Cet article a été publié sur le site de Fightback le 23 février dernier.
Une année s’est écoulée, et la différence est frappante. L’année dernière, après les raids de la GRC sur les terres des Wet’suwet’en, les efforts de solidarité ont été relativement contenus. Il y a eu des déclarations de solidarité, quelques manifestations, et les slogans des Autochtones ont circulé dans le pays. Mais au final, ce n’était rien comparé à ce que nous avons vu après les raids de la GRC sur les terres des Wet’suwet’en en janvier de cette année.
Cette année, après les attaques de la GRC, un magnifique mouvement de solidarité a fait spontanément éruption dans tout le pays – un mouvement qui affole les gouvernements et terrifie la classe dirigeante.
Il y a eu des manifestations et des occupations de solidarité dans tout le pays. Les chemins de fer ont été bloqués en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et au Québec. Des ports ont été fermés à Vancouver. Les députés n’ont pas pu entrer dans l’Assemblée législative provinciale à Victoria pendant plusieurs jours, et des routes et des ponts ont été bloqués dans tout le pays, y compris le pont de la Confédération vers l’Île-du-Prince-Édouard.
Face aux blocages ferroviaires, et voulant faire pression sur le gouvernement fédéral, le CN a fermé tout le réseau ferroviaire à l’est de Toronto, et Via Rail a dû annuler la plupart des trains de passagers à travers le pays pour la première fois de son histoire. Si certains de ces blocages ont depuis été levés ou démantelés, d’autres continuent à surgir et d’autres manifestations de solidarité sont prévues.
De nombreuses raisons expliquent la différence entre l’année dernière et cette année, mais un élément clé est l’accumulation continue de colère dans la société. Les gens ne peuvent plus supporter les injustices quotidiennes du capitalisme.
Malgré tous les discours sur la « réconciliation », les conditions de vie dans les collectivités autochtones continuent de se détériorer, et rien n’est fait pour les améliorer. La question des droits et titres ancestraux continue d’être ignorée alors que la GRC envahit les terres non cédées des Wet’suwet’en au nom d’une entreprise pétrolière et gazière.
La crise économique mondiale continue de s’aggraver. Les inégalités continuent de s’accroître sans cesse. Les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. L’austérité nous est imposée, le chômage augmente, les salaires sont bas et le loyer est inabordable. Les gouvernements promettent d’agir pour lutter contre les changements climatiques, mais ne font rien. Ce n’est pas un hasard s’il y a maintenant un changement qualitatif dans la colère que les gens ressentent envers le système, et que cela les a amenés à agir de manière décisive.
La lutte des Wet’suwet’en et les actions de solidarité doivent également être comprises dans leur contexte international plus large. Au cours de l’année passée, nous avons vu des mouvements de masse éclater dans un pays après l’autre – à Hong Kong, en France, en Catalogne, en Haïti, au Chili, en Bolivie, en Équateur, au Liban, en Irak et en Iran, pour n’en citer que quelques-uns. Nous avons également vu les manifestations et les mouvements de masse contre les changements climatiques qui se sont étendues partout dans le monde, ce qui inclut une grande manifestation à Toronto et une véritable manifestation de masse à Montréal.
Les raisons de l’éruption de la colère des masses ont été puissamment résumées par l’un des slogans du mouvement au Chili : « Ce n’est pas 30 pesos, c’est 30 ans. » Le mouvement au Chili a été déclenché par une hausse de 30 pesos du billet de métro, mais il exprimait en réalité la colère accumulée après des décennies de privatisation et d’austérité. Les 30 pesos ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ce slogan exprime la situation dans tous les pays du monde.
Pour les Wet’suwet’en, les autres collectivités autochtones et leurs alliés, il ne s’agit pas seulement de questions de titres ancestraux et d’oléoducs, mais de siècles de colonialisme, d’asservissement et de génocide, ainsi que de décennies d’austérité, de pauvreté et d’inégalités croissantes, de manque d’emplois, de logements inabordables et de bas salaires. « Assez, c’est assez! » : voilà le sentiment qui a été déclenché par la récente invasion des terres Wet’suwet’en par la GRC.
