Après 15 mois d’épuisement, de temps supplémentaire obligatoire, de négociations qui ne mènent nulle part et de mépris, le personnel de la santé au Québec s’apprête à entrer en grève. Tous les autres moyens de pression ont été épuisés. Alors que le système de santé public est au bord de l’effondrement, il est grand temps de mener une lutte combative pour le sauver.
La CAQ se prépare
Les votes de grève jusqu’à présent ont été adoptés massivement. Chez l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente 60 000 travailleurs du secteur de la santé, une banque de dix jours de grève a été approuvée à 92,4%. À la FSSS-CSN, représentant 110 000 travailleurs, bien que les pourcentages n’ont pas été divulgués, le syndicat rapporte que l’appui est massif en faveur d’une banque illimitée de jours de grève. La direction de la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui regroupe 76 000 infirmières, va finalement sonder ses membres en vue d’une grève potentiellement illimitée.
Pas besoin de chercher bien loin pour comprendre pourquoi cela survient. Nous avons expliqué ailleurs l’enfer que vit le personnel de la santé depuis mars 2020 et la dégradation générale des conditions qui date de bien avant la pandémie. Et quiconque connaît personnellement une infirmière ou un travailleur de la santé saura qu’ils sont tous au bout du rouleau. Mais la CAQ reste campée sur son offre méprisante de 5% d’augmentation de salaire sur trois ans, alors que l’alliance FIQ-APTS en demande 12,4%, notamment.
Mais si les syndicats de la santé se préparent à la lutte, il est clair que le gouvernement de la CAQ fourbit ses armes aussi.
La CAQ a par exemple commandé un sondage avec des questions qui ne laissent aucun doute quant à ses intentions. Les répondants se font demander s’ils sont d’accord ou non avec des énoncés comme « Après un an, les négociations ont assez duré » ou encore « Les syndicats devraient accepter les offres du gouvernement ».
On croirait lire un mauvais exemple de sondage biaisé pour un cours de statistiques au CÉGEP. Vincent Marissal, député de Québec solidaire, affirme avec raison : « Ce sont des questions tendancieuses qui sont posées pour élaborer le dossier de persuasion du gouvernement pour une éventuelle loi spéciale. »
François Legault lui-même, niant qu’une loi spéciale est sur la table, a tout de même laissé entendre ce qui pourrait y mener : « Tant que les négociations vont bien se passer et qu’il n’y aura pas de moyens de pression importants, on va continuer la négociation. » (mes italiques)
Donc si les travailleurs n’exercent pas de moyen de pression, c’est correct. Mais malheur si vous osez utiliser la grève trop efficacement!
De même, Christian Dubé, ministre de la Santé, s’est récemment échappé en conférence de presse. Il a dit que l’état d’urgence sanitaire, qui octroie au gouvernement des pouvoirs exceptionnels lui permettant de contourner les conventions collectives du personnel de la santé, resterait en place, justement, « tant qu’on n’a pas réglé les conventions collectives avec le Conseil du Trésor ». Cela démontre bien comment la CAQ est prête à utiliser tous les moyens juridiques à sa disposition pour attaquer les syndicats.
Pour un plan uni
Comment pouvons-nous gagner la grève qui s’en vient?
Dans n’importe quel sport, une équipe dotée d’un plan de match cohérent et bien exécuté a de meilleures chances de l’emporter. Mais dans les négos actuelles, chaque joueur sur l’équipe syndicale a son propre plan séparé. En l’absence de front commun cette année, c’est chacun pour soi.
Il faut le dire : cette absence de front commun est une erreur qui ne profite qu’au gouvernement. De plus, la CAQ laissait entendre depuis longtemps qu’elle donnerait plus de miettes aux enseignants et aux préposés aux bénéficiaires qu’au reste du secteur public, avec comme objectif de diviser pour mieux régner. Le gouvernement s’est entendu avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et une entente de principe avec la FTQ a été atteinte avec des augmentations considérables pour les PAB spécifiquement. La pression est mise sur les autres syndicats pour régler rapidement le conflit.
Chez les autres syndicats, comme à la CSQ, les mandats de grève ont été de cinq jours et sont utilisés par-ci par-là. Même chose chez la plupart des syndicats affiliés à la CSN. Les différentes centrales syndicales n’ont pas coordonné leurs plans. À certains moments, le personnel de soutien des écoles était en grève, mais pas les enseignants, et vice versa!
