L’élection de la CAQ a eu l’effet d’une onde de choc dans la province. Rapidement, le gouvernement a fait du règlement du soi-disant « problème » de la laïcité de l’État québécois une priorité. François Legault a déjà annoncé son intention d’interdire le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, ce qui pour eux inclut les juges, les gardiens de prison, les policiers et aussi les enseignants. La CAQ a également annoncé qu’elle comptait interdire le port du tchador à tous les employés de l’État. Mais ce soi-disant débat n’a rien à voir avec la laïcité. La laïcité sert de couvert pour attaquer les minorités religieuses.
Cependant, jusqu’à présent, il n’y a eu aucune opposition claire aux intentions de la CAQ de la part de Québec solidaire, le seul parti de gauche. Le parti a plutôt adopté une position de « compromis » basé sur les recommandations du rapport Bouchard-Taylor, qui proposait d’interdire les signes religieux seulement pour les employés de l’État en position d’autorité, excluant les enseignants.
La laïcité au Québec
La question de la laïcité a joué un rôle important dans l’histoire du Québec. Avant la Révolution tranquille, l’État et l’Église catholique marchaient main dans la main alors que, par exemple, l’éducation et les soins de santé étaient prodigués par des curés et des soeurs et les sermons religieux servaient à ramener les brebis égarées dans le giron de l’Union nationale. La petite-bourgeoisie des villes, constatant l’arriération considérable du Québec par rapport aux autres pays capitalistes avancés, a mené avec l’aide des travailleurs une lutte très progressiste pour séparer l’État de l’Église.
Le souvenir de cette lutte demeure bien présente pour plusieurs Québécois. Il n’est ainsi pas surprenant que la droite gagne souvent en popularité lorsqu’elle ramène la question de la laïcité. Mais y a-t-il encore réellement un problème de laïcité au Québec? À certains égards, on peut affirmer que la séparation complète de l’Église et de l’État n’a pas été accomplie au Québec. En 2014, sur les 174 écoles subventionnées par l’État, on comptait 80 écoles confessionnelles qui se partageaient 106 millions de dollars. Ces écoles sont en écrasante majorité de confession catholique et protestante. Également, il y aurait 1636 organismes religieux au Québec qui bénéficient d’exemptions de taxes. Le crucifix trône toujours à l’Assemblée nationale. C’est Maurice Duplessis qui l’avait installé, pour signifier l’union de l’Église et de l’État au Québec.
Cependant, chaque fois que la question de la laïcité est ramenée à l’avant-plan par le PQ, le PLQ ou la CAQ, il n’est hypocritement presque jamais question de tout cela. La CAQ tente même de justifier le fait qu’elle souhaite garder le crucifix à l’Assemblée nationale. En effet, Legault affirme que le crucifix « fait partie du patrimoine ». La députée caquiste Sonia LeBel en rajoute : « Notre histoire, qu’on le veuille ou non, est fondée sur la religion catholique. Les symboles religieux sont là parce qu’ils sont des symboles de notre histoire. On n’a pas de passé musulman. » Il semble donc que le besoin de laïcité des institutions québécoises n’inclurait pas l’interdiction des symboles catholiques!
Lorsqu’on écoute le discours des nationalistes identitaires, on pourrait penser que la charia est en voie d’être implantée au Québec! Ce serait là la vraie menace à la laïcité de l’État québécois. Il est toutefois important de mettre les choses en perspective. Selon Statistiques Canada, il y aurait environ 250 000 musulmans au Québec (environ 3,1% de la population), dont 115 000 femmes. Bien que les chiffres soient difficiles à trouver, Frédéric Castel, religiologue, historien et géographe à l’UQAM, estime que seules 10% d’entre elles portent le hijab, et qu’une poignée d’entre elles (entre 50 et 100) portent le niqab. Ce sont des pourcentages de la population québécoise tout à fait insignifiants.
