Le 4 septembre, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a annoncé qu’il mettait fin à l’accord de soutien et de confiance conclu avec les libéraux. Le très impopulaire gouvernement minoritaire de Justin Trudeau a désormais perdu le seul soutien qui le gardait en vie.

Avec une inflation galopante depuis des années et une crise du logement qui rend la vie insupportable à des millions de travailleurs, sans parler du renflouement des entreprises, de la violation du droit de grève, du soutien à Israël et de l’augmentation des dépenses militaires – les gens veulent que Trudeau s’en aille.

Au cours des derniers mois, les libéraux se sont effondrés dans les sondages, un déclin rendu encore plus évident après que le parti a perdu une élection partielle à Toronto-St.Paul’s, une circonscription habituellement considérée comme une forteresse libérale.

La colère de classe croissante cherche un exutoire. Mais le NPD – s’étant enchaîné aux libéraux que beaucoup tiennent pour responsables de leur malheur – est incapable de profiter de cette colère.

C’est plutôt les conservateurs de Pierre Poilievre, jouant la carte du populisme à la Trump, qui ont réussi à canaliser le mécontentement populaire. Ils ont habilement martelé Trudeau sur la crise du logement et l’inflation, se présentant même comme pro « classe ouvrière » – un mensonge éhonté qui les propulse néanmoins en tête des sondages.

La situation devenait intenable pour le NPD, qui devait tôt ou tard abandonner son soutien aux libéraux.

Mais la fin de l’accord de soutien et de confiance pose désormais la question d’une élection anticipée. Poilievre a déjà exhorté Singh à voter en faveur d’une motion de défiance dans les semaines à venir. Il appelle à une « élection sur la taxe carbone » le plus tôt possible.

Le spectre d’une victoire des conservateurs se profile à l’horizon. Elle signifierait le début d’une période d’austérité et d’attaques contre la classe ouvrière.

Pourquoi maintenant?

Le NPD s’est mis dans une situation difficile. Les conservateurs tenteront probablement d’imposer un vote de défiance au plus tôt, lorsque le parlement reprendra ses travaux dans les semaines à venir.

Voter contre la motion reviendrait à continuer à soutenir les libéraux et ferait directement le jeu de Poilievre. D’autre part, le NPD est en très mauvaise posture dans les sondages et perdrait probablement un grand nombre de sièges si des élections étaient déclenchées aujourd’hui… et il n’a personne à blâmer d’autre que lui-même pour cette situation fâcheuse.

Le NPD n’a donc guère d’options intéressantes.

Jusqu’à présent, Singh a refusé de soutenir une motion de défiance et a déclaré qu’il pourrait continuer à voter avec le gouvernement au cas par cas. Il essaierait donc d’obtenir des concessions fragmentaires de la part de Trudeau en échange d’un soutien ponctuel. Cela pourrait retarder les élections de quelques mois, mais cela signifierait aussi pour le NPD qu’il continuerait d’avoir l’air d’un appendice des libéraux.

Alors pourquoi est-ce maintenant que le NPD a mis fin à l’accord de soutien et de confiance? Le parti n’a pas donné d’explication claire de cette rupture surprise.

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, Singh affirme que les libéraux n’étaient pas prêts à s’opposer à la cupidité des entreprises, une explication qui fait sourciller. Vient-il de le découvrir? Qu’est-ce qui s’est passé dans les dernières semaines ou mois qui l’a amené à cette révélation?

De hauts responsables du NPD ont déclaré au Globe & Mail que l’accord avait été rompu parce que le parti avait obtenu des libéraux tout ce qu’il voulait, y compris les projets de loi sur les soins dentaires et l’assurance-médicaments.

Si c’est vrai, le NPD ne peut pas se vanter d’avoir obtenu grand-chose en échange de son pacte de 30 mois avec les libéraux. Les soins dentaires sont encore loin d’être universels ou gratuits dans tous les cas, tandis que l’assurance-médicaments a été tellement diluée qu’elle n’inclut que les contraceptifs et les médicaments contre le diabète – et le projet de loi n’a pas encore été adopté, étant encore débattu au Sénat.

