Lors de la dernière rencontre du G20 en novembre dernier, un échange corsé a eu lieu entre Justin Trudeau et Xi Jinping. En soi anecdotique, la prise de bec est tout de même symptomatique des tensions grandissantes entre le Canada et la Chine. Elle est survenue alors que le Canada dévoile sa nouvelle Stratégie pour l’Indo-Pacifique. Cette annonce marque une réorientation du Canada par rapport à la Chine, après des décennies de tentatives de rapprochement. La crise du capitalisme entraîne des tensions grandissantes entre les impérialistes, et le Canada se voit forcé de choisir son camp entre les deux puissances majeures, les États-Unis et la Chine.
Campagne de peur
Lors du récent bal diplomatique du G20, à Bali en Indonésie, le président chinois Xi Jinping a pris à parti le premier ministre Justin Trudeau, pour avoir fuité aux médias le contenu de leur échange précédent. Plus tôt dans la rencontre entre les dirigeants des 20 puissances mondiales, les deux chefs d’État s’étaient brièvement entretenus, et Trudeau avait soulevé auprès du président chinois des allégations d’interférence chinoise dans les élections canadiennes de 2019. Le gouvernement canadien avait alors divulgué aux médias les propos tenus par les deux parties. Beijing n’a visiblement pas apprécié que le cabinet de Trudeau ait orchestré cet échange et sa divulgation subséquente pour marquer des points politiques.
Ces allégations d’ingérence électorale ont été empruntées à une campagne de peur autour de la Chine que les médias canadiens ont mobilisée dans les derniers mois. Parmi les autres cas moussés par les médias, notons celui assez loufoque du chercheur chinois chez Hydro-Québec accusé d’espionnage – qui aurait envoyé des documents sensibles à partir de son adresse courriel professionnelle! – et celui des « postes de police secrets » chinois – une nouvelle étalée à travers les médias, mais presqu’entièrement basée sur un seul rapport produit par une ONG espagnole un peu louche ayant des liens avec la CIA.
La prétention selon laquelle la Chine se serait ingérée dans les élections fédérales de 2019 a d’abord été soulevée par Global News, qui soulevait des allégations très vagues prétendant que Justin Trudeau avait été informé par les services secrets que 11 candidats aux élections de 2019 auraient reçu du financement de la Chine. Mais depuis, le gouvernement canadien a été forcé d’admettre n’avoir aucune information sur ces allégations. En fait, Justin Trudeau dit n’avoir jamais été informé par les services secrets, et s’être basé sur ce même reportage de Global News pour prendre à parti le président chinois au G20! Dans le jeu diplomatique entre les puissances impérialistes, la vérité a un caractère facultatif.
Le dernier épisode dans cette campagne de peur est l’obligation imposée depuis le 5 janvier aux voyageurs en provenance de Chine de passer un test COVID, prétendument en raison de l’explosion des cas du virus au pays. Cette mesure n’a rien à voir avec la santé publique, et tout à voir avec la politique étrangère. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, il y a eu deux fois plus de cas confirmés de COVID aux États-Unis qu’en Chine dans la dernière semaine, pour une population quatre fois moins nombreuse. Cette mesure n’aura pas le moindre effet sur la propagation du virus au Canada, mais contribuera à alimenter la méfiance à l’égard des personnes d’origine chinoise au pays, ce qui en est l’objectif réel.
Une époque révolue
Avec cette campagne de peur, les médias canadiens suivent docilement la ligne donnée par Ottawa. En octobre, la vice-première ministre Chrystia Freeland a donné un discours devant la Brookings Institution, à Washington, dans lequel elle a annoncé la fin d’une « ère géopolitique qui durait depuis trois décennies ». Le Canada, après près de 30 ans à prioriser le développement des échanges avec la Chine, adopte maintenant une posture plus agressive à son égard.
Depuis environ la moitié du 20e siècle, les États-Unis sont de loin le plus important partenaire commercial du Canada. Le Canada s’est développé dans l’ombre de la plus grande puissance mondiale, qui est devenue sa principale alliée. Cela a représenté à la fois une bénédiction et une malédiction pour le pays, qui profite d’être fortement intégré à la plus grosse économie du monde, mais qui en est donc politiquement très dépendant. Le dictateur mexicain Porfirio Diaz disait à propos de son pays : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des États-Unis! » Le Canada est aussi près de États-Unis, mais a eu un peu plus de chance dans ses relations avec son voisin.
