La nouvelle vague de dénonciations d’agressions sexuelles qui secoue le Québec expose ce que plus personne ne peut ignorer : la violence envers les femmes est omniprésente, et la justice est complètement absente. Des décennies de luttes courageuses ont passé et les choses ne semblent pourtant pas avoir tant évolué. Comment se fait-il qu’on doive encore se battre contre les agressions sexuelles, l’objectivation du corps des femmes, l’abus de pouvoir et pour le simple respect du consentement?
Les violences sexuelles sont le seul type de crime violent qui n’est pas en baisse depuis 20 ans au Canada. Au Québec, c’est une femme de plus de 15 ans sur trois qui a été victime d’au moins une agression sexuelle au cours de sa vie. Mais ce sont aussi des enfances qui sont constamment brisées : deux tiers des victimes d’agression sexuelles ont moins de 18 ans. Les cas d’agression sont sans surprise plus élevés chez les personnes LGBTQ, handicapées et racisées, et chez les Autochtones. Le quart des crimes contre la personne au Québec sont commis dans un contexte de violence conjugale.
Pas de justice sous le capitalisme
Les faits sont alarmants, et pourtant il y a encore beaucoup de banalisation du phénomène. On nous dit que ce n’est pas compliqué : si tu es victime, dénonce à la police. Mais il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre pourquoi seulement 5% des cas d’agression sont dénoncés à la police. Quand l’organe censé enquêter sur les agressions est connu pour sa brutalité, ses abus de pouvoir, son racisme et son sexisme, on peut bien soupçonner comment il traitera les femmes qui tentent d’obtenir justice. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, la campagne de sensibilisation aux violences sexuelles du SPVM mettait l’accent sur l’importance pour les femmes de surveiller leur comportement pour éviter de se retrouver à risque d’être agressées. Le message est assez limpide : si tu ne fais pas attention, ce sera de ta faute si tu te fais violer!
La police fait visiblement partie du problème. Un exemple frappant : suite aux révélations en 2015 de cas de harcèlement, d’agressions sexuelles et de violence envers des femmes autochtones de la région de Val d’Or par des policiers, la commission d’enquête Viens a émis 142 recommandations, dont aucune n’aborde l’enjeu des agressions sexuelles. On peut d’ailleurs imaginer combien de cas d’agressions sexuelles commises par des policiers sont cachés ou effacés des dossiers de la police…
Mais si une personne ose dénoncer à la police et entamer un processus, les choses ne s’améliorent pas. À coup de témoignages et contre-interrogatoires, on traitera la victime comme une accusée, avec pour « crime » ses moeurs et sa vie sexuelle. Tout sera scruté pour aviver les préjugés sexistes du juge et insinuer qu’ « elle l’avait sûrement cherché celle-là! ».
D’ailleurs, comme les chances de condamnation sont si minces, l’agresseur en profite souvent pour utiliser la loi à son avantage, afin de garder le silence de sa victime. Particulièrement lorsqu’il est un homme riche ou une personnalité publique, c’est simple pour lui de menacer de poursuite en diffamation : « Si tu t’attaques à ma réputation, je vais te faire la vie dure! Mes avocats vont te lessiver! ». Si maintenant beaucoup de femmes dénoncent dans l’anonymat sur les médias sociaux, cette menace n’est pas disparue. Ce sont les gestionnaires des pages Facebook ou Instagram qui sont menacées. Dans tout ce contexte, on ne peut que souligner le courage de toutes celles et ceux qui brisent le silence.
Que les dénonciations se fassent en masse sur les médias sociaux reflète une méfiance totalement justifiée à l’endroit des institutions étatiques. Et ce n’est pas un hasard que cette nouvelle vague de dénonciations survienne au moment où un mouvement de masse contre le racisme et les violences policières a surgi. Un tel mouvement ne peut que donner confiance à d’autres couches de jeunes, de travailleurs et d’opprimés de dénoncer les autres horreurs de notre société, comme les violences sexuelles.
