L’année 2018 au Québec a été jusqu’à maintenant marquée par une recrudescence de la lutte des classes. Les travailleurs se font plus combatifs, et les patrons plus vicieux. De semaine en semaine, de nouveaux conflits de travail éclatent. Prises individuellement, ces petites luttes économiques isolées pourraient sembler d’importance marginale. Mais prises collectivement, leur survenue à notre époque n’est pas fortuite, et présage de mouvements d’importance historique. Tranquillement mais sûrement, la « vieille taupe » de la révolution creuse son tunnel et provoque des tremblements à la surface, sous forme de grèves et de lock-out. Elle aura tôt fait de surgir, clouant le bec aux pessimistes et aux prophètes du statu quo.
Récemment, les éducatrices des centres de la petite enfance, les chauffeurs d’autobus scolaire, les emballeurs d’Elopak, les travailleurs de SICO à Beauport, les employés du Manoir Sherbrooke et les syndiqués de la SAQ, notamment, ont débrayé. Les grutiers de tout le Québec mènent une grève héroïque qui défie les ordonnances des tribunaux et ne s’abaisse pas devant la légalité bourgeoise. Beaucoup d’autres se sont récemment donné un mandat de grève, notamment les syndiqués de TVA, de la STM, de CAE et de certains établissements des Résidences soleil, ainsi que les travailleurs sylvicoles du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Dans le milieu de la santé, la grogne des travailleuses, et notamment des infirmières, s’est exprimée par plusieurs manifestations et sit-in spontanés.
Par ailleurs, d’autres éléments soulignent le caractère particulier de la situation. D’abord, il faut noter que beaucoup des récents mandats de grève ont été adoptés avec des taux d’appui très élevés avoisinant les 95%. Ensuite, l’émergence de conflits de travail dans le secteur privé aussi marque un changement, alors que les dernières décennies nous ont plutôt habitués aux grèves dans le secteur public (à l’exception du secteur de la construction).
À l’opposé, les patrons se font plus agressifs. Cette agressivité se traduit, par exemple, à des lock-out, notamment à l’aluminerie de Bécancour, cadenassée par l’employeur depuis le 11 janvier. Quant aux employés de Viterra, au Port de Montréal, ils sont en lock-out depuis le 30 janvier dernier. La direction de l’Université du Québec à Trois-Rivières a aussi récemment eu recours au lock-out contre ses professeurs. À Sept-Îles, les crapules de la minière Iron Ore Company ont mis à pied 200 employés en réaction à leur vote de grève.
Cette situation survient dans un contexte économique particulier. Le capitalisme canadien semble bien se porter, et cela se reflète par une certaine amélioration de la situation de la classe ouvrière. Le taux de chômage au Québec est à un creux historique d’environ 5,3%, et il devrait continuer à baisser d’après les prévisions de la Banque nationale du Canada. Alors que les statistiques sur le chômage sont parfois trompeuses et ne présentent qu’un aspect partiel de l’économie, présentement le bas chômage s’accompagne bel et bien d’une hausse du nombre d’emplois, et ce surtout dans les emplois à temps plein. Les salaires aussi sont en hausse, passant d’une croissance de 1,2% en 2015, à 1,4% en 2016 puis à 3% en 2017.
Trotsky expliquait que, contrairement à l’équation simpliste souvent avancée selon laquelle les crises économiques mènent à la lutte des classes et les booms économiques mènent à la paix entre les classes, c’est souvent le contraire qui se produit. Lors des années d’incertitude économique ayant suivi la crise de 2008, le Québec a été relativement tranquille sur le plan des grèves. Les travailleurs ont baissé la tête et attendu que la tempête passe, acceptant passivement l’érosion de leurs conditions de vie. Toutefois, progressivement, la combativité est revenue. L’année 2012 a évidemment vu le grand mouvement des étudiants, mais les travailleurs y sont peu intervenus. En 2013, la grève de la construction a marqué une reprise de vitesse des luttes économiques. Puis, en 2015 les employés du secteur public ont massivement fait grève, avant de se faire enfoncer dans la gorge une convention collective pourrie. Aujourd’hui, le bas taux de chômage et le contexte économique plus rassurant redonnent confiance aux travailleurs : la rareté de la main d’oeuvre renforce leur position face à l’employeur, et il devient moins risqué de perdre ses revenus pendant quelques semaines.
