Nos travailleurs de la santé sont à bout, nos aînés se meurent dans les CHSLD, le matériel médical est en pénurie – c’est pour François Legault le meilleur moment pour déconfiner la population. Alors que Legault et Dr Arruda ont martelé pendant des semaines la nécessité d’« aplatir la courbe » à travers le confinement et la distanciation sociale, il est maintenant temps de sacrifier la santé des travailleurs sur l’autel du profit des patrons. Mais n’ayez crainte! « Il va y en avoir, des éclosions […] il pourrait y avoir même des personnes qui décéderaient », nous rassurait le Dr Arruda.
Legault a annoncé mardi dernier son plan pour rouvrir progressivement l’économie québécoise : 500 000 travailleurs devront retourner travailler dans les domaines du commerce de détail, de la construction et de l’industrie manufacturière à compter du 4 mai à l’extérieur de Montréal, et du 11 mai dans la métropole.
Il annonçait également lundi que les écoles primaires pourront rouvrir le 11 mai à l’extérieur du grand Montréal, et le 18 mai à Montréal et dans les couronnes nord et sud. Le Conseil du patronat du Québec se réjouit de la réouverture des écoles primaires et des garderies. Les parents pourront enfin recommencer à faire rouler l’économie et enrichir leurs patrons.
« L’immunité naturelle », ah oui?
Le 23 avril dernier, notre gouvernement a mis sur la table l’idée de l’« immunité naturelle » pour justifier de déconfiner progressivement la population, en commençant par les jeunes. Il faudrait qu’entre 60% et 80% des Québécois développent des anticorps à la COVID-19, en contractant la maladie, pour avoir une « certaine immunité de masse » avant l’arrivée d’un vaccin, nous expliquait le Dr Arruda.
La réponse des scientifiques ne s’est pas fait attendre. « Ce n’est pas un concept qui devrait être soutenu », a déclaré l’administratrice en chef de la santé publique, la Dre Theresa Tam. Il existe des preuves que certains patients ont contracté le nouveau coronavirus une deuxième fois. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a abondé dans le même sens samedi dernier. « Ce qui n’est pas clair, à date, c’est si les anticorps donnent une immunité et pour combien de temps », ajoutait l’adjoint de la Dre Tam.
De plus, Legault nous envoie des messages contradictoires. Il nous dit qu’il faut déconfiner les jeunes adultes et les enfants pour qu’ils contractent le virus et s’immunisent, mais en même temps il nous dit que tout le monde doit maintenir des mesures de distanciation sociale, respecter le deux mètres de distance, éviter les rassemblements et porter un masque si on ne peut pas pratiquer la distanciation, comme dans les transports en commun. Donc suivant sa logique, on doit contracter le virus pour s’immuniser, tout en gardant nos distances pour ne pas contracter le virus.
En outre, des médecins rapportent avoir de plus en plus de preuves que la COVID-19 peut provoquer une coagulation inhabituelle du sang et entraîner des accidents vasculaires cérébraux soudains chez des adultes de 30 et 40 ans qui ne sont pas très malades.
Et qu’en est-il de nos plus petits? La Société de soins intensifs pédiatriques du Royaume-Uni a lancé dimanche une « alerte urgente » concernant une augmentation importante d’un syndrome inflammatoire touchant les enfants, au cours des trois dernières semaines, qui pourrait être lié au coronavirus.
Legault s’est rapidement fait taper sur les doigts après avoir mentionné l’idée de l’immunité naturelle, puis s’est rétracté :
« L’immunité collective, il y a des experts qui pensent que d’avoir la COVID-19 et d’en être guéri, ça pourrait immuniser. C’est ce qu’on souhaite. […] Par contre, ce n’est pas prouvé. Donc, on ne doit pas prendre cette décision sur cette base-là. »
Lors de son annonce de lundi sur la réouverture des écoles primaires, il a donc dû mobiliser un autre prétexte : maintenant, c’est pour le bien de la santé et de l’éducation des enfants! Les pirouettes de Legault montrent bien que pour lui le motif importe peu, l’important est de déconfiner.