Partout dans le monde, le pouvoir du peuple se révèle. Il y a un sentiment renouvelé de confiance chez ceux qui luttent contre les inégalités et les injustices et une prise de conscience croissante que nous luttons contre des ennemis communs – la classe capitaliste et son État. Les Wet’suwet’en sont à l’avant-garde de cette lutte au Canada, littéralement sur la ligne de front, et c’est pourquoi de nombreuses personnes – qui font face aux mêmes ennemis – sont venues les appuyer et se joignent à la lutte.
Bien que la lutte des Wet’suwet’en et le mouvement de solidarité au Canada ne soient pas nécessairement à la même échelle de masse que dans d’autres endroits du monde, ils ont un niveau de militantisme jamais vu depuis des années dans ce pays, et c’est ce qui les rend importants.
Les politiciens assoiffés de sang
Si la réponse de ceux qui appuient les Wet’suwet’en a été plus déterminée, la réponse des opposants a également été plus enragée et vile. Il n’y a pas de juste milieu sur cette question, et cela reflète la polarisation croissante de la société.
La droite est assoiffée de sang. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, et le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, en particulier ont fait appel aux couches de la société les plus arriérées politiquement afin de justifier une intervention policière ou militaire musclée contre les blocages.
Kenney et Scheer ont depuis été rejoints par le premier ministre du Québec, François Legault. À peine une journée après l’adoption à l’unanimité à l’Assemblée nationale d’une motion de Québec solidaire réclamant une résolution pacifique du conflit et l’adhésion à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Legault est maintenant en pourparlers avec la police provinciale du Québec pour faire tomber les barricades et a suggéré une réponse policière inter-provinciale coordonnée. [La SQ est depuis intervenue pour évacuer le blocage à St-Lambert.]
Scheer, Kenney et d’autres affirment constamment que les actions de solidarité sont l’œuvre de « militants radicaux » qui « tiennent l’économie du pays en otage ». Derek Burney, ancien ambassadeur aux États-Unis et ancien PDG de Bell Canada, a ouvertement appelé le gouvernement à envoyer la police et l’armée « si nécessaire » pour démanteler les blocages. Il a ensuite appelé à l’expulsion des non-citoyens qui se joignent aux manifestations. Murray Mullen, PDG du groupe Mullen, qui fournit des services de transport routier dans les champs de pétrole, a qualifié les blocages d’ « éco-terrorisme ». Il s’est quelque peu rétracté ensuite, mais l’idée que les manifestants autochtones et leurs alliés qui bloquent les routes et les chemins de fer sont des « terroristes » est derrière tout ce que les politiciens de droite et les chefs d’entreprise ont dit sur la situation.
De même, ce n’est pas un hasard si, dans le contexte du démantèlement d’un blocus ferroviaire au début de l’année lors du lock-out de la raffinerie Co-op à Regina, le chef de police Evan Bray a affirmé que les blocages par les grévistes étaient « presque du terrorisme ». Le message est clair : interférer avec les intérêts économiques de la classe dirigeante et nuire à ses profits, que ce soit par des grèves ou des manifestations, équivaut à du « terrorisme » aux yeux de la classe dirigeante.
Jason Kenney a appelé à des mesures policières contre les barricades et a explicitement déclaré qu’il pense que les blocages actuels « sont une répétition générale pour des manifestations illégales contre à peu près n’importe quel projet majeur ». Il a déclaré plus tard que même s’il comprenait que la police a ses protocoles et qu’il ne serait peut-être pas prudent d’appliquer immédiatement une ordonnance du tribunal, « permettre que de telles choses se produisent pendant des semaines crée, je pense, un précédent pour les manifestations illégales et ne fait qu’encourager ceux qui font un pied de nez à l’État de droit, aux décisions démocratiques prises par le Canada, par les Premières nations et aux décisions juridiques prises par nos tribunaux. »
Les actions d’un nombre relativement restreint de personnes qui bloquent les chemins de fer ont effrayé la classe dirigeante et les gouvernements. Soulignons que si le nombre de personnes qui agissent directement est faible, leurs actions sont largement appuyées. Le fait que ces actions puissent avoir des ramifications économiques et politiques aussi importantes préoccupe profondément la classe dirigeante. Mais ce qui les terrifie absolument, c’est la perspective que, lorsque la lutte des classes s’intensifiera vraiment et que la classe ouvrière agira de manière décisive, le pays tout entier puisse être totalement paralysé.