Ainsi, après les années d’austérité et de stagnation ou reculs des conditions de vie des travailleurs qui ont suivi la crise de 2008, la classe ouvrière commence à s’opposer sérieusement à l’offensive des patrons. Alors que la gauche avait abandonné la classe ouvrière et essentiellement rejeté la notion de lutte des classes, celle-ci reprend ses droits. Comme les marxistes l’ont toujours expliqué, la classe ouvrière, en raison de son rôle dans la production, est et demeure le groupe social le plus progressiste et le plus puissant, et donc le seul capable de renverser la classe dirigeante pourrie qui mène actuellement notre société droit dans le mur. De plus en plus de gens s’en rendent compte, particulièrement parmi la jeunesse. Son éveil au Québec représente une étape importante du processus révolutionnaire.
Mais il ne s’agit que d’un début. Même si ces grèves ne mènent pas à des gains concrets, elles amorcent un processus d’apprentissage. À travers la lutte, les travailleurs seront inévitablement confrontés à la bureaucratie de leurs syndicats qui s’est formée pendant la dernière période. Celle-ci est habituée aux concessions et aux « compromis » avec le patronat, c’est-à-dire à s’écraser sans lutter. Elle représente donc une couche conservatrice et carriériste sur le mouvement ouvrier. À mesure que la lutte des classes s’intensifie, la direction syndicale sera forcée de se diriger vers la gauche afin de mieux refléter la volonté de ses membres, ou elle sera écartée et remplacée par les meilleurs militants issus du rang des travailleurs.
Les différentes grèves, si elles restent éparpillées et divisées, ne pourront vaincre les patrons, qui disposent d’énormes moyens et qui profitent du soutien de l’État et des médias de masse. Des efforts de solidarité de la part d’autres syndicats ont déjà eu lieu avec la lutte des lock-outés de l’ABI, sous forme de dons et de manifestations. Toutefois, ces efforts doivent être étendus. Il faut que les travailleurs prennent part activement et systématiquement aux luttes de leurs frères et soeurs de classe, et c’est le devoir de la direction syndicale d’organiser ces efforts. Cela signifie par exemple d’organiser de grandes manifestations communes et de mobiliser des renforts aux piquets de grève de nos camarades en lutte.
Finalement, les travailleurs auront à mener la lutte non seulement sur le front économique, mais aussi sur le front politique. Les partis bourgeois (le PQ, les libéraux, la CAQ, les conservateurs) ne nous représentent aucunement, et sont plutôt nos ennemis. Ils se servent de l’État pour nous diviser, imposer des lois de retour au travail et écraser nos tentatives de défendre nos conditions de vie. Si nous ne nous unissons pas pour défendre nos intérêts sur le front politique aussi, les riches continueront à contrôler la société dans leur propre intérêt. Les travailleurs ont besoin de leur propre parti.
Quoi qu’il en soit, ces grèves auront des répercussions importantes sur la conscience de classe des travailleurs. Elles leur apprendront le rôle réel des patrons, des médias, des partis bourgeois et de l’État en société capitaliste, elles leur révéleront qui sont leurs amis et qui sont leurs ennemis, et elles leur permettront de prendre conscience de leur propre force. Par ces apprentissages, la classe ouvrière sera poussée vers la gauche, et en viendra de plus en plus à des conclusions révolutionnaires. Bref, la vague actuelle de grèves au Québec prépare le terrain pour des développements explosifs sur le terrain des luttes économiques comme politiques.