Il est difficile de croire que ces grèves ponctuelles et isolées les unes des autres, sans plan commun ni perspective ouverte d’escalade de la lutte, mettent vraiment de la pression sur la CAQ. Ces grèves donnent l’impression que la direction syndicale vise surtout à laisser les travailleurs se défouler quelque peu plutôt qu’à mobiliser vraiment les troupes pour faire plier la CAQ. Cette tactique ne fonctionne pas, et pourrait même compromettre l’idée de la grève auprès d’une certaine couche de syndiqués.
Malheureusement, en santé aussi, les directions syndicales n’ont pas encore de plan unifié. La FIQ et l’APTS en particulier sont censées former une alliance pour les négos actuelles, mais l’APTS partira seule en grève les 7-8 juin et aucun plan commun n’est apparent. La FSSS-CSN a une banque illimitée de jours de grève, tandis que l’APTS en compte dix, et il n’est pas encore clair ce que la direction de la FIQ va proposer.
Cette mobilisation morcelée ne sera pas suffisante. Si nous voulons l’emporter, il faut que les directions syndicales en santé se dotent d’un plan commun, et qu’une grève commune soit organisée. Une grève commune des 250 000 travailleurs de la santé aurait un impact immédiat bien plus grand qu’une grève isolée de l’APTS, de la FIQ ou de la FSSS-CSN. L’union fait la force!
Pour une grève illimitée
Legault a explicitement laissé entendre cet automne qu’il n’y aurait pas d’augmentation de salaire au-dessus de l’inflation pour les infirmières. Si nous voulons gagner contre ce gouvernement, il va falloir être prêt à intensifier la lutte. Seule une grève illimitée peut mettre une pression maximale sur la CAQ.
Justement, la FSSS-CSN détient déjà une banque illimitée de jours de grève. L’alliance FIQ-APTS devrait faire de même! Nous devons demander de nos directions syndicales qu’elles mettent cette proposition au vote en assemblées générales, et devons nous mobiliser à la base pour amener directement cette proposition en assemblée.
Également, le mouvement accroîtra ses chances de gagner s’il est véritablement dans les mains des membres. Il existe au sein du mouvement syndical québécois une tradition de secret dans la planification de moyens de pression. Par exemple, les infirmières membres de la FIQ ne sont même pas encore au courant des plans proposés par la direction. Nous devons rompre avec ces méthodes. La base doit être pleinement impliquée dans la prise de décision sur les moyens de pression et la mobilisation.
Des comités de mobilisation des travailleuses de la base pourraient jouer un rôle important pour susciter la participation directe des membres. De tels comités pourraient organiser des actions, mobiliser la solidarité chez les travailleurs d’autres secteurs, et assurer une pression sur la direction syndicale pour ne pas qu’elle recule. Les membres doivent sentir qu’ils ont le contrôle sur le mouvement.
Loi spéciale
Le spectre de la défaite des infirmières en 1999 plane encore aujourd’hui sur le mouvement. C’est un argument récurrent contre l’idée d’organiser une grève en santé. Mais après vingt ans sans grève, la situation ne pourrait pas être pire qu’en ce moment. Le mouvement des travailleurs et travailleuses de la santé, c’est un mouvement pour réparer des décennies de ravages au système, gracieuseté du PQ, des libéraux et maintenant de la CAQ. Il n’y a plus rien à perdre, et tout à gagner!
Tel que mentionné plus haut, il est certain que la CAQ n’hésitera pas à adopter une loi spéciale ou un décret pour forcer le personnel de la santé à reculer, si les moyens de pression sont « trop importants ». Il faut se préparer en conséquence.
Les infirmières ont déjà défié deux lois spéciales, en 1999. Malheureusement, à l’époque, la FIQ était seule face au gouvernement péquiste de Lucien Bouchard. C’est pourquoi un plan commun de la FIQ, de l’APTS et de la FSSS-CSN est absolument nécessaire ici aussi!
Les directions syndicales doivent se doter d’un plan concret pour défier une loi spéciale et maintenir la grève quand elle viendra. Ce qui est particulièrement important, c’est d’en appeler à d’autres syndicats ou groupes de travailleurs pour qu’ils viennent en renfort sur les piquets et organisent des actions de solidarité. Si la CAQ a le culot de brimer les droits de ceux qu’elle appelle ses « anges gardiens », son hypocrisie dégoûtante sera révélée aux yeux de milliers de gens. Les infirmières et le personnel de la santé comptent sur un énorme respect dans la population en général, et elles trouveraient certainement un appui important dans la lutte contre une loi spéciale. Un tel mouvement de solidarité ferait trembler la CAQ. C’est ce vers quoi nous devons bâtir.
Tous et toutes derrière le personnel de la santé!
Vers une grève illimitée!
Défendons le droit de grève, défions les lois spéciales!