Quelques blocages ferroviaires dans le pays ont entraîné la fermeture d’une grande partie du réseau ferroviaire et ont gravement perturbé l’économie, mais que se passerait-il en cas de grève ferroviaire ou de grève générale? La perspective d’un tel mouvement de la classe ouvrière terrifie la bourgeoisie au plus haut point.
Dépeindre la désobéissance civile comme du « terrorisme » comme le font la bourgeoisie et ses politiciens montre très clairement l’approche qu’une partie de la classe dirigeante voudrait adopter par rapport à la lutte des classes.
La lutte de classe s’intensifie et la bourgeoisie se prépare à utiliser la main de fer de l’État pour écraser la lutte de la classe ouvrière et des Autochtones. Kenney, Scheer et Legault sont impatients d’envoyer la police briser les barricades sur les chemins de fer et s’en servir comme avertissement pour toute future grève ou manifestation qui interférerait sérieusement avec les profits de la classe dirigeante.
L’État de droit
Qu’en est-il du NPD? Le chef du NPD fédéral, Jagmeet Singh, a déclaré que Trudeau doit rencontrer les chefs héréditaires des Wet’suwet’en et nommer un médiateur. Mais il reste silencieux sur le premier ministre du NPD britanno-colombien, John Horgan, qui refuse de rencontrer les chefs et qui soutient que les raids et la construction du pipeline sont sanctionnés par « l’État de droit ».
En fait, Singh soutient également le gazoduc et a déclaré qu’il soutenait « l’État de droit » lorsqu’on l’a interrogé sur l’action de la GRC l’an dernier. Mais c’est précisément l’État de droit colonial qui a conduit à la situation actuelle, donc que veulent vraiment dire ces paroles?
Le fait que le NPD n’ait pas pris de position claire explique pourquoi il n’y a pas d’enthousiasme autour du parti. Pour commencer, le parti doit appuyer sans équivoque les Wet’suwet’en, comme l’ont fait de nombreux syndicats, et demander le retrait de la police, l’arrêt de la construction du gazoduc et s’engager à renverser la politique d’État oppressive à l’encontre des peuples autochtones – en commençant par régler la situation sur les réserves qui vivent avec un avis d’ébullition d’eau.
Le blocage d’infrastructures essentielles telles que les chemins de fer et les ports est techniquement parlant une infraction au droit canadien, mais peut difficilement être considéré comme du « terrorisme ». Ce type d’action est en réalité une forme de désobéissance civile. Il ne faut pas oublier que la désobéissance civile est un outil essentiel dans les mains de la classe ouvrière dans la lutte de classe.
De plus, la lutte contre les lois injustes et autres injustices, qu’il s’agisse de l’invasion des terres non cédées des Wet’suwet’en ou de lois antisyndicales injustes, exige de défier la loi. Rappelons-nous, par exemple, que ce n’est qu’en défiant les lois injustes que les syndicats ont vu le jour.
Sinon, comment les Wet’suwet’en et leurs alliés peuvent-ils défendre leurs droits et leurs terres? Au Canada, la loi reconnaît que le titre des chefs héréditaires sur les terres traditionnelles des Wet’suwet’en est encore valide, et pourtant le gouvernement fédéral refuse de reconnaître les « revendications » des Wet’suwet’en sur leurs terres. La loi en Colombie-Britannique inclut maintenant aussi officiellement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci est censée garantir aux peuples autochtones un consentement donné librement et en connaissance de cause pour l’utilisation de leurs terres, mais rien de tel n’a été obtenu des chefs héréditaires des Wet’suwet’en. En réponse aux appels à la reconnaissance de leurs droits, on leur répond par l’invasion de leurs terres par la GRC.
Toutes choses étant égales par ailleurs, la loi canadienne devrait être du côté des Wet’suwet’en. C’est ce qui ressort clairement de l’affaire Delgamuukw (aussi connue sous le nom de Delgamuukw c. Colombie-Britannique) de 1997. Juridiquement parlant, les terres des Wet’suwet’en n’ont jamais été cédées et leur titre sur leurs terres n’a jamais été éteint. L’État de droit devrait signifier que les droits des Wet’suwet’en doivent être respectés sur leurs propres terres.