La décision du NPD de déchirer l’accord avec les libéraux n’est pas fondée sur des principes, mais sur de simples calculs électoraux. Le pacte avec les libéraux était devenu un fardeau et, les libéraux étant à la traîne, ils se sont dit que le moment était venu. En fait, Singh a admis que la vidéo avait été tournée plusieurs semaines auparavant.

Le NPD aurait pu faire tomber le gouvernement libéral sur de nombreux sujets : le soutien à la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza, l’aggravation de la crise du logement, l’arbitrage obligatoire pour les travailleurs du port de Vancouver, les mécaniciens de WestJet ou, plus récemment, les travailleurs du rail – autant de questions brûlantes qui constituaient des raisons suffisantes pour faire tomber le gouvernement.

Sur toutes ces questions, le NPD aurait pu démasquer les libéraux et révéler leur vrai visage de défenseurs des riches et des puissants et d’ennemis des travailleurs. Mais la direction du NPD ne voit pas le monde d’un point de vue de classe. Maintenant, le NPD a l’air d’avoir cédé aux conservateurs (Poilievre a envoyé une lettre à Singh la semaine d’avant pour lui demander d’abandonner l’accord) sans obtenir grand-chose en retour. Non seulement les hauts dirigeants néodémocrates sont des opportunistes sans principes, mais ils sont de mauvais opportunistes.

La fin de la stabilité

Dans sa vidéo, Singh qualifie les libéraux de « faibles », tout en présentant le NPD comme le seul parti capable de vaincre les conservateurs de Poilievre. Ce faisant, Singh espère donner un nouvel élan au NPD en attirant le vote stratégique contre les conservateurs – une stratégie souvent employée par les libéraux contre le NPD.

Cependant, la montée en flèche du soutien à Poilievre est due au fait qu’il se présente, mensongèrement, comme un candidat anti-establishment – une attitude qui fait écho à la colère ambiante à l’égard des pouvoirs en place.

Le NPD, compte tenu de sa longue association avec les libéraux et des politiques libérales qu’il continue de mener, aura du mal à rivaliser avec eux, car de nombreux électeurs le considèrent comme un parti de l’establishment parmi d’autres.

De plus, il n’est pas du tout certain qu’il réussisse à voler des votes aux libéraux.

Les libéraux, même s’ils sont détestés, dépassent toujours les néo-démocrates dans les sondages et sont passés maîtres dans l’art de rallier le vote du « tout sauf les conservateurs ».

Sur sa trajectoire actuelle, le NPD se condamne à la déception et à la défaite. Toute leur stratégie fait le jeu de Poilievre.

Nous ne pouvons pas prédire quand les élections auront lieu, ni quels en seront les résultats, même si une victoire des conservateurs semble probable. Mais une chose est sûre : la stabilité de la politique canadienne n’est plus.

Le règne de neuf ans du Parti libéral, censé prouver l’immunité du Canada face au chaos du reste du monde, touche probablement à sa fin. Le NPD a peut-être contribué à freiner la marche de l’histoire, mais temporairement seulement.

La fin de l’alliance entre les néodémocrates et les libéraux ouvre une période d’instabilité, de polarisation politique et de crise, comme nous le voyons aux États-Unis et dans de nombreux pays européens.

Peu importe quel parti est élu, l’époque de la stabilité et de la paix des classes est terminée. L’issue la plus probable – la victoire du populisme de droite sous la forme des conservateurs de Poilievre – se répercutera par des crises dans encore plus de pans de la société.

Même si les libéraux ou les néo-démocrates parviennent à se faire élire, ils ne formeront pas un gouvernement stable, mais un gouvernement faible, capitaine d’un navire criblé de trous, battu par la tempête de la crise capitaliste.