En réalité, la police et les tribunaux ne sont pas là pour protéger l’immense majorité des travailleurs, encore moins les couches les plus opprimées comme les femmes et les minorités, ni pour rendre nos communautés moins violentes. Le récent mouvement de masse aux États-Unis l’a bien montré. L’État dans son ensemble est un outil de la classe dirigeante pour asseoir sa domination économique. On voit bien où sont les priorités de nos dirigeants : les budgets de la police sont gonflés partout, tandis que les organismes qui aident les plus vulnérables, par exemple les victimes d’agressions sexuelles, se ramassent toujours au bas de l’échelle des priorités budgétaires.
Capitalisme et oppression
Il faut répondre à une question fondamentale : pourquoi les agressions sexuelles sont-elles si fréquentes? La réalité est que le capitalisme profite de l’oppression des femmes et a intérêt à la maintenir.
Sous le capitalisme, les femmes sont tenues de faire le gros du travail domestique, en plus de travailler dans des emplois moins bien payés. Les préjugés et stéréotypes en tout genre, en plus des attitudes misogynes, servent consciemment et inconsciemment à justifier cet état de fait. Des idées s’incrustent : « une femme est « naturellement » maternelle, attentive, généreuse… ainsi pas besoin de bien payer les infirmières, les éducatrices, les enseignantes! » Le rabaissement des femmes est drôlement pratique pour les patrons, qui cherchent à garder leurs exploitées dociles et silencieuses. « Sois belle et taie-toi! »
La rareté des emplois, le fait qu’il existe constamment des chômeurs, met les travailleurs en concurrence les uns avec les autres pour obtenir un emploi. Les patrons, quant à eux, peuvent piger dans cette « armée de réserve » pour remplacer les travailleurs pas assez efficaces ou obéissants.
Dans cette compétition pour des miettes, certains travailleurs peuvent avoir moins de scrupules que d’autres, et un climat toxique et de division peut s’installer dans les entreprises. Les femmes sont alors des victimes de choix, comme le harcèlement et la violence sexuelle sont des armes faciles.
Consciemment ou inconsciemment, les patrons encouragent ce climat de division. En effet, des employées qui ont peur sont des employées dociles. Une employée n’ira pas demander une augmentation salariale si elle craint d’entrer seule dans le bureau de son gestionnaire. Et de la même façon que cette concurrence pousse les travailleurs à accepter de moins bons salaires pour avoir la chance de travailler, elle force les femmes à subir en silence la violence et le harcèlement au travail pour pouvoir payer les factures.
Le harcèlement sexuel s’inscrit dans une dynamique de rabaissement des autres. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le désir sexuel n’est généralement pas la cause fondamentale du harcèlement sexuel. Différentes études montrent que le harcèlement sexuel des femmes, particulièrement au travail, est bien plutôt une façon de les « remettre à leur place ».
Par exemple, une étude publiée dans l’American Sociological Review fait le constat que le harcèlement sexuel tend à augmenter lorsque les femmes parviennent à monter dans la hiérarchie, particulièrement dans les milieux majoritairement masculins. L’étude souligne : « Le harcèlement sexuel peut servir comme un égalisateur contre les femmes au pouvoir, motivé davantage par le contrôle et la domination que par le désir sexuel. » Dans un secteur aussi compétitif et exigeant que le milieu des jeux vidéos, par exemple, on comprend comment un « climat de terreur » a pu se maintenir chez Ubisoft.
En semant la division dans le mouvement ouvrier, l’oppression des femmes, et de façon générale celle des groupes opprimés comme les Noirs, les Autochtones, les personnes LGBT, etc., participe à désorganiser les travailleurs et, corollairement, à renforcer la domination des patrons. La violence entre collègues nuit à la solidarité, et réduit donc la possibilité de mener des luttes communes contre le patron. De plus, comme l’oppression pousse les femmes à accepter de plus bas salaires, elle crée une pression à la baisse sur les salaires et conditions de vie de tous les travailleurs. Il s’agit d’une arme extrêmement efficace pour les capitalistes.
En plus, quand il y a harcèlement ou agression dans des entreprises, ou au sein des institutions de l’État, les patrons et politiciens ont tout intérêt à taire l’affaire, pour ne pas ternir les apparences, et que les profits ou les carrières en souffrent. On ne peut avoir aucune confiance dans les patrons et les gouvernements capitalistes pour enrayer le sexisme et améliorer les climats de travail.