Mais le Canada, bien qu’il soit une puissance impérialiste de deuxième ordre et un vassal des États-Unis, reste une puissance impérialiste, et sa classe dirigeante a ses intérêts propres. Comme un gamin indiscipliné, le Canada a souvent tenté de jouer à être indépendant – avant de revenir se cacher sous les jupons de l’Amérique. Par exemple, après la révolution cubaine, le Canada a maintenu des relations commerciales avec Cuba, malgré l’embargo américain. De façon semblable, Pierre Elliott Trudeau a signé un accord diplomatique avec l’URSS en 1971, au grand dam des États-Unis.
Avec la montée en puissance de la Chine et le passage de ce gigantesque marché au capitalisme dans les années 90, les capitalistes canadiens ont flairé les occasions d’affaires juteuses. Une partie de la classe dirigeante canadienne s’est donc orientée vers la Chine. En 1994, Jean Chrétien a résumé ce qui comptait pour cette aile sinophile des capitalistes canadiens : « La Chine va s’ouvrir et devenir le plus gros acheteur d’équipements et de services au monde. » Le premier ministre de l’époque a donc mené une délégation commerciale en Chine, accompagné de neufs premiers ministres provinciaux et de centaines d’hommes d’affaires. La visite s’est effectivement terminée par la conclusion de projets de contrats totalisant 9 milliards de dollars.
De nombreux accords entre les deux pays ont par la suite été conclus sous les gouvernements de Jean Chrétien et de Stephen Harper. Le volume commercial entre les deux pays est passé de quelques milliards par année dans les années 90 à environ 70 milliards de dollars en 2021. La Chine représente maintenant le deuxième partenaire commercial du Canada – bien qu’elle reste très loin des États-Unis, qui reçoivent toujours 75% des exportations canadiennes. Un commentateur du Washington Post heureux du récent virage anti-Chine résume bien la pensée qui se trouvait derrière l’ouverture du Canada à la Chine dans les années 1990 : « Ce n’est pas parce que les Yankees sont trop stupidement idéologiques pour faire des affaires avec tel ou tel pays que les Canadiens doivent laisser de l’argent sur la table! »
Mais dans les dernières années, l’aile sinophobe – plus proche des intérêts américains – de la classe dirigeante canadienne est passée à l’offensive. Soulevant hypocritement la question des droits de la personne en Chine – un problème qui ne les arrête pas lorsque vient le temps de faire des affaires avec l’Arabie Saoudite ou même les États-Unis – elle prône une attitude plus agressive face à Beijing.
La saga Meng Wanzhou en 2018-2019 annonçait déjà que cette aile pro-États-Unis et sinophobe gagnait en influence à Ottawa. En 2018, le Canada a arrêté à sa frontière Meng Wanzhou, une cadre supérieure de la multinationale chinoise Huawei, à la demande des États-Unis, qui souhaitaient son extradition. En réaction, la Chine a arrêté deux ressortissants canadiens, les « deux Michaels », en plus d’appliquer d’autres sanctions contre le Canada. L’ambassadeur canadien en Chine, John McCallum, un sinophile notoire, avait ensuite été congédié pour avoir commenté publiquement sur le cas Meng Wanzhou, affirmant qu’elle avait des arguments forts contre son extradition.
Malgré cette détérioration des relations entre le Canada et la Chine, les politiques protectionnistes et la volatilité de Donald Trump forçaient le Canada à chercher d’autres avenues commerciales, notamment vers la Chine. Comme le soulignait un conseiller de Justin Trudeau en 2017, « plus nos avantages commerciaux et notre stabilité sont réduits par la politique commerciale des États-Unis, plus ils nous forcent sur le terrain du commerce mondial ».
Maintenant, avec Trump hors de la Maison Blanche, et une escalade des tensions inter-impérialistes – la guerre que se mènent les États-Unis et la Russie sur le territoire de l’Ukraine, la lutte entre les États-Unis et la Chine pour le contrôle de Taïwan et de la mer de Chine en général – , le gouvernement Trudeau rentre dans le rang.
