Le 11 décembre, après la levée du parlement pour les vacances de Noël, l’administration de Postes Canada a annoncé qu’elle planifiait un arrêt du service de livraison du courrier à domicile. Cette bombe médiatique a défrayé la chronique. Alors que les députés conservateurs allèguent que cette décision a été librement prise par la direction de la société d’état, cette version des faits n’est crue par personne. Les députés conservateurs ont rapidement rappelé la ligne gouvernementale selon laquelle ces coupures étaient nécessaires pour assurer la viabilité de Postes Canada dans le futur. En fait, elles auront vraisemblablement l’effet contraire – préparer le démantèlement et la privatisation de la société de la couronne et la destruction du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes (STTP).

 

Le plan en cinq étapes, rendu public par l’administration de Postes Canada, inclut des hausses sans précédent dans les coûts des envois postaux, l’élimination de la distribution au porte-à-porte, et la suppression de 8000 emplois. Selon ce nouveau plan, les citoyens devront ramasser leur courrier dans des boîtes communes dispersées à travers leurs quartiers. Le prix d’un timbre passera de 63 sous à un dollar. Dans un rassemblement spécial du comité du transport au Parlement, Deepak Chopra, Directeur Général de Postes Canada, a été interrogé au sujet des difficultés que ces dispositions occasionneraient aux personnes âgées et aux infirmes. La réponse de Chopra était qu’ils apprécieraient cette occasion de faire de l’exercice. Ce mépris flagrant pour le bien-être des personnes vulnérables ainsi que pour les demandes du grand public ont fait l’objet de critiques virulentes.

 

Des actions spontanées de la part de travailleurs postaux se sont organisées partout à travers le pays. Les travailleurs et travailleuses des postes ont occupé au moins une douzaine de bureaux de députés fédéraux. Des réunions ont lieu dans tous les lieux de travail. Des députés du NPD ont organisé des réunions dans les hôtels de ville. Des travailleurs et travailleuses des postes frappent aux portes dans les circonscriptions conservatrices, et font signer des pétitions dans les marchés et les centres d’achats. Les conservateurs ne s’attendaient pas à de telles répercussions. Ils espéraient qu’en annonçant ces coupures juste avant les vacances de Noël, ils pourraient éviter les questions de l’opposition à la Chambre des Communes, tout en ayant l’avantage de la distraction occasionnée par les fêtes de fin d’année. Au contraire, les coupures chez Postes Canada ont été un sujet majeur dans les réunions de famille. Mal gérée depuis le début, cette attaque contre les services publics essentiels menace de devenir l’enjeu de la lutte des classes au Canada pour la prochaine période.

 

Jusqu’à récemment, les grands médias ne faisaient que répéter les communiqués de l’administration de Postes Canada sans les remettre en question. Les porte-paroles de Postes Canada et du parti conservateur avaient peint un portrait de la société d’état comme étant en crise, et gaspillant l’argent durement gagné des contribuables. Finalement, la vérité commence à émerger jusque dans les médias corporatifs, et le récit des conservateurs commence à s’effriter. La simple réalité est que Postes Canada engrangeait des profits pendant 17 des 18 dernières années. La seule année où ils ont perdu de l’argent était 2011, l’année où ils ont mis leurs employés en lock-out et ont dû régler une poursuite (sans lien avec notre propos) de plus de 200 millions de dollars. Postes Canada a rapporté des centaines de millions de dollars au portefeuille public sous forme de taxes et de profits. L’hypocrisie des conservateurs est flagrante. Durant la supposée «  crise » Deepak Chopra et ses 22 vice-présidents ont continué de recevoir millions de dollars en primes. Si leur travail est d’aider la corporation à survivre, d’après leurs propres déclarations, ils auraient dû voir leurs primes coupées. Il s’avère que leurs directives réelles, venues des conservateurs d’Harper, était de pousser la société d’état à la faillite, ce pour quoi ils ont été grassement récompensés.