Le déconfinement fera déborder les hôpitaux
Legault a déclaré lundi le 27 avril que « la situation est sous contrôle, en particulier dans notre système hospitalier ». Pourtant, on venait d’annoncer que le nombre de personnes infectées avait monté en flèche à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Au moment d’écrire ces lignes, cinq hôpitaux du grand Montréal connaissent une éclosion importante. De plus, 10 000 employés sont absents du réseau de la santé québécois, sans parler de la pénurie d’employés dans les CHSLD. Les infirmières sont épuisées, et disent avoir besoin de vacances. Est-ce qu’elles ont été consultées avant qu’on propose de rouvrir l’économie?
Et que dire des lits de soins intensifs?
Le pays ne compte que 3000 lits de soins intensifs en temps normal (885 au Québec), avec une capacité d’augmenter à près de 6000 lits en temps de crise (1300 au Québec). En date de dimanche dernier, 564 patients atteints de la COVID-19 étaient aux soins intensifs à travers le Canada. Donc si on déconfine, que l’épidémie s’aggrave, et que 10 % des Canadiens sont touchés, jusqu’à 10 fois plus de malades auraient besoin de soins intensifs, selon l’Agence de la santé publique du Canada. On atteindrait rapidement la capacité maximale du système de santé à accueillir ces patients.
L’OMS a appelé au début de la pandémie à un dépistage massif. Pourtant, le nombre de tests de dépistage pour la COVID-19 stagne à chaque jour au Québec et est même en légère diminution. La clinique de dépistage « à l’auto » du Quartier des spectacles vient de fermer ses portes. Le dépistage massif des Montréalais symptomatiques vient donc de se terminer. Rien n’indique que le gouvernement a un plan clair pour tester en masse. Il ne peut y avoir de déconfinement réussi sans tester en masse la population et retracer les déplacements et contacts des personnes infectées. Sans cela, le déconfinement serait comme avancer à tâtons dans le noir.
Pas de déconfinement sans l’accord des travailleurs
Mais si l’immunité collective n’est pas soutenue par la science et potentiellement dangereuse, si le système de santé n’est pas prêt à accueillir plus de malades, s’il n’y a pas de plan clair pour augmenter le nombre de tests, pourquoi Legault souhaite-t-il mettre fin au confinement?
Parce que, comme l’a dit le ministre de l’Économie, « les entreprises, bien, à un moment donné, on ne peut pas les fermer pour toujours ». Et s’il y a des morts, tant pis. Les patrons, les actionnaires et les propriétaires d’entreprise, que Legault aime tant, ont besoin de redémarrer rapidement la production pour se remettre à se remplir les poches. Ils ne peuvent pas attendre que la situation sanitaire s’améliore.
Et pour eux, l’infection et la mort de travailleurs ne représentent qu’un dommage collatéral. De toute façon, ce n’est pas si grave pour eux, ce ne sont pas eux qui vont risquer leur vie en rentrant à leur usine ou leur commerce. Pendant que les travailleurs seront déconfinés et relanceront l’économie, les patrons, eux, resteront en confinement, bien en sécurité dans leurs grandes maisons, en regardant leurs revenus s’accumuler dans leur compte en banque.
Il faut le dire : le plan de déconfinement de Legault ne sert que l’intérêt des patrons, au péril de la vie des travailleurs. Il a été dessiné sur un coin de table, sans consulter les travailleurs, notamment ceux de la santé et de l’éducation. On ne peut s’attendre à mieux de la CAQ, le parti des patrons. C’est pourquoi la Fédération autonome de l’enseignement a été catégorique : les profs ne retourneront pas en classe sans équipement de protection. C’est la bonne réponse au plan de Legault. Nous devons être clairs : pas de déconfinement sans équipement de protection, pas de déconfinement sans l’accord des travailleurs.
La question du déconfinement est une question de classe. Il est vrai que l’activité économique devra recommencer un jour ou l’autre. Mais si cela est fait sous le contrôle des patrons, des travailleurs mourront inévitablement. Ultimement, ce sont les travailleurs, dans chaque entreprise, qui sont les mieux placés pour savoir quelles mesures de sécurité doivent être appliquées avant de rouvrir leur milieu de travail.
Seuls les travailleurs organisés peuvent s’assurer d’« aplatir la courbe » en contrôlant le déconfinement en fonction des besoins réels de la population, et non des profits des patrons.