L’administration Biden demande à ses alliés de mettre fin à leur attitude ambigüe face à la Chine. Washington est en train de mettre de la pression sur ses alliés européens pour qu’ils adoptent la ligne dure avec la Chine. Cela s’est vu récemment dans les couloirs de l’OTAN, selon des sources du Financial Times. Le Canada, lui, semble avoir cédé à la pression l’an dernier, ayant signé une Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis–Canada, qui annonçait déjà un changement de ton avec la Chine.
Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique
Dans son discours d’octobre dernier à la Brookings Institution, Chrystia Freeland a présenté la réflexion qui se trouve derrière la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Elle a évidemment fardé ses paroles d’apparats libéraux-démocratiques, mais leur contenu est clair. L’époque de l’ouverture à la Russie et la Chine est terminée. L’heure est à l’« amilocalisation » (« friendshoring ») : au resserrement protectionniste des rangs dans le camp impérialiste occidental. « En 1989, nous avons encaissé les dividendes de la paix. Aujourd’hui, il est temps de contracter une assurance contre la guerre », a-t-elle dit.
Le Canada adopte donc un ton plus agressif avec la Chine, qui « est une puissance mondiale de plus en plus perturbatrice », selon la Stratégie. Elle annonce une présence militaire accrue du Canada dans la région Indo-Pacifique. Elle prévoit des dépenses militaires dans la région de 500 millions de dollars au cours de cinq prochaines années. La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a aussi annoncé sa volonté d’augmenter la fréquence des passages de navires de guerre canadiens dans le détroit de Taïwan. Le Canada fera aussi passer le nombre de frégates qu’il maintient dans la région de une à trois, en plus d’augmenter le nombre d’attachés militaires. Aussi, le Canada augmentera sa contribution au Groupe des cinq, l’organisation d’espionnage qui réunit l’Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et le Canada.
Chrystia Freeland a aussi parlé des nations « qui nichent entre les deux camps ». Alors que les tensions géopolitiques montent, des blocs impérialistes se forment. À mesure que les États-Unis tournent leur attention vers la région Indo-Pacifique, le Canada ne veut pas être laissé de côté. Pour amener les pays neutres dans la sphère d’influence occidentale, le Canada y dépensera des centaines de millions de dollars, à travers différentes initiatives entrepreneuriales ou présentées sous des apparences humanitaires et de lutte contre les changements climatiques.
En plus de manœuvres militaires, l’impérialisme canadien prendra des mesures économiques. Si le Canada ne va pas cesser de faire des affaires avec la Chine, la Stratégie annonce un virage vers le protectionnisme. Le Canada n’a pas le poids économique pour vraiment faire mal à la Chine, et se tirerait dans le pied s’il lançait une guerre commerciale contre la Chine comme le font actuellement les États-Unis. Tout de même, le Canada souhaite rapatrier ses chaînes d’approvisionnement stratégiques, ou au moins les rendre moins dépendantes de la Chine. Ce phénomène, que les journaux d’affaires appellent le « découplage », se voit à travers l’Occident. Freeland a expliqué : « Nous devrions poursuivre nos échanges commerciaux tout en veillant à ce qu’ils n’atteignent aucune vulnérabilité stratégique de nos chaînes d’approvisionnement et de nos économies en général. »
En effet, la dépendance des chaînes d’approvisionnement canadiennes à l’égard de la Chine pose problème avec la montée des tensions impérialistes. Cette dépendance pourrait être utilisée par la Chine comme outil géopolitique et faire très mal au Canada. Les impérialistes canadiens n’auront pas manqué de remarquer comment la Russie se sert de la dépendance européenne sur son carburant. En coupant son approvisionnement, la Russie fait des ravages en Europe. Il devient très cher pour les Européens de se chauffer, ce qui alimente l’inflation, porte des coups durs aux entreprises et déstabilise un gouvernement après l’autre alors que la colère gronde chez les masses. Grâce à cet outil, Vladimir Poutine est en train de semer la division entre l’Union européenne et les États-Unis. Freeland a dit vouloir s’assurer que le Canada ne puisse « jamais être exposé à du “chantage” » de ce genre.
