Nous avons reçu cette lettre d’un travailleur nouvellement engagé à la STM.
Après mes études, et après sept longues années de jobs « étudiantes » dans la restauration, j’ai eu l’occasion de me trouver un travail professionnel dans mon domaine, le génie mécanique. J’étais prêt à tout pour quitter les redondantes friteuses et boulettes de burgers. Évidemment, ce n’était pas si simple; toutes les entreprises les plus réputées demandaient entre trois et cinq ans d’expérience et, comme vous le savez, ce n’est pas facile d’avoir de l’expérience lorsque l’on sort de l’école. Plus les mois passaient, plus mon travail de cuisinier devenait insupportable, et plus j’étais prêt à prendre n’importe quelle job pour mettre le pied dans la place. J’ai finalement trouvé un emploi professionnel dans ma sphère d’étude. J’étais vraiment content, surtout avec toutes les histoires d’universitaires qui finissent leurs études avec un emploi dans un McDonald. Malheureusement, cette joie s’est rapidement transformée en un enfer.
Mon nouvel emploi n’était pas syndiqué, et j’ai rapidement compris ce que ça impliquait. Au début, le rythme était normal, 40 heures par semaine avec une flexibilité d’horaire intéressante. Après seulement quelques mois, je me suis fait demander de faire des heures supplémentaires. Ce qui était censé être occasionnel devint la norme pour les quatre années qui suivirent. Le tout a culminé dans une semaine de 70 heures pour un projet qui, comme tous les autres, était en retard et qu’il fallait finir le plus vite possible. Auparavant, je n’avais jamais fait de dépression majeure; avec ce nouvel emploi, je suis passé proche, à trois reprises, de faire un « burnout ». Au fil des années, ma santé psychologique et physique s’était grandement détériorée. J’ai aussi particulièrement détesté les évaluations annuelles. Elles consistaient à s’asseoir seul à seul dans un bureau avec le directeur pour négocier son salaire. La discussion tournait uniquement autour des salaires; chaque fois que je tentais d’améliorer mes avantages sociaux et mes conditions de travail, c’était impossible. Fort probablement parce que cela n’aurait pu être fait à l’insu de mes collègues qui auraient tôt fait d’en demander autant. À chacune de mes évaluations, je me suis fait dire qu’on me donnait une bonne augmentation de salaire, mais que je ne devais pas le dire aux autres. Parce qu’évidemment, ce n’était pas tout le monde qui avait ma chance ou mes qualités et parce que le budget était limité. La tactique était claire, diviser pour mieux régner, créer de la méfiance entre les travailleurs, mais surtout cacher nos différences salariales et nos faibles augmentations. Le tout combiné à l’attitude cynique de tous les membres de l’équipe qui n’en pouvaient plus de « botcher » les projets pour rencontrer des échéances impossibles; avec le mépris constant des gestionnaires de projets, qui se croyaient meilleurs que les autres, mais qui n’avaient gravi les échelons que par leur capacité à lécher un maximum de bottes; avec les heures supplémentaires interminables qui, sur la base d’excuses ridicules, étaient illégalement payées temps simple au lieu de temps et demi; j’ai tranquillement commencé à regarder les offres d’emplois « sur le side ».
Par une combinaison de chance et de bon « timing », j’ai décroché un nouvel emploi, cette fois-ci dans un milieu très syndiqué, à la STM. Du jour au lendemain, je me suis réveillé dans le plus gros syndicat de la STM avec environ 7 100 employés syndiqués sur les 9 000 de l’entreprise. Un syndicat fort qui a su mener par le passé des luttes serrées et aiguës contre la direction de la STM et qui par ce fait a une convention collective avec des avantages sociaux béton. Évidemment, rien n’est parfait, mais avec ce nouvel emploi, ma semaine de travail est, entre autres, réduite à 35 heures. Uniquement cette avancée, qui peut paraître anodine, a été pour moi comparable à la différence entre le jour et la nuit. C’est incroyable comment travailler cinq heures de moins par semaine fait une différence sur la motivation et sur la qualité de vie. Je n’ai jamais été à l’argent, ce que je recherche surtout c’est un travail qui me permet de vivre confortablement, d’avoir du temps pour m’adonner à mes loisirs, et ce nouvel emploi syndiqué me donne finalement l’impression que c’est possible. Je pourrais parler de l’excellent fonds de pension, des assurances ou des congés possibles, mais un avantage important de ce nouveau travail se trouve dans l’ambiance. J’ai vu une grande différence entre la motivation et le plaisir au travail de mes collègues et celles dans mon ancien milieu. Mes collègues sont beaucoup moins cyniques, ils sont enthousiastes, motivés et travaillants et ce n’est pas pour rien : la semaine de 35 heures, les congés, les avantages sociaux ont beaucoup à voir pour ça.