 

 

L’administration de Postes Canada et les conservateurs ont le chiffre effrayant de 6 milliards $ de déficit dans le fonds de pension de la société d’état. Il s’agit d’un test statistique basé sur ce qui arriverait si Postes Canada n’existait plus – une perspective dont le gouvernement Harper nie les risques de réalisation. S’il existe un déficit, la responsabilité en incombe aux administrateurs. Les pensions sont un salaire différé, et tous les travailleurs méritent une retraite dans la dignité. Par conséquent, toute pension impayée constitue un vol de salaire. Si le système capitaliste, par le sous-financement ou à cause de mauvais retours en bourse, ne peut se permettre de payer des pensions décentes, alors nous devrons construire une société socialiste qui pourra respecter ses aînés. S’il existe suffisamment de richesse dans la société pour permettre aux gens de Bay Street de recevoir des bonus de 10 milliards par année, alors il y a suffisamment de richesse pour que tous les travailleurs, incluant ceux de Postes Canada , reçoivent des pensions décentes.

 

Au cours des dernières années , Postes Canada a dépensé plus de deux milliards de dollars sur un plan de modernisation centré sur de la machinerie permettant de trier les lettres – une activité dont ils prétendent qu’elle est en voie de disparition. En réalité, le recul graduel du courrier postal a été surévalué. Même s’il est vrai que, d’un côté, Internat réduise le besoin qu’ont les gens d’envoyer des lettres privées, le magasinage sur Internat a grandement augmenté les livraisons de colis. En fait, il existe des rapports démontrant que l’administration n’avait pas prévu cette augmentation de la quantité de colis cette année à Noël et n’a pas embauché suffisamment de travailleurs pour satisfaire la demande. Une administration qui souhaiterait maintenir et améliorer le service s’adapterait à ces changements technologiques. Au contraire, ils préféreraient détruire le service, supprimer des emplois décents et faire les profits chez leurs amis du secteur privé.

 

L’administration de Postes Canada a refusé de considérer toute idée visant l’expansion de ses services publics et la perception de revenus additionnels. Le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes fait campagne depuis longtemps pour l’établissement de services bancaires postaux. Une banque du secteur public qui utiliserait l’infrastructure postale produirait des profits publics et pourrait fournir des services bancaires à peu de frais à la population, laquelle est mal servie par les grandes institutions bancaires. De telles méthodes de capitalisme d’état ne sont pas une panacée mais le refus des conservateurs de les considérer pour des raisons idéologiques démontre qu’ils veulent réellement détruire le service.

 

L’administration et les conservateurs n’ont jamais tenté de régler les problèmes de Postes Canada. Pas besoin d’être économiste pour comprendre qu’augmenter les prix et réduire la qualité du service n’est pas une stratégie d’affaires fructueuse. La vérité en cette situation est que le gouvernement conservateur et leurs complices du conseil d’administration de Postes Canada n’ont aucun intérêt à maintenir le service postal public. Ces gens n’ont rien à faire du service qu’offre la société d’état et sont aveuglés par leur haine du syndicat des travailleurs postaux, lequel a joué un rôle militant dans l’histoire du travail au Canada.

 