Véhicules électriques, batteries et minéraux critiques
Dans une attaque protectionniste sans précédent contre la Chine, le gouvernement canadien a récemment ordonné à trois minières canadiennes exploitant des mines de lithium au Chili et en Argentine de couper leurs liens avec leurs investisseurs chinois, en utilisant un prétexte de sécurité nationale. L’annonce faite par le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne représente un avertissement à la Chine que le Canada serait beaucoup moins accueillant pour les capitaux chinois dans le domaine des « minéraux critiques ». Le Canada va notamment interdire, sauf situation exceptionnelle, aux sociétés d’État d’investir dans les minéraux critiques canadiens, une décision qui vise très clairement la Chine.
Les minéraux critiques sont 31 minéraux énoncés dans une nouvelle Stratégie canadienne sur les minéraux critiques, notamment le lithium, le graphite, le nickel, le cobalt, le cuivre et les éléments des terres rares. Ces minéraux sont essentiels à la fabrication de produits stratégiques, comme les semi-conducteurs et autres composantes numériques. La Stratégie, qui prévoit des investissements de 4 milliards de dollars dans cette filière, contient un fort sous-entendu protectionniste et fait partie des efforts de « friendshoring » et de rapatriement des chaînes d’approvisionnement stratégiques. « Les alliés européens du Canada ont récemment vu ce qu’il en coûtait de dépendre de pays aux valeurs différentes des nôtres pour l’approvisionnement en produits stratégiques comme le pétrole et le gaz; et l’on souhaite ardemment éviter ce genre de vulnérabilités dans les marchés émergents tels que les minéraux critiques », peut-on lire dans le document.
Le lithium en particulier, nécessaire à la production de batteries, commence à acquérir une importance stratégique alors que les gouvernements à travers le monde se donnent comme cible de cesser de produire des véhicules à essence. Le Canada, par exemple, a comme objectif de mettre fin à leur production en 2035. Selon l’Association internationale de l’énergie, la demande mondiale en lithium devrait augmenter de plus de 10 fois d’ici 20 ans.
Or, la Chine domine cette industrie, et contrôle 60% de la capacité mondiale de transformation du lithium. Cela représente un problème pour les impérialistes occidentaux. Les États-Unis essaient de mettre fin à cette dépendance à la Chine, et ont récemment adopté une loi protectionniste pour tenter de régler le problème, le Inflation Reduction Act. Cette loi donne des crédits d’impôts aux entreprises qui produisent leurs véhicules électriques avec des minéraux critiques provenant d’Amérique du Nord ou d’alliés des États-Unis.
Le Canada ne veut pas manquer cette occasion. Le pays possède la sixième plus importante réserve (connue) de lithium au monde, mais n’a pas encore de mine. Toutefois, des compagnies minières canadiennes exploitent le lithium du Chili, qui possède de loin les plus importantes réserves de ce minéral. Mais le Canada est dépendant de la Chine pour la transformation du lithium, n’ayant pas d’usine de raffinage. Ottawa va financer différentes usines de transformation de lithium, et plusieurs projets de mines de lithium ont été lancés au Québec, avec le soutien du gouvernement provincial. La Stratégie parle aussi d’accélérer le processus d’attribution de permis d’ouverture de mines.
Tensions inter-impérialistes
Alors que le système capitaliste s’enfonce toujours plus profondément dans la crise, les rapports de force entre les impérialistes se font de plus en plus instables. Le déséquilibre économique entraîne un déséquilibre géopolitique. L’époque où les capitalistes avaient une foi aveugle en la mondialisation, c’est-à-dire en l’extension du commerce mondial, pour amener la paix (sur leur territoire, précisons) est révolue. Lorsqu’il y avait assez de viande pour tout le monde, les charognards impérialistes se laissaient plus ou moins tranquilles les uns les autres. Mais le déclin économique pousse maintenant les vautours à se battre pour chaque miette, entraînant des tensions géopolitiques et des conflits inter-impérialistes. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’agressivité du Canada face à la Chine.
La guerre en Ukraine représente un élément du même portrait d’ensemble. Cette guerre oppose réellement les États-Unis et la Russie, pour déterminer qui des deux pillera l’Ukraine et les alentours. Plus généralement, les États-Unis ont poussé la Russie à lancer une invasion coûteuse et risquée pour affaiblir leur rivale et forcer les pays d’Europe de l’Est à rentrer définitivement dans le camp occidental. Les États-Unis tentent de réaffirmer leur position de première puissance mondiale face à la montée de nouvelles puissances.