Alors qu’il semble y avoir consensus auprès des partis politiques sur la nécessité d’un État laïc, il n’est jamais démontré en quoi des travailleurs du secteur public revêtant des symboles religieux ostentatoires constituent une menace concrète pour la laïcité de l’État. Les partisans de la soi-disant laïcité ne présentent jamais aucune statistique, étude, ni preuve au soutien de leurs dires. Non seulement on omet de parler du faible nombre de femmes portant le voile religieux dans la province, mais on ne nous expose pas la moindre preuve d’un prosélytisme religieux chez les employés de l’État. C’est d’ailleurs ce que confirme la Fédération autonome de l’enseignement. Le syndicat s’est opposé au projet de loi de la CAQ, comme en font foi les propos de sa vice-présidente, Nathalie Morel : « Est-ce qu’il y a un dossier où on peut dire qu’il y a un prof au Québec qui a tenté de convaincre des enfants par rapport à sa foi religieuse? À notre connaissance, il n’y en a aucun. Pour nous, ce n’est vraiment pas un enjeu. »
Pourquoi, alors, cette question est-elle toujours ressassée par les grands partis? La lutte des classes a lentement mais sûrement effectué un retour depuis les années 2000 au Québec, après l’accalmie des deux décennies précédentes. On observe de plus en plus de mouvements des travailleurs et des jeunes. Dès lors, le débat sur les « accommodements raisonnables » puis sur les signes religieux dans la fonction publique est devenu la diversion de choix. On instrumentalise le sentiment laïque des Québécois et on l’utilise pour cibler les musulmanes en particulier.
Or, lorsqu’on porte attention aux statistiques, on observe que le nombre de demandes d’accommodements raisonnables pour des motifs religieux de toute sorte est peu significatif au Québec. À cet égard, la Commission des droits de la personne n’aurait reçu que 20 demandes, dont une seule concernant le port du voile, entre avril 2015 et mars 2016, et ce nombre ne semble pas avoir vraiment augmenté depuis. Difficile de voir comment il peut y avoir un problème ou une menace quelconque. Évitons donc le piège qui nous est tendu de croire qu’il est ici réellement question de laïcité de l’État. Il faut rejeter les termes de ce « débat ». Les mesures discriminatoires proposées par la CAQ n’ont plus rien à voir avec la lutte héroïque des années 60 contre l’Église catholique. L’enjeu des signes religieux dans le secteur public a été monté de toute pièce par la caste politicienne. Elle a semé les germes d’un discours identitaire raciste afin de diviser les travailleurs et détourner leur attention des politiques d’austérité qu’on leur impose.
Alors que Legault martelait il y a peu de temps le besoin urgent de régler cette question, il n’est pas surprenant qu’il ait récemment annoncé que le projet de loi sur la laïcité allait être repoussé au printemps 2019. Le sempiternel débat pourra se poursuivre et servir d’écran aux éventuelles coupes et attaques du gouvernement envers les travailleurs.
La direction de Québec solidaire joue le jeu de la CAQ
Sur la question des signes religieux, la direction de QS propose depuis plusieurs années le « compromis » du rapport Bouchard-Taylor, qui proposait d’interdire les signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité seulement, ce qui exclut les enseignants. Il s’agit d’une voie mitoyenne entre ceux qui sont contre toute interdiction et ceux qui veulent une opposition ferme au port de symboles religieux pour tous les employés de l’État.
Pour justifier cette position, une donnée revient souvent dans les rangs du parti : 76% des Québécois sont en faveur d’une interdiction des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité. Comment pouvons-nous aller à l’encontre de l’opinion des trois quarts des Québécois, nous dit-on? Mais là réside justement le noeud du problème. Si la rhétorique raciste de la droite a un succès auprès de la population et a entre autres permis à la CAQ de monter en popularité, ce n’est pas parce que les Québécois ont la « fibre raciste » particulièrement forte. Une des raisons importantes expliquant ce succès réside dans l’absence quasi complète de contre-discours sur cet enjeu. En réalité, la position défendue par la direction ne fait que permettre au débat xénophobe de se poursuivre sans réelle opposition.
D’ailleurs, en entrevue, Gabriel Nadeau-Dubois a été incapable de défendre cette position. Lorsqu’il s’est fait demander par un auditeur s’il serait prêt à aller dans une classe et dire à des jeunes portant le hijab ou la kippa qu’ils ne pourront pas devenir policiers, juges ou procureurs, il a patiné et a admis que « ces discussions sont difficiles » et que la position de QS « n’est pas parfaite ».
Par ailleurs, cette recherche de compromis à tout prix est inutile, même du point de vue étroit du parlementarisme. À l’heure où la CAQ vient d’être élue à la tête d’un gouvernement majoritaire, pourquoi QS devrait-il faire un compromis? La CAQ n’a pas besoin des votes de QS pour passer sa loi. De plus, il n’y a aucune raison de croire que la CAQ cessera de s’attaquer aux minorités religieuses lorsqu’elle aura adopté son projet de loi discriminatoire. Le « compromis » de QS ne fait ainsi qu’accorder de la légitimité au discours raciste sur la soi-disant laïcité, sans obtenir rien en retour. Manon Massé donne d’ailleurs l’impression de vouloir excuser Legault : « Je ne pense pas que M. Legault soit un homme raciste et je ne pense pas que la CAQ est raciste, » a-t-elle affirmé. Cette déclaration a été faite seulement deux jours avant la grande manifestation contre le racisme du 7 octobre dernier où ni Manon Massé ni Gabriel Nadeau-Dubois n’étaient présents.
