Le 15 mars dernier, le ministre de la Sécurité publique François Bonnardel a déposé le projet de loi 14, présenté comme une « réforme » de la police visant à « renforcer » et à « rendre plus accessible » le système de déontologie policière. Mais comme l’ont souligné la Ligue des droits et libertés (LDL) et plusieurs autres organismes, il s’agit en fait d’une contre-réforme qui aura pour effet de renforcer l’impunité des policiers en cas d’abus de pouvoir ou de violence policière. Dans un capitalisme en crise, alors que les conditions de vie s’effondrent et que l’instabilité sociale explose, les forces policières se préparent pour la répression.
Des « lignes directrices » contre le racisme
Un élément du PL 14 qui a été particulièrement décrié est l’absence de mesure concrète contre les interpellations policières et le profilage racial. En décembre 2020, un rapport du Groupe d’action contre le racisme, demandé à la suite du meurtre policier de George Floyd aux États-Unis, a conclu que le racisme contre les minorités visibles et les Autochtones existe bel et bien au Québec. De plus, en 2020, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a enregistré 76 plaintes pour profilage racial, avec une augmentation de plus de 200% en trois ans.
La première recommandation du rapport pour lutter contre cette réalité ne laissait pas de place à l’interprétation : il faut mettre fin au profilage racial lors des interpellations policières, et cela en cessant la pratique des interpellations aléatoires. Cette recommandation a été soutenue par la Cour supérieure deux ans plus tard lorsque le juge Michel Yergeau a ordonné la fin de cette pratique, qu’il a décrite comme une « forme sournoise de racisme » contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.
François Legault, qui n’a évidemment jamais eu à subir de profilage racial de sa vie, avait répondu alors qu’il faisait « totalement confiance aux policiers » et qu’il était « important de les appuyer ». Il a défendu la pratique des interpellations aléatoires en demandant à ce qu’on laisse les policiers « faire leur travail ». Les modifications dans le projet de loi reflètent bien cette attitude nonchalante : elles n’interdisent pas les interpellations policières aléatoires, mais obligent seulement le ministre de la Sécurité publique (Bonnardel) à établir des « lignes directrices » et les corps policiers à publier un rapport annuel sur les interpellations effectuées.
Bonnardel cherche à faire bonne figure en promettant d’inscrire dans ses lignes directrices aux corps de police « l’obligation d’éradiquer les interpellations avec motif discriminatoire », mais dans les faits, comment compte-t-il s’assurer que ces lignes directrices soient respectées? Qu’est-ce qui empêcherait un policier d’interpeller une personne pour des motifs racistes, et de déclarer autre chose dans son rapport? L’« encadrement » de Bonnardel revient à laisser les corps policiers faire ce qu’ils veulent, tant qu’ils produisent des chiffres à la fin de l’année.
Comme l’a justement fait remarquer Brian Myles dans un éditorial pour Le Devoir, « le ministère de la Sécurité publique remet la responsabilité de régler les problèmes de profilage racial entre les mains des organisations [des corps policiers] qui ont été incapables de le faire depuis tant d’années. Et il s’imagine qu’il obtiendra d’improbables résultats ». En effet, penser que la police va d’elle-même éradiquer le profilage racial dans ses rangs parce qu’on lui a donnée des lignes directrices, alors qu’elle est consciente de ce problème depuis des années sans lever le petit doigt pour le régler, c’est l’équivalent de croire aux licornes.
Encore plus d’impunité pour la police
Ce n’est cependant pas l’élément le plus choquant du projet de loi 14. Présentement, la Loi sur la police soutient que « toute personne » peut porter plainte en déontologie policière en cas de violation de droit ou d’abus de la part d’un policier; le PL 14, en revanche, veut limiter ce droit aux victimes d’un abus et aux personnes directement présentes sur le lieu de l’intervention. En pratique, cela voudrait dire qu’un proche d’une personne tuée par un policier ne pourrait pas porter plainte à moins d’avoir été en personne, sur les lieux, au moment du meurtre!
Au lieu de porter plainte, ces plaignants tiers seraient dirigés vers un système secondaire de signalement dans lequel la Commissaire à la déontologie policière n’aurait pas à fournir de justification en cas de rejet. En l’absence du statut de plaignant, les tiers n’auraient aussi plus de recours en révision lorsque la Commissaire déciderait de fermer un dossier après une enquête.
Or, selon une étude récente, ces plaintes effectuées par des tiers représentaient entre 2015 et 2020 seulement 3,2% des plaintes déposées, mais 22,6% des dossiers menant à des citations de policiers devant le Comité de déontologie policière et 27,9% des sanctions imposées par ce dernier. Les chiffres ne mentent pas : si les forces de l’ordre tiennent autant à enlever le pouvoir de porter plainte aux tiers, c’est que ces plaintes sont en général plus efficaces.
Il est évident que le but de cette réforme est de limiter les recours des gens ordinaires contre les abus et la violence policière et d’offrir encore plus d’impunité aux policiers, qui peuvent déjà en grande majorité brutaliser des jeunes racisés ou agresser des femmes autochtones sans rien recevoir de plus que des congés avec solde et une tape sur les doigts.