À cela s’ajoute la crise économique profonde dans lequel le système est entré et qui ne fera rien pour améliorer le sort des victimes de violence sexuelle et des opprimés en général. Nous en avons eu un aperçu depuis le début de la pandémie. Alors que la violence conjugale devenait un enjeu urgent avec le confinement, les centres d’hébergement pour femmes victimes de violences ont crié à l’aide. Ce n’est qu’après être venus en aide aux grandes entreprises à coup de milliards de dollars, que les gouvernements provincial et fédéral ont fini par promettre de maigres sommes pour les centres d’hébergement. Mais à la mi-juin, les sommes tardaient encore à arriver, laissant les organismes dans le rouge.
Et ce n’est que le début. Les gouvernements préparent une période d’austérité massive où nos services seront coupés, où les salaires baisseront et où le chômage montera. C’est ce contexte, où on nous force à nous battre pour des miettes, qui favorise la division, les attitudes discriminatoires et la violence, sexuelle ou autre. De la misère matérielle et le désespoir jaillissent les pires comportements de l’être humain.
L’espoir socialiste
Le problème est si profond qu’on peut facilement désespérer : rien n’a changé, rien ne changera. Or, à côté de ce portrait sombre se dessine aussi une fresque lumineuse : nous sommes entrés dans une période de révolutions. Partout dans le monde, on voit les opprimés se lever contre les horreurs du capitalisme.
Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les mentalités changent en claquant des doigts. Toutefois, lorsqu’un mouvement de masse entre en lutte, de nombreux préjugés tombent et des comportements inappropriés disparaissent. Quand les différentes couches de la classe ouvrière se battent en commun contre les capitalistes, leur État et leur barbarie, les murs de la division commencent à tomber, souvent plus rapidement qu’on peut l’imaginer. À travers l’expérience concrète de la lutte, il devient de plus en plus évident pour les travailleurs que les comportements oppressifs nuisent au mouvement.
Il y a ainsi de l’espoir, mais nous devons être réalistes : on ne peut pas s’attendre à ce que les choses changent en quémandant auprès de l’État des petites réformes budgétaires ou judiciaires.
Le mouvement ouvrier doit s’organiser pour combattre ici et maintenant toute forme d’oppression, d’où qu’elle surgisse. Mais plus fondamentalement encore, il nous faut lier la lutte contre l’oppression à la lutte pour changer de société. Le fait que le système de justice soit si pourri n’est au fond que le symptôme d’une société pourrie. Tant qu’on ne s’attaquera pas aux racines matérielles du problème, en renversant le système capitaliste, des vies continueront d’être brisées, et les agressions ne diminueront substantiellement pas. Plus que jamais, il est urgent que le mouvement ouvrier lutte pour une nouvelle société, une société socialiste où l’économie est planifiée et contrôlée démocratiquement par toutes les travailleuses et tous les travailleurs, et non par et pour les capitalistes.
Sous le socialisme, nous pourrons utiliser les immenses ressources de la société, actuellement dans les poches des capitalistes et banquiers, pour satisfaire les besoins matériels de tous – fin au chômage, à la pénurie, à la pauvreté. Mais ce sont aussi les services essentiels qu’on rendra gratuits et largement accessibles : soins de santé physique et mentale, éducation (y compris l’éducation sexuelle dès l’enfance), services aux victimes de violence sexuelle, logement abordable, garderies gratuites, etc.
Une société socialiste sera cent fois plus démocratique que le capitalisme, ce qui permettra de mettre fin au règne de l’impunité pour les agresseurs. Dans les lieux de travail et les communautés, ce ne seront plus des organes détachés de la population (police, conseil d’administration, juges), non élus et non redevables, qui décideront de notre sort. Quand un crime sera commis, la protection des victimes et les conséquences pour l’accusé seront prises en charge démocratiquement par la communauté elle-même, avec toutes les ressources nécessaires. Des corps démocratiques pourront être instaurés pour assurer la sécurité des communautés.
Et la transformation matérielle de la société rendra possibles de grands progrès moraux. Libérés de l’aliénation du travail, ce seront enfin les relations humaines qui pourront être libérées et se développer à un niveau qualitativement supérieur.