Cependant, la réalité est que la loi est utilisée contre les Wet’suwet’en, pour justifier l’invasion de leurs terres et l’arrestation des défenseurs des terres. Sous le capitalisme, l’État de droit a signifié et signifiera toujours l’État de droit dans l’intérêt de la classe capitaliste. C’est ce que le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, a bien expliqué en disant que « l’État de droit s’applique en Colombie-Britannique » et que « tous les permis sont en place pour le projet et le projet ira de l’avant ». L’État de droit signifie ici non pas la reconnaissance du titre des Wet’suwet’en, mais les injonctions et les raids de la GRC au nom de TC Energy, la société qui possède le gazoduc Coastal GasLink.
Les tribunaux et la police sont des piliers essentiels dans la défense du capital et des intérêts de la classe dirigeante. Si les capitalistes doivent ignorer ou modifier les lois pour écraser leurs ennemis, ils le feront. Nous l’avons vu pendant des siècles en ce qui concerne les peuples autochtones, et nous le voyons maintenant en ce qui concerne la question du titre des Wet’suwet’en. Nous l’avons également vu au cours des 20 dernières années avec l’adoption d’injonctions antisyndicales et de lois de retour au travail, érodant ainsi le droit de grève.
So-so-so, solidarité?
Le Canadien national et Via Rail ont utilisé les blocages comme excuse pour attaquer les travailleurs du rail. Le CN et Via Rail ont respectivement procédé à 450 et 1000 mises à pied temporaires, blâmant les blocages pour cette situation. L’objectif des compagnies ferroviaires est de diviser les peuples autochtones de la classe ouvrière en général et de les monter les uns contre les autres. Des éléments politiques rétrogrades au sein du syndicat et les réactionnaires se sont fait les champions de cette division, blâmant les blocages ferroviaires pour les pertes d’emplois.
Le fait est que le CN prévoyait déjà de licencier ou mettre à pied 1600 travailleurs. L’annonce avait été faite en novembre dernier et, selon l’entreprise, les pertes d’emplois étaient dues à une baisse des volumes de fret en raison des tensions commerciales et de l’affaiblissement de l’économie nord-américaine. Ce sont le CN et Via Rail qui ont décidé de mettre à pied des travailleurs dans le contexte des blocages, et non les manifestants.
Et maintenant, nous assistons au pitoyable spectacle de la direction des Teamsters, qui représente les travailleurs du CN, et les patrons qui s’unissent pour accuser les blocages d’être à l’origine des mises à pied. C’est exactement ce que les patrons veulent – ils veulent diviser pour mieux régner. Le véritable responsable des pertes d’emploi est le CN, le capitalisme et la recherche du profit. Le CN n’avait pas à faire de mise à pied, mais a choisi de le faire parce qu’il a décidé que la protection des profits était plus importante que le bien-être des travailleurs.
Les Teamsters ont publiquement appelé le gouvernement fédéral à intervenir et à résoudre la crise « pour défendre les emplois ». Nous voyons à nouveau le spectacle du syndicat se rangeant du côté des patrons pour « défendre les emplois », alors que le CN prévoyait déjà 1600 mises à pieds et licenciements de toute façon. Ces actions de la part de la direction du syndicat ne sauveront aucun emploi. Une telle conciliation ne fera qu’affaiblir la position du syndicat dans la défense des emplois ferroviaires.
Les Teamsters ont mis une déclaration sur leur page Facebook appelant le gouvernement fédéral à intervenir contre les blocages. Quelques publications plus haut, on trouve une image qui dit : « Je suis un travailleur syndiqué. Cela signifie que je fais partie d’une organisation qui se bat non seulement pour mon bien mais aussi pour celui de tous les travailleurs. Les syndicats fixent la norme. »
Nous sommes bien sûr tout à fait d’accord avec cette déclaration. Mais elle semble n’être qu’une platitude vide de sens pour la direction du syndicat des cheminots. Les syndicats devraient se battre dans l’intérêt de tous les travailleurs – pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail et de vie. Mais tous les travailleurs veut dire tous les travailleurs, y compris les peuples opprimés. Cette lutte pour le bénéfice de tous doit inclure les travailleurs autochtones et la lutte pour les droits des Autochtones, sans quoi ce n’est qu’un slogan vide de sens.
