalisés, en entrant sur la scène de l’histoire, ont souvent permis de fournir l’étincelle et la poussée qui ont surmonté l’inertie qui mine le mouvement des travailleurs-euses. Même si l’on regarde le mouvement de masse qui se développe au Québec et qui se concentre principalement sur les enjeux qui affectent les travailleurs-euses, il n’aurait probablement pas pu débuter sans le magnifique mouvement des étudiants-es et de la jeunesse de 2012. Lorsqu’il est question d’un nouveau « Printemps québécois », il est directement fait référence au mouvement de 2012.
Il faut s’attendre à de semblables explosions de colère chez la jeunessse dans le reste du Canada. Comme expliqué brièvement précédemment, les grèves à l’Université de Toronto et à l’Université York sont la première confrontation d’importance par les travailleurs-euses de la fonction publique ontarienne contre l’agenda d’austérité du Parti libéral dans la province. Il est révélateur que ceux-ci soient principalement des jeunes. La crise dans le secteur pétrolier pourrait avoir un effet considérable en Alberta, étant donné que beaucoup des travailleurs-euses des champs de pétrole sont plutôt jeunes. Nous ne savons pas quand ni où ces mouvement vont émerger, mais la crise est trop profonde et sévère pour que ces travailleurs-euses restent passifs. À un certain moment, les conditions matérielles forceront la jeunesse à prendre son avenir en main. Cela peut aider à réveiller les autres secteurs de la classe ouvrière.
Autour du monde, nous commençons à voir un rejet des vieilles institutions, de tout ce qui représente le statu quo. Sept ans après le début de la crise financière, il n’y a pas d’espoir en vue pour la classe des travailleurs-euses. De plus en plus, les secteurs opprimés de la société commencent à envisager un avenir qui n’inclue pas le capitalisme. Les conditions qui ont donné émergence à ce virage radical commencent à se manifester au Canada, et ce pays ne sera pas immunisé à la vague qui emporte déjà le reste de la planète. Toutefois, le capitalisme n’a encore été renversé dans aucun pays, malgré des mouvements de masse d’ampleurs historiques. Notre tâche, camarades, doit être de constuire la tendance révolutionnaire qui peut fournir les idées, les méthodes et les tactiques qui permettra aux travailleurs-euses et aux jeunes de finalement renverser ce système décrépit qu’est le capitalisme.