Mais cette position dans l’actuel débat n’est ultimement que le reflet de la tangente prise par la direction dès 2013. Dans la foulée du débat sur la Charte des valeurs proposée par le PQ, Françoise David avait amené ce débat dans le parti, ce qui avait finalement mené à la présentation d’un projet de charte alternative à celle du PQ.
On a pu constater les effets de ce tournant opportuniste l’an dernier, lorsque les libéraux de Philippe Couillard ont proposé leur projet de loi 62 sur la « neutralité religieuse de l’État ». Québec solidaire a alors raté une occasion en or de dénoncer l’hypocrisie des libéraux, qui ont voulu jouer la carte du racisme pour courtiser l’électorat caquiste. Les leaders de QS n’ont trouvé à reprocher à la loi, qui cherchait à forcer les femmes à retirer leur voile même dans les transports en commun, que son caractère inapplicable. Ils ont concentré leurs énergies à critiquer le fait qu’on ne s’en prenait pas au crucifix à l’Assemblée nationale, sans toutefois s’attaquer au caractère islamophobe de la loi.
Aucune véritable opposition aux projets racistes du PQ, du PLQ et de la CAQ n’a été présentée par la direction au fil des années. Françoise David disait déjà en 2013 souhaiter « faire avancer la discussion ». Elle voulait mettre de « l’eau dans son vin » pour parvenir à présenter une solution de rechange à la charte du PQ. « Il est temps d’aboutir dans ce débat », disait-elle. Cinq ans plus tard, il est clair que la stratégie de compromis de la direction n’est pas ce qui mettra fin au débat!
Le dilemme féministe
Il faut se voiler les yeux pour ne pas voir qu’au coeur du débat sur les signes religieux se retrouve la question du voile islamique. La question de l’interdiction des signes religieux a un impact démesuré sur les femmes musulmanes. « Chaque fois qu’ils commencent à parler des femmes musulmanes dans les médias, nous avons des problèmes dans la rue », affirme Bouchera Chelbi, enseignante au primaire à Montréal.
Cette question a créé des divisions chez les féministes. La question des signes religieux divise notamment la Fédération des femmes du Québec, qui a été incapable de prendre position sur le sujet récemment. Pour certaines, toute interdiction des signes religieux est une mesure particulièrement discriminatoire à l’endroit des femmes musulmanes. Cependant, pour d’autres, l’interdiction est nécessaire dans certaines limites, car le voile est intrinsèquement un symbole d’oppression des femmes.
Françoise David, notamment, faisait écho à cet argument féministe en 2013 en expliquant que « pour Québec solidaire, le voile n’est pas un symbole anodin. Il est à l’image de tous les symboles et de toutes les règles qui dans la plupart des religions infériorisent les femmes ». Cet argument est en fait celui qui est utilisé par la droite pour justifier les différentes formes d’interdiction des signes religieux. François Legault utilise le même argument pour justifier l’interdiction complète du tchador pour les employées de l’État.
Pour les marxistes, la position à avoir est en réalité très simple. Nous sommes contre toute forme d’oppression, de contrainte et de discrimination. Exiger de certaines femmes d’enlever leur symbole religieux est tout aussi oppressif que d’exiger qu’elles le portent. L’émancipation des femmes n’est pas une question de symboles, mais de conditions sociales et économiques concrètes. Dans les faits, l’interdiction des symboles religieux ne mènerait qu’à l’humiliation des femmes à qui on demanderait de retirer leur voile, et ne ferait qu’accentuer la stigmatisation envers une couche de la population déjà très discriminée. Loin d’être un facteur d’avancement de la condition des femmes, l’interdiction du port du voile pour certains emplois ne participe qu’à l’exclusion et la marginalisation de certaines femmes. Il n’y a absolument rien d’émancipateur à chercher à « libérer les femmes » en leur disant, de manière paternaliste, comment s’habiller!
Aucune émancipation ne peut « s’imposer » de l’extérieur, par des lois ou des règles bureaucratiques. Les marxistes expliquent que la lutte contre toutes les formes d’oppression doit passer par la construction d’un mouvement de masse unifié. Nous devons également lier ce mouvement à la lutte contre le système capitaliste lui-même, qui perpétue et exacerbe l’horreur que constituent les différentes formes d’oppression. Cette lutte unifiée des travailleurs et des couches opprimées contre le capitalisme est le levier le plus puissant pour faire tomber les préjugés racistes, sexistes, ou autres et ainsi véritablement éradiquer l’oppression.