La classe ouvrière canadienne et les défenseurs des terres autochtones ont le même ennemi, qui a tout l’appareil d’État derrière lui. Notre arme la plus puissante est la solidarité. Une attaque contre un est une attaque contre tous. Plutôt que de demander au gouvernement fédéral d’intervenir, les travailleurs organisés doivent agir et rejoindre les blocages pour appuyer les Wet’suwet’en et lutter ensemble contre notre ennemi commun. Les cheminots devraient se joindre aux blocages et fermer le réseau ferroviaire pour défendre leurs emplois et les droits des autochtones. C’est la meilleure façon de nous défendre et de faire en sorte que nos revendications soient satisfaites.
La Fédération du travail de l’Ontario, la Fédération des enseignants de la Colombie-Britannique, le STTP, le SCFP national, le SCFP de l’Ontario, les TUAC et d’autres syndicats ont publié des déclarations de solidarité avec les Wet’suwet’en. C’est un excellent pas dans la bonne direction. Cependant, il faut en faire plus. Les dirigeants des syndicats pourraient tirer une ou deux leçons de ces blocages. Deux semaines de blocages, en violation des lois injustes du capitalisme canadien, ont fait plus que 20 ans de « réconciliation ».
Les syndicats doivent commencer à prendre des mesures combatives similaires lorsqu’ils sont confrontés à des injonctions contre leurs piquets de grève et à des lois de retour au travail. L’implication des syndicats dans les blocages de solidarité sous forme de manifestations de masse et de grèves de solidarité serait décisive dans cette situation, et permettrait de veiller à ce que les revendications des travailleurs et des défenseurs des terres soient satisfaites.
La neutralité de l’État
Les actions de la police et de l’État ne peuvent en aucun cas être considérées comme impartiales, neutres ou apolitiques. On peut le constater aussi bien lorsque la police décide de sévir que lorsqu’elle décide de faire marche arrière. Les deux sont parfaitement en accord avec la direction donnée par les politiciens à la tête de l’État.
En Colombie-Britannique, la GRC a appliqué l’injonction sous forme d’une opération massive et d’un raid contre les barricades sur les terres des Wet’suwet’en, car les gouvernements provincial et fédéral et TC Energy veulent désespérément assurer la réalisation du plus grand projet d’investissement privé de l’histoire du Canada. Qu’on leur dise directement ou non d’appliquer l’injonction et de démanteler les barricades des Wet’suwet’en, toute la situation politique et la pression du gouvernement et de la classe dirigeante signifiaient que la GRC allait appliquer l’injonction par une écrasante démonstration de force.
Une situation similaire s’est produite en Alberta à l’occasion d’un blocage ferroviaire de solidarité mis en place à Edmonton. Le CN a immédiatement demandé une injonction et le premier ministre Kenney a dit à la police, en termes très clairs, qu’il s’attendait à ce qu’elle agisse rapidement pour l’appliquer. Doug Schweizter, le ministre de la Justice de l’Alberta, a déclaré sur Twitter : « Je m’attends à ce que les forces de l’ordre prennent toutes les mesures appropriées pour faire appliquer la loi », ajoutant, « les Albertains ne seront pas les otages économiques des extrémistes qui enfreignent la loi. »
Une fois l’injonction accordée, il a ensuite écrit sur Twitter : « Avec cette ordonnance provinciale visant à protéger l’infrastructure économique essentielle du CN, je m’attends à ce que les forces de l’ordre agissent rapidement contre tout blocage futur pendant l’injonction de 30 jours. N’en doutez pas, les Albertains ne seront pas les otages économiques de contrevenants bloquant les infrastructures essentielles comme les lignes ferroviaires. »
Avec des instructions claires du gouvernement albertain, la police a en effet agi rapidement pour faire appliquer l’injonction. Cependant, la police n’a pas eu à l’appliquer – le blocage a finalement été brisé par des réactionnaires sous la protection de la police.