Un service postal public et un syndicat fort sont un obstacle sérieux aux attaques et à l’austérité opposées à la classe ouvrière canadienne. Postes Canada joue un rôle important, celui de fournir de la compétition publique contre FedEx, UPS et d’autres compagnies de transport. Cela aide à maintenir les prix d’expédition à des niveaux abordables. L’industrie des livraisons est en plein essor à cause de l’augmentation du magasinage en ligne. Démanteler Postes Canada ou la pousser à l’extinction serait un cadeau pour ces corporations. Un cadeau encore plus grandiose serait l’affaiblissement du syndicat des employés postaux, qui donnerait une leçon aux militants du reste du mouvement ouvrier. Le rôle du STTP était crucial à l’obtention du droit de grève des employés du secteur public et des congés parentaux, même s’il s’agit d’un groupe de travailleurs en majorité masculins. Cette lutte pour conserver Postes Canada s’apparente à celle qu’ont menée les mineurs britanniques contre Margaret Thatcher en 1980. L’Angleterre avait accès à de l’énergie à bon marché grâce à l’industrie du charbon, mais Thatcher et la classe dirigeante britannique étaient prêts à la sacrifier pour détruire le syndicat des mineurs (NUM – National Union of Miners). Le NUM avait joué un rôle clé dans la défaite des « Tories » en 1974: ainsi le syndicat des mineurs devait être détruit à tout prix. Malheureusement, Thatcher a réussi en raison de l’incapacité des mouvements ouvriers britanniques à s’unir derrière les mineurs et à entreprendre les actions de solidarité nécessaires. Cela a préparé le terrain à une série de défaites du mouvement ouvrier anglais. La classe ouvrière canadienne ne peut se permettre de laisser le STTP faire face au même destin.

 

Postes Canada a une infrastructure massive et le secteur privé salive à l’idée de s’en emparer. La société d’état est le plus gros réseau de distribution et de vente au détail du pays. La crise qui a été créée de toutes pièces chez Postes Canada – les coupures drastiques dans le service, les augmentations drastiques de prix – sont une tentative de préparer la privatisation de cette société d’état, pourtant rentable. Cependant, le plan des Conservateurs de détruire Postes Canada n’au aucune garantie de réussite. Ce dont les Conservateurs n’avaient pas tenu compte était l’imposant contrecoup qu’ils ont reçu du public depuis ce communiqué. La colère augmente contre ces coupures, ce qui inquiète le gouvernement qui gouverne par sondage. Des organisations d’aînés, des municipalités, et des organisations pour les infirmes ont commencé à s’exprimer en défaveur de ces coupures. Il semble que pour une fois, Stephen Harper ait commis une grave erreur de calcul politique.

 

Il est vital que l’ensemble du mouvement ouvrier, le NPD, Québec Solidaire, et toutes les organisations qui représentent les travailleurs et la jeunesse reconnaissent cette attaque pour ce qu’elle est. Une blessure à l’un est une blessure à tous. Un mouvement de masse doit être soulevé par les travailleurs pour mobiliser la population contre cette attaque. Des manifestations, des occupations et des actions solidaires militantes doivent être organisées.

 

Plusieurs chefs du mouvement ouvrier croient qu’en acceptant l’austérité que les patrons proposent partout, ils pourront contrôler les dommages ou satisfaire aux demandes de leurs patrons ou de leur gouvernement. En fait, une décennie de concessions aux tables de négociation à travers le pays a démontré que le contraire est vrai. La faiblesse appelle l’agression. Plusieurs croyaient que les coupures massives acceptées par le syndicat en 2012 calmeraient les ardeurs de Stephen Harper jusqu’à la prochaine élection. Nous voyons maintenant que de tels reculs ne font qu’enhardir les employeurs et pavent la voie à de nouvelles attaques. Alors que tout le secteur public entre en négociations cette année, les enjeux ne pourraient être plus grands pour les travailleurs du secteur public et les services publics.

 

Pendant des années, les travailleurs, les étudiants, les aînés et des citoyens de toute sorte ont dû accepter de recevoir moins pour plus. On leur a dit qu’ils devaient sacrifier leurs services publics pour le bien de l’économie. On leur a dit que leurs salaires , leurs avantages sociaux , leurs plans de retraite et programmes sociaux ne pouvaient plus être maintenus. Et ils en ont assez. Les coupures chez Postes Canada pourraient bien devenir le symbole de l’austérité d’Harper. La colère et le mécontentement qui couvent dans la société canadienne sont comme un tonneau de poudre et les travailleurs postaux seront plus qu’heureux de fournir la torche qui y mettra le feu.

 

 

 

Mike Palecek est une représentant syndical national du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes.

 

Alex Grant est l’éditeur de Fightback — www.marxist.ca