Je n’ai mentionné que quelques avantages à être syndiqué et on peut voir que la différence est flagrante avec les milieux qui ne le sont pas. Après tout, ce n’est pas pour rien que les travailleurs du passé ont mené des luttes illégales pour le droit de se syndiquer. Si aujourd’hui, il est maintenant légal de se syndiquer, cela reste malgré tout difficile à faire. Le patronat, avec l’aide des grands médias, fait tout pour l’éviter, que ce soit par les mises à pied de travailleurs désirant se syndiquer ou par le simple salissage idéologique des syndicats et de leurs membres. Tout de même, la lutte en vaut la chandelle et il reste encore beaucoup de milieux à syndiquer. À mon avis, les directions des centrales syndicales devraient activement aller dans ces milieux, pour organiser et syndiquer les travailleurs, toujours dans le but de radicalement augmenter leurs conditions de vie. Les dures conditions de travail vécues lors de mon expérience dans le milieu de la restauration, un secteur largement non syndiqué, me rappellent toujours le besoin pour les travailleurs de s’organiser, sans quoi le rapport de force contre l’employeur est largement trop faible. Nous avons besoin d’une direction syndicale proactive, car la lutte est loin d’être terminée et qu’encore trop de travailleurs vivent dans des conditions difficiles et précaires, à la merci des caprices du patronat.
Malheureusement, j’ai l’impression que les dirigeants des centrales syndicales dorment au gaz, que font-ils? Les travailleurs qui veulent de meilleures conditions de travail ne manquent pourtant pas. Nous avons l’avantage de posséder des syndicats forts de milliers de membres, ce que les travailleurs d’autrefois n’avaient pas : utilisons-les à leur plein potentiel!
Si ma nouvelle job syndiquée à la STM a amélioré considérablement mes conditions de vie, cette année la direction patronale est passée à l’offensive. Mon syndicat, le plus gros de la STM, a négocié une convention collective plutôt bonne incluant certains gains. Par contre, la partie patronale s’est attaquée violemment aux plus petits syndicats des travailleurs de l’entretien et à celui des chauffeurs. Elle désire précariser les emplois, faire rentrer le privé dans la « shop » et demander encore plus d’heures supplémentaires. Elle prétend vouloir, de cette manière, améliorer l’expérience client, mais en fait, ce n’est qu’une différente manière de dire « austérité ». La STM veut créer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs en amenant la concurrence de la sous-traitance. De plus, elle désire augmenter les heures supplémentaires et avoir une plus grande flexibilité à cet égard, donc faire plus avec moins d’employés. Pourtant, la solution « pour améliorer l’expérience client » est simple : embaucher plus d’employés, suffisamment pour que les travailleurs n’aient plus à faire d’heures supplémentaires. S’il faut réduire la masse salariale, et bien, que ce soit fait dans les hauts échelons. La haute direction de la STM devrait avoir le même salaire que le travailleur moyen de l’entreprise, et s’ils ne sont pas contents, qu’ils s’en aillent. Les travailleurs de la STM connaissent très bien leurs jobs et les besoins de l’entreprise, la direction serait facilement remplaçable!
Avec des votes de grèves avoisinant les 99 %, je trouve encourageant de voir que les travailleurs en lutte de la STM sont prêts à se battre, mais les votes de grève sont loin d’être suffisants pour faire reculer la direction. Il est temps pour la direction syndicale de les appliquer, de s’inspirer de la solidarité et de l’audace de la grève illégale victorieuse de 1974 menée par les travailleurs de l’entretien. Elle doit tenir son bout et mener la lutte d’aujourd’hui jusqu’à la victoire. Une telle victoire serait bénéfique, non seulement pour les travailleurs de la STM, mais pour le mouvement ouvrier québécois dans son ensemble. Elle permettrait de donner confiance aux travailleurs des autres secteurs, de les inspirer dans leurs luttes et de transmettre de précieuses leçons, indispensables pour mener des grèves victorieuses.
La lutte syndicale est loin d’être terminée : les défis sont grands, que ce soit pour la syndicalisation des milieux de travail ou les luttes actuelles et à venir. Malgré l’ampleur de la tâche, j’ai une énorme confiance en la force des travailleurs québécois, je sais qu’ils ont le pouvoir et la fougue nécessaires pour mener ces luttes jusqu’au bout. Si la direction syndicale répond à l’appel, l’entièreté des travailleurs du Québec en sortira unie et victorieuse!