Ce « vigilantisme », autrement dit cette attaque par des voyous réactionnaires, a été encouragé par le candidat à la direction du parti conservateur fédéral, Peter Mackay, lorsqu’il a écrit sur Twitter : « Heureux de voir que quelques Albertains munis d’un camion peuvent faire plus pour notre économie en un après-midi que ce que Justin Trudeau a pu faire en quatre ans. »
Cela n’a fait qu’encourager l’extrême droite, qui a appelé à une action violente contre les blocages. Des actions similaires de la part de voyous d’extrême droite sont maintenant organisées ailleurs dans le pays. Cela nous montre également que certaines sections de la classe dirigeante veulent utiliser non seulement la police contre les manifestations et les grèves, mais aussi des moyens extrajudiciaires.
Crise nationale
En Ontario et au Québec, la situation a été légèrement différente. Après une conférence téléphonique, les premiers ministres ontarien et québécois, Doug Ford et François Legault, ont déclaré qu’ils considéraient que la question était un problème fédéral, ajoutant que ce n’était pas de leur ressort et que c’était « à Justin Trudeau de résoudre le problème ».
Les gouvernements provinciaux sentaient que s’ils devaient agir sans en avoir eu l’ordre du gouvernement fédéral, ils pourraient se retrouver au milieu d’une explosion de colère et de manifestations avec une crise nationale déjà hors de contrôle. Les polices provinciales de l’Ontario et du Québec ont reçu le message et, bien qu’elles aient délivré des injonctions aux barrages, elles n’ont pas agi pour les faire respecter ou arrêter les manifestants. Ce n’était pas par bonté d’âme – ils aimeraient bien s’attaquer aux blocages. Cette inaction de la part des polices provinciales en Ontario et au Québec reflète la volonté de l’État.
Une fois de retour au pays, Trudeau a fait savoir que son gouvernement voulait négocier et qu’il était déterminé à « dialoguer », comprenant qu’une intervention policière ou militaire immédiate et musclée entraînerait une véritable explosion de colère dans tout le pays. Trudeau espérait que les blocages des voies ferrées s’estompent avec la seule promesse de « dialogue » et que son gouvernement n’aurait rien à faire. La police a donc agi en conséquence.
La situation a conduit à une mini révolte de la part de certains gouvernements provinciaux contre le gouvernement fédéral. Legault, reflétant la pression économique que les blocages ont provoquée et la perspective de pénuries de biens essentiels tels que le propane et le chlore pour traiter l’eau courante, a été le plus dur. Il a refusé d’exclure le recours à la force et souhaite qu’Ottawa envoie la police le plus tôt possible.
Legault a demandé à Trudeau de fixer une date limite pour la fin des négociations et souhaite que tous les premiers ministres provinciaux lancent une action policière coordonnée pour lever tous les blocages dans tout le pays en même temps.
Le gouvernement Trudeau a proposé de rencontrer les chefs héréditaires des Wet’suwet’en, mais ces offres sont restées sans réponse. Certains chefs sont actuellement à Tyendinaga pour rencontrer les manifestants qui y ont bloqué le chemin de fer en solidarité. Les manifestants de Tyendinaga ont déclaré qu’ils ne lèveraient pas leur blocage tant que la GRC n’aura pas quitté le territoire traditionnel des Wet’suwet’en. Les chefs des Wet’suwet’en ont eux-mêmes déclaré qu’ils ne rencontreront pas le gouvernement fédéral tant que la GRC et les travailleurs de Coastal GasLink n’auront pas quitté leur territoire.
Le gouvernement fédéral s’est empressé d’annoncer que la GRC s’engageait à quitter les terres des Wet’suwet’en. Comme si cela suffisait à résoudre la situation, et ignorant la demande de départ des travailleurs de Coastal GasLink, le ministre fédéral de la Sécurité publique Bill Blair s’est empressé de dire : « Je pense que les circonstances actuelles sont telles que ces barricades devraient être démantelées. » Il était évident dès le début qu’il ne s’agissait que d’un coup médiatique et il a donc été ignoré par les chefs héréditaires des Wet’suwet’en.