Toutefois, l’Europe de l’Est représente un front secondaire pour les États-Unis. La Russie, bien que militairement dangereuse et possédant la capacité de faire chanter l’Europe avec ses fortes réserves de pétrole, demeure une puissance impérialiste de deuxième ordre. C’est vers la région Indo-Pacifique que les regards américains se portent, comme le président Joe Biden l’a déclaré dans un récent document de stratégie de sécurité nationale.
La montée en puissance de la Chine, qui est maintenant la deuxième économie et la deuxième puissance militaire mondiale, représente une rivale bien plus épeurante pour les États-Unis. Les États-Unis se dépêchent d’asseoir leur contrôle sur l’arrière-cour de la Chine (l’Indo-Pacifique) avant que celle-ci ait pu étendre son influence. Les États-Unis ont eu une certaine frousse pendant quelques années, lorsque le président des Philippines à l’époque avait annoncé la fin de son amitié avec les États-Unis et le début d’une alliance avec la Chine, jusqu’à ce que son successeur revienne dans le giron américain. On peut aussi mentionner le cas de Hong-Kong, sur laquelle Beijing a affermi son contrôle dans les dernières années. Nous pouvons également mentionner les îles Salomon, qui ont signé un pacte de sécurité avec la Chine cette année, obligeant les États-Unis à accroître leurs efforts diplomatiques envers les nations insulaires du Pacifique.
Mais c’est autour de Taïwan que les deux plus grandes puissances mondiales se confrontent à l’heure actuelle. L’île au large de la Chine est réclamée par celle-ci, mais se trouve largement sous influence américaine. Taïwan a une importance stratégique cruciale à notre époque, produisant 92% des micropuces avancées, ainsi qu’une part importante des semiconducteurs, ce qui la place au cœur de l’économie numérique. La visite de Nancy Pelosi à Taïwan l’été dernier représentait un pied-de-nez des États-Unis pour signaler à la Chine qu’ils comptaient bien maintenir l’île sous leur égide. La visite a eu lieu dans le cadre d’un tour de l’Asie pour resserrer les rangs des alliés des Américains dans la région face à la Chine.
C’est dans le cadre de ce conflit entre les deux plus grandes puissances mondiales qu’il faut comprendre la nouvelle agressivité du Canada face à la Chine. Le Canada suit l’exemple donné par les États-Unis, qui fait pression sur ses alliés.
De plus, alors que les États-Unis tentent de soustraire la région Indo-Pacifique à l’influence chinoise en y investissant davantage de capitaux, les capitalistes canadiens veulent leur part du butin. La Chambre de commerce du Canada, par exemple, « se félicite de l’engagement du gouvernement à élargir et à approfondir l’engagement économique du Canada dans la région indo-pacifique ». « La plus grande contribution immédiate que le Canada peut apporter à la région indo-pacifique est de développer une stratégie globale pour exporter des quantités beaucoup plus importantes de nourriture, de carburant et d’engrais dans la région », affirme l’organisation patronale, qui flaire visiblement la bonne affaire.
Le bon vieux protectionnisme
Mais malgré les jolis mots comme le « découplage » et « l’amilocalisation », nous assistons ici tout simplement au retour du bon vieux protectionnisme. En période de crise, chaque bourgeoisie nationale se met à compter ses sous, et regarde ses voisins avec suspicion. Le Brexit et le « Make America Great Again » ne représentaient pas de purs accidents ni seulement des lubies de politiciens débiles (bien que cela a joué un rôle), mais prenaient aussi leurs racines dans la crise du capitalisme. Depuis la pandémie et la guerre en Ukraine, la montée du protectionnisme s’est vue dans un pays après l’autre, alors que chaque pays réagit au protectionnisme des autres par ses propres mesures protectionnistes.
Toutefois, cela ne fera qu’empirer la crise du capitalisme. Protectionnisme signifie prix plus élevés, donc inflation. En effet, le protectionnisme revient à produire à la maison moins efficacement les mêmes produits qui sont produits plus efficacement ailleurs. Cela aura pour effet d’augmenter le coût de la vie, alors que les marchandises plus coûteuses d’ici remplaceront les marchandises moins coûteuses produites à l’étranger.