Il faut également souligner que la réforme ignore aussi complètement le problème du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI). Cet organisme, supposément indépendant des corps policiers, est censé enquêter sur les abus commis par ceux-ci, mais il est sévèrement critiqué depuis sa création pour son manque de transparence et de réelle indépendance. En effet, les enquêtes doivent être déclenchées par le directeur du corps de police impliqué dans un accident, qui contrôle aussi les informations rendues publiques. Encore plus absurde, les enquêteurs du BEI sont choisis par des corps policiers et ils sont en majorité issus du milieu policier! Résultat : depuis février 2020, aucune des 156 enquêtes indépendantes menées par le BEI ne s’est résolue en une accusation portée contre un policier. C’est un autre aspect de l’impunité policière auquel le PL 14 ne s’attaque pas. Clairement, la CAQ ne voit aucun problème à laisser la police enquêter sur la police.
Au service des patrons
Ce projet de loi arrive à point pour les corps policiers. Dans un contexte d’une crise du capitalisme de plus en plus aiguë, ces derniers cherchent à avoir plus d’impunité afin d’effectuer leur travail de répression sans rendre de compte à personne. Car dans les faits, la véritable fonction de la police n’a rien à voir avec la protection des citoyens. En effet, la police n’est pas un corps neutre. Comme l’explique Friedrich Engels, l’État, dans son essence, est un corps d’hommes armés (police, tribunaux, armée) qui défend les intérêts de la minorité dirigeante contre la majorité. La police des États capitalistes a pour but premier la défense de la propriété privée des capitalistes, comme elle le montre lorsqu’elle éjecte des personnes sans-abris des campements de fortune, réprime des travailleurs en grève ou attaque des manifestants autochtones défendant leurs terres. Une telle fonction, évidemment, ne pourrait être accomplie par des individus aux vues larges et progressistes. L’institution policière attire donc nécessairement à elle les individus les plus bornés et réactionnaires, et encourage chez eux les sentiments les plus rétrogrades comme le racisme, le sexisme, l’homophobie, etc. En somme, sous le capitalisme, la police sert à opprimer les masses – et elle préfèrerait ne pas avoir de citoyens en colère dans les pattes en le faisant.
Cela devient encore plus vrai alors que les conditions de vie des travailleurs se dégradent sous la crise du capitalisme et que la lutte des classes gagne en acuité. Cette contre-réforme sera utilisée contre les mouvements sociaux à venir, alors que les policiers auront les coudées franches pour matraquer les jeunes ou les travailleurs en grève. Bien sûr, cette répression touchera particulièrement la gauche. On n’a qu’à regarder les différences d’attitude de la police entre le « convoi de la liberté » et ses contre-manifestants à Montréal en 2022 pour voir la place réelle de la police dans la lutte des classes.
Il faut fermement nous opposer à la contre-réforme du projet de loi 14, mais surtout, il ne faut pas se faire d’illusion sur la volonté de la CAQ de défendre les citoyens contre la police. En effet, ce n’est pas un hasard si la CAQ offre un cadeau comme le PL14 aux corps de police, comme l’a d’ailleurs fait la mairesse Valérie Plante avec son augmentation de budget record pour le Service de police de la ville de Montréal (SPVM). En fait, le gouvernement caquiste, comme la police, existe uniquement pour « protéger et servir » le patronat, et les deux travaillent main dans la main à cet effet. Par exemple, à l’heure actuelle, le gouvernement prépare le terrain pour combattre les syndicats de la fonction publique et appliquer l’austérité. Il a donc tout à fait intérêt à faciliter le travail de répression des mouvements sociaux que fait la police. La police et la CAQ sont l’épée et le bouclier de l’État et servent toutes deux à défendre la classe dirigeante.
Les revendications de la LDL pour mettre fin au profilage racial et revoir complètement le bureau d’enquête sur les abus policiers sont légitimes et valides. Cependant, les appels de certains experts à établir un « contrôle démocratique » de la police sont utopiques. Il ne saurait y avoir de conciliation possible entre les travailleurs et une institution dont la description de tâche est leur répression. Même après le mouvement explosif de Black Lives Matter aux États-Unis, les meurtres et les attaques racistes par des policiers continuent à se produire de façon régulière sans que la classe dirigeante daigne offrir autre chose que des larmes de crocodile et des gestes symboliques. Cela nous montre qu’il ne s’agit pas de « quelques pommes pourries » : la violence raciste et les abus de pouvoir font partie de l’institution de la police. Il faut être conscient que tant qu’existe le capitalisme et tant qu’il y a un État capitaliste, la police ne pourra jamais réellement être réformée ou soumise à un contrôle démocratique. Pour nous débarrasser une fois pour toute de la violence policière, il nous faut plus que des réformes, il nous faut une révolution socialiste.
Non au PL14!
Abolissons la police! Abolissons le capitalisme!