La lutte contre le compromis s’organise
Le « compromis » défendu par la direction de Québec solidaire a mené à l’organisation d’une opposition au sein du parti. En effet, environ 150 militants s’organisent depuis environ six mois pour que le parti s’oppose à toute interdiction de signes religieux. Des résolutions à cet effet ont été adoptées dans une dizaine d’associations locales et une lettre contre la position défendue par l’aile parlementaire du parti a été signée par 20 candidats de QS des dernières élections. C’est le début d’un processus pour mettre cet enjeu à l’ordre du jour des instances du parti, avec pour objectif de changer la position lors de la rencontre du Conseil national de QS en mars 2019. La Riposte socialiste soutient et participe à cette initiative.
En plus de l’inefficacité du compromis, ces militants soulignent que la position de la direction de QS va à l’encontre des principes fondamentaux du parti et de son programme et qu’elle n’a jamais été votée par les membres. La Déclaration de principes adoptée par les membres lors du Congrès de fondation en 2006 mentionne clairement qu’afin de favoriser la participation et l’intégration des personnes issues de l’immigration : « Il est essentiel de renforcer la lutte contre le racisme et les autres formes de discrimination s’exerçant dans différents domaines comme l’accès au logement, à l’emploi ou à la justice. » Sur la question des signes religieux en particulier, le programme affirme : « C’est l’État qui est laïc, pas les individus. Québec solidaire accepte le port de signes religieux par les usagers et les usagères des services offerts par l’État. En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instrument de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. »
La direction du parti s’accroche à la question du « devoir de réserve » pour justifier l’interdiction des signes religieux aux représentants de l’État en position d’autorité. Le devoir de réserve interdit aux fonctionnaires de faire de la propagande quelconque (politique ou religieuse). Le port de signes religieux est vu par les partisans de leur interdiction comme étant intrinsèquement une forme de propagande religieuse, bien qu’aucune étude ni statistique ne trace de lien entre le port de signes religieux et le manquement à ce devoir de réserve. Ce qui est sûr, c’est que l’interdiction du port de signes religieux en revient intrinsèquement à marginaliser les minorités religieuses et à les empêcher d’exercer certains emplois. C’est la lutte contre racisme et la discrimination qui doit dicter notre position.
Luttons contre le racisme, luttons contre la CAQ!
Depuis les élections du 1er octobre dernier, Québec solidaire se trouve en bonne posture pour jouer un rôle important dans la lutte contre les politiques de la CAQ. Cela doit commencer en s’opposant à ce débat raciste utilisé pour nous diviser et nous affaiblir. On ne peut certainement pas compter sur le PQ moribond ni sur le Parti libéral pour s’opposer aux mesures d’austérité du nouveau gouvernement et ses attaques envers les minorités religieuses.
Si nous voulons effectivement que ce débat sur les signes religieux cesse, c’est le compromis qui doit d’abord cesser! Le racisme et la xénophobie ne sont que des outils de diversion utilisés par les gouvernements et la classe dirigeante pour diviser les travailleurs, les plaçant ainsi dans une position de faiblesse qui les empêche de riposter. QS doit s’opposer à toute interdiction de signes religieux et organiser un large mouvement contre ce gouvernement raciste. Nous pourrons ainsi changer les termes du débat et démasquer la xénophobie inhérente à l’interdiction des signes religieux proposée par la CAQ.
Loin d’être un phénomène isolé, la montée du racisme et de la xénophobie s’inscrit dans un processus de polarisation qu’on observe à l’échelle mondiale. En cette période de crise du capitalisme, des larges couches de la population cherchent un bouc émissaire pour la dégradation de leurs conditions de vie. La droite et l’extrême droite pointent en direction des minorités religieuses et des immigrants. Nous devons répliquer en montrant qui est le véritable ennemi : la classe des capitalistes, et les politiciens qui défendent leurs intérêts et font payer les frais de la crise aux travailleurs. Plus qu’un parti de l’urne, QS devrait embrasser son rôle de parti des rues et mobiliser une large riposte contre les politiques de la CAQ et contre le système capitaliste qui n’a rien à nous offrir que l’austérité permanente et de plus en plus de racisme.
Pas de compromis avec les racistes!
Luttons contre le racisme, luttons contre la CAQ!