Cela aura des répercussions sur la stabilité intérieure, au Canada et dans le reste des pays capitalistes avancés. Malgré la stagnation des salaires depuis les années 80 en Occident, le développement de l’industrie chinoise et l’accroissement massif des importations en provenance de Chine représentaient un facteur de stabilité. Les marchandises faites avec du cheap labour chinois – le fameux Made in China – avaient envahi les marchés occidentaux, et donné aux travailleurs accès à toutes sortes d’objets peu dispendieux. Cela permettait aux capitalistes d’offrir certains « luxes » aux travailleurs sous la forme d’appareils électroniques et électroménagers abordables. Les salaires stagnaient, mais au moins on pouvait s’attendre à payer de moins en moins cher pour des gadgets faits en Chine.
Mais ce processus est en train de se renverser. Ce protectionnisme aura pour effet d’empirer l’inflation. Il viendra à la fois perturber les chaînes d’approvisionnement des entreprises, ce qui pourrait ralentir ou arrêter la production dans certaines industries, notamment celles exigeant des composantes électroniques ou des batteries au lithium, et ainsi accélérer la récession. Mais aussi, ce qui était abordable pour le travailleur moyen pourrait devenir un luxe. Avec l’inflation déjà galopante, une poussée du protectionnisme a le potentiel de faire exploser la crise du coût de la vie.
Les travailleurs ne resteront pas les bras croisés face à une telle réduction de leur niveau de vie. La crise inflationniste est déjà en train de déclencher un mouvement massif des travailleurs au Royaume-Uni, avec un mouvement de grèves dans toute une série de secteurs. Il faut s’attendre à ce que cela survienne ici aussi. Déjà, les chiffres montrent une montée significative du nombre de jours de grèves au Canada cette année.
En 2021, certains commentateurs bourgeois avaient la naïveté de croire que les gouvernements pourraient rembourser leurs énormes dettes pandémiques grâce à une « reprise en V », un boom économique comme pendant les Trente Glorieuses qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Mais le boom d’après-guerre avait été stimulé par l’explosion du commerce mondial. Aujourd’hui, nous vivons une situation beaucoup plus similaire à celle des années 30, avec une crise économique majeure qui approche, combinée à une montée du protectionnisme et des tensions entre blocs impérialistes.
Les impérialistes canadiens jouent avec le feu. En tentant de maintenir leur position sur le marché mondial par une agressivité accrue, ils risquent de miner leur situation intérieure, en poussant les travailleurs à la révolte. Quoi qu’ils fassent, les capitalistes ne feront qu’empirer les choses. Leur système est à l’agonie. Il est temps de mettre fin à leurs souffrances en lui donnant le coup de grâce.
Travailleurs de tous les pays, unissez-vous!
En novembre dernier, la lutte des classes a fait un retour en force en Chine, avec d’importantes manifestations déclenchées par un soulèvement des travailleurs de Foxconn à Zhengzhou. Le réveil de la classe ouvrière chinoise représente un développement majeur. L’immense classe ouvrière chinoise est constituée de centaines de millions de travailleurs opérant l’usine du monde. La planète est littéralement dépendante de la classe ouvrière chinoise, qui possède un énorme pouvoir potentiel. Dans la lutte des travailleurs canadiens contre leurs patrons, les travailleurs chinois peuvent représenter des alliés importants. Nous devons rejeter les tentatives de nous diviser.
La classe ouvrière n’a pas à choisir son camp entre les bandits impérialistes canadiens et chinois. Les travailleurs n’ont rien à gagner, et tout à perdre des manœuvres agressives du Canada contre la Chine et de ses ambitions impérialistes dans l’Indo-Pacifique. Celles-ci ne font qu’accroître les risques de conflits armés, et entraînent davantage de gaspillage de fonds publics en armement, alors que les services publics s’effondrent. La campagne de peur sinophobe ne va qu’alimenter le racisme, dans un contexte de montée du racisme anti-asiatique, divisant davantage la classe ouvrière. Les travailleurs canadiens doivent s’opposer aux manœuvres et à la rhétorique belliqueuses et anti-chinoises de leur classe dirigeante.