Le 22 juin dernier, Sears Canada a annoncé la fermeture de 59 magasins en suivant un plan de restructuration permis par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). La LACC offre aux entreprises en difficulté la possibilité de restructurer leurs activités avec la protection des tribunaux. Ces ententes de restructuration protègent les intérêts des actionnaires et des créanciers au détriment des besoins des employés.
Le plan de restructuration de Sears Canada va entraîner la perte d’environ 2900 emplois au cours des prochains mois alors que les magasins fermeront leurs portes. En plus de perdre leurs emplois, ces employés affectés par le plan de restructuration ne recevront pas d’indemnité de départ. David Vaugh, avocat spécialisé en droit du travail, a affirmé à Global News que « c’est parce que les règles “normales” ne s’appliquent pas lorsqu’une entreprise demande la protection [judiciaire]. »
En juillet dernier, l’entreprise est allée en cour afin d’obtenir l’approbation pour suspendre le versement des prestations de retraite de ses employés. Cela inclut des coupes directes dans les soins de santé et le régime dentaire à la retraite, ainsi que dans les primes d’assurance-vie. Joseph Moczulski, ancien employé, a déclaré à la CBC que « nous n’avons aucun recours contre cette protection judiciaire », avant d’ajouter qu’« ils n’ont rien à faire des années que nous leur avons données ».
Tandis que la restructuration chez Sears n’a produit que de l’incertitude et des déceptions pour des milliers de travailleurs, les membres de la direction et les cadres supérieurs s’en sont bien mieux sortis. Le 13 juillet, Sears a obtenu l’approbation des tribunaux pour verser des primes de fidélisation de 7,6 millions de dollars à ses 43 cadres supérieurs et membres de la direction, auxquels s’ajoute 1,6 millions pour 116 autres employés. L’entreprise affirme qu’il est nécessaire pour elle d’offrir des primes d’incitation en argent afin de garder ses « employés essentiels » pour la durée de la restructuration.
Bien que les détails de ce versement demeurent confidentiels, ce n’est un secret pour personne que les travailleurs de Sears le voient comme une gifle au visage : les travailleurs se font voler les salaires qui leur sont dus à travers le refus de leur donner des indemnités de départ et des prestations de retraite, tandis que de généreuses primes d’incitation en argent sont approuvées pour les cadres et la direction.
Tout ce processus, par lequel les intérêts des créditeurs, des actionnaires et des cadres supérieurs de l’entreprise sont protégés et priorisés tandis que l’indemnité due aux travailleurs leur est volée, est légal et son exécution est autorisée par les tribunaux. Des juristes prédisent que les tribunaux vont approuver les primes de 9,2 millions de dollars pour les cadres supérieurs. La restructuration chez Sears nous montre clairement comment le système juridique protège les intérêts des capitalistes aux dépens de la classe ouvrière.
Les fermetures de magasins et le danger de faillite auquel Sears fait face font partie d’une tendance plus large à travers le secteur de la vente au détail en Amérique du Nord. Par exemple, Target Canada a fermé tous ses magasins en 2015, laissant près de 18 000 personnes sans emplois. En juillet dernier, La Baie a annoncé qu’elle supprimerait 2 000 postes d’ici 2018. Aux États-Unis, des entreprises comme Macy’s, Staples et Ralph Lauren ont également annoncé des fermetures de magasin. Des chaînes comme Payless ShoeSource, Aéropostale et American Apparel, entre autres, ont récemment déclaré faillite. Lorsqu’une entreprise se porte bien, elle offre aux travailleurs « l’occasion » de se faire exploiter pour de bas salaires. Lorsqu’elle entre en crise, ces mêmes travailleurs se font demander de porter le fardeau, habituellement sous la forme de licenciements et de renégociations de contrats. Au bout du compte, la classe ouvrière sera toujours perdante sous le capitalisme.
Plusieurs voix au sein du NPD et du mouvement ouvrier ont parlé d’une approche « travailleurs d’abord » en ce qui concerne les fermetures et les licenciements. Ils pensent que le salaire rétroactif, les indemnités et les fonds de pension devraient être une priorité par rapport aux besoins des créditeurs et des actionnaires. Par exemple, le candidat à la direction du NPD, Charlie Angus, a commenté la débâcle chez Sears en disant qu’il « reprendrait chaque sou des bonus des PDG lorsqu’ils congédient des travailleurs ». Des propositions similaires ont été avancées par d’autres candidats à la chefferie du NPD.
Cependant, bien que cela soit une réforme soutenue par les marxistes, cela n’est pas suffisant pour une raison bien simple : les travailleurs perdraient quand même leurs emplois et leur syndicat. Les indemnités ne sont qu’une mince consolation lorsqu’on se fait mettre dehors d’un emploi qu’on a occupé pendant des années, surtout lorsque les autres emplois disponibles sont mal payés et précaires. Pour véritablement avoir une approche « travailleurs d’abord », il en faut plus que simplement faire qu’ils soient les premiers à recevoir de faibles indemnités de départ.
Nous croyons qu’un lieu de travail fermé doit devenir un lieu de travail occupé. Les travailleurs devraient avoir le droit d’inspecter les livres et les registres de l’entreprise. Des comités syndicaux devraient être élus par les travailleurs afin de faire rouler la production si les patrons refusent de le faire. La nationalisation et le contrôle ouvrier sont nécessaires. Afin de sauver les emplois et les syndicats, l’entreprise devrait être expropriée et l’investissement devrait être fourni par l’État. C’est la seule façon de garantir que les travailleurs et travailleuses puissent garder leurs emplois et que le potentiel de production ne soit pas gaspillé.
Un système qui priorise les profits avant les personnes va inévitablement compromettre les moyens de subsistance de millions de travailleurs. La nationalisation à grande échelle des grandes entreprises de vente au détail sous le contrôle démocratique des travailleurs est nécessaire. À la place des décisions prises derrière des portes closes, les travailleurs seraient capables de décider démocratiquement comment faire tourner l’industrie. C’est seulement grâce à la propriété et au contrôle collectifs de l’économie que les intérêts et les moyens de subsistance de la classe ouvrière peuvent être protégés.