Il s’est avéré que la GRC n’était pas partie et n’avait pas l’intention de partir. L’un des chefs héréditaires des Wet’suwet’en a parlé au commandant de la surveillance de la GRC qui lui a dit qu’il n’avait pas entendu parler d’une directive de quitter ou de se retirer de la région, expliquant que les nouvelles selon lesquelles ils partaient étaient fausses. En fait, les chefs des Wet’suwet’en ont expliqué que depuis le retrait annoncé, la GRC a accru le harcèlement, procédé à des arrestations illégales et augmenté la surveillance sur les terres des Wet’suwet’en.
La réconciliation est morte – la révolution vit
La « réconciliation » est bel et bien morte. Alors que de nombreux Autochtones étaient prêts à lui donner une chance dans l’espoir d’obtenir des gains réels pour leurs collectivités et de mettre fin à des siècles d’oppression, pour les gouvernements et la classe dirigeante du Canada, ce n’était qu’un écran de fumée pour leur permettre de poursuivre les mêmes politiques d’asservissement et de colonialisme qu’ils ont toujours menées.
Alors que les défenseurs des terres, les blocages et les manifestations refusent obstinément de s’essouffler, Trudeau a maintenant abandonné toute prétention au « dialogue », affirmant que « les barricades doivent être démantelées maintenant ». Sachant très bien qu’il n’a rien apporté à la table des négociations et qu’il n’est pas disposé à respecter les conditions des chefs héréditaires des Wet’suwet’en, Trudeau leur jette le blâme et déclare : « On ne peut pas avoir de dialogue quand il n’y a qu’une partie à la table. C’est pourquoi nous n’avons plus le choix : il nous faut arrêter de tendre la main. »
Cela signifie, selon toute vraisemblance, que le gouvernement Trudeau planifie une quelconque réponse policière ou militaire afin de démanteler les blocages. En fait, Trudeau enverra la police précisément parce qu’il n’a jamais eu aucun intérêt à négocier ou à dialoguer.
La défaite et le démantèlement de l’avant-poste de Tyendinaga, en première ligne du mouvement, porteraient un coup sérieux aux peuples opprimés partout. Le mouvement syndical et les alliés des Wet’suwet’en ne peuvent pas laisser Tyendinaga affronter seul ce combat. Une défaite pour eux est une défaite pour toute la classe ouvrière.
Si et quand la police ou l’armée interviendra contre les blocages ferroviaires, il est probable qu’il y aura également une répression générale de toutes les actions de protestation et de désobéissance civile en solidarité avec les Wet’suwet’en. Aujourd’hui, plus que jamais, l’unité et la solidarité sont notre force dans cette lutte. Tous ceux qui sont solidaires des Wet’suwet’en, y compris les syndicats, doivent être prêts à prendre des mesures de solidarité décisives et combatives afin de défendre les droits des Autochtones, de défendre les blocages et de poursuivre la lutte pour les droits des Autochtones et les intérêts de tous les travailleurs.
Un récent article publié sur le site Web du camp Unist’ot’en affirme :
« Le Canada envahit. Il envahit au nom de l’industrie. Envahit pendant une cérémonie. Le Canada nous arrache de notre terre. Nous arrache à nos familles, à nos maisons. Nous enlève nos tambours. Enlève nos femmes. Nous emprisonne pour avoir protégé la terre, pour avoir été en cérémonie, pour avoir honoré nos ancêtres. »
« Le 10 février, la GRC a envahi le territoire non cédé de Unist’ot’en, arrêtant et déplaçant de force Freda Huson (cheffe Howilhkat), Brenda Michell (cheffe Geltiy), Dre Karla Tait et quatre défenseurs des terres autochtones de notre yintah. Ils ont été arrêtés au milieu d’une cérémonie en l’honneur des ancêtres. La police a déchiré les robes rouges qui avaient été accrochées pour retenir les esprits des femmes, filles et personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées. Ils ont éteint notre feu sacré. »
« Nous en avons eu assez. Assez du dialogue, des discussions et des négociations sous la menace des armes. Le Canada vient pour coloniser. La réconciliation est morte. Il est temps de se battre pour notre terre, nos vies, nos enfants, notre avenir. La révolution vit. »
Nous ne pourrions pas être plus d’accord. La réconciliation est morte. La révolution vit. Les chemins de fer ont été fermés. Il est temps maintenant de fermer le pays, de mettre fin à l’héritage colonial du Canada, de mettre fin au capitalisme.