Dans un geste cynique, le premier ministre Justin Trudeau a envoyé le Canada en élection, en pleine pandémie. Les libéraux disent vouloir obtenir un mandat pour la reprise post-pandémie. Mais en réalité, leur seule raison de dissoudre leur gouvernement minoritaire est pour obtenir une majorité. Ils ne veulent pas de cette majorité pour réaliser leur programme électoral, bien au contraire. Ils veulent une majorité pour pouvoir abandonner leurs promesses de campagne et être libres de mettre en œuvre une austérité potentiellement impopulaire et de faire payer la crise aux travailleurs.
Après six ans au pouvoir, la liste des promesses non tenues des libéraux commence à être longue. Ils n’ont pas mis en place le régime d’assurance-médicaments promis, ils n’ont pas mis fin à la crise de l’eau potable dans les réserves ou à l’injustice envers les peuples autochtones, ils n’ont pas amélioré le régime de pensions du Canada, ils ont renoncé à leur promesse de réforme du mode de scrutin et ils ont acheté un oléoduc de plusieurs milliards de dollars tout en retardant les mesures environnementales. Si nous avions l’espace nécessaire, nous pourrions consacrer des pages entières aux mensonges électoraux des libéraux.
Au lieu de remplir leurs promesses, les libéraux ont accordé des faveurs et des subventions à leurs amis des entreprises. Des scandales comme ceux de SNC-Lavalin et d’UNIS, ce dernier ayant conduit à la démission du ministre des Finances, montrent que le gouvernement actuel se croit tout permis. Trudeau a gouverné en faveur des patrons, en forçant les postiers et les débardeurs de Montréal à retourner au travail par des lois spéciales, tout en refusant d’adopter une loi anti-briseur de grève. Après les manifestations massives de Black Lives Matter, Trudeau a posé le genou au sol sans rien faire contre la violence de la GRC. Son tristement célèbre « blackface » représente le vrai visage raciste de ce gouvernement de Bay Street, qui se drape derrière une fausse façade de « progressisme ».
Pendant la pandémie, les libéraux ont été obligés de sortir le portefeuille. Certains secteurs de la classe ouvrière ont été sauvés d’un désastre abject grâce à la prestation canadienne d’urgence (PCU) et à la prestation canadienne de relance économique (PCRE) de 2000 dollars par mois. Mais un montant bien plus élevé a été accordé aux entreprises par le biais du programme mal nommé de « subventions salariales » et d’autres subventions d’une valeur de plus de 750 milliards de dollars. Les subventions salariales ont été englouties par des entreprises rentables qui ont licencié des milliers de personnes tout en distribuant des primes à leurs dirigeants et des dividendes à leurs actionnaires. Mais cela a entraîné un déficit structurel de l’ordre de 150 milliards de dollars par an environ. La question demeure : qui va payer pour ce déficit massif? Les libéraux et les grandes entreprises qui les soutiennent veulent faire porter le fardeau à la classe ouvrière. Mais pour ce faire, ils ont besoin d’un gouvernement majoritaire fort. Déjà, la PCRE a été réduite à 1200 dollars comme prélude à son abolition, malgré la montée de la quatrième vague de COVID-19. À l’autre extrémité, chez la classe dirigeante, les subventions aux entreprises sont maintenues et améliorées.
La faiblesse de l’opposition officielle conservatrice a fourni aux libéraux une occasion qu’ils espèrent exploiter. Le déficit de charisme à la tête du parti avec le chef Erin O’Toole est un signe des divisions et des crises au sein du conservatisme canadien. La base du Parti conservateur se campe sur une idéologie trumpiste d’extrême droite, mais les élections et les sondages récents ont montré que ces idées réactionnaires répugnent à la majorité des travailleurs au Canada. L’homophobie et le racisme ouverts de ces gens ont été révélés avec succès (et hypocritement) par les libéraux pour gagner une série d’élections. Erin O’Toole a remporté la chefferie du Parti conservateur en se rapprochant de la base de droite du parti, mais il tente depuis de modérer l’image des conservateurs. Mais la base du parti a récompensé ses efforts en votant pour nier l’existence des changements climatiques, sapant ainsi la stratégie d’O’Toole. Le désordre au sein des conservateurs est un généreux cadeau aux libéraux.
Le NPD a le potentiel de jouer les trouble-fête pour Trudeau, mais il reste à voir s’il peut canaliser la colère qui règne dans la société. Pendant la pandémie, les milliardaires canadiens ont augmenté leur richesse de 78 milliards de dollars pendant que les travailleurs souffraient. Dans le même temps, les entreprises canadiennes ont augmenté leur réserve totale d’« argent mort » non investi pour atteindre 1660 milliards de dollars. Il n’est pas surprenant que cela ait engendré un sentiment généralisé de colère contre les inégalités. Plus de 70% des Canadiens pensent que les grandes entreprises et les riches ne paient pas leur juste part d’impôts et 89% seraient favorables à une forme d’impôt sur la fortune. Même 84% des électeurs conservateurs seraient en faveur d’un impôt sur la fortune. La question de faire payer les patrons pour la crise sociale a le potentiel très réel de bouleverser les plans libéraux de mise en œuvre de l’austérité.
Le NPD a lancé sa campagne électorale en appelant à « faire payer leur juste part aux ultra-riches et aux grandes entreprises ». Cet appel est populaire et le NPD est en hausse dans les récents sondages. Mais le parti pourra-t-il percer l’écran de fumée des libéraux et surmonter les falsifications des grands médias?
Malheureusement, les actions des dirigeants du NPD au cours de la dernière législature ont affaibli l’impact de leur message anti-grandes entreprises. Le NPD a appuyé les libéraux à de nombreuses occasions, démontrant essentiellement qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux partis. Il est également responsable d’avoir proposé la subvention salariale aux entreprises, et tente toujours de s’en attribuer le mérite. Celle-ci a pourtant été l’un des principaux vecteurs de l’aide sociale aux entreprises et de la corruption légalisée! Le NPD est même allé jusqu’à demander à la gouverneure générale, la représentante non élue d’une monarchie féodale, d’empêcher la tenue d’une élection. Essentiellement, les dirigeants du NPD envoient le message qu’ils ont plus confiance dans les libéraux qu’en eux-mêmes.
De plus, lorsqu’on examine le plan de taxation des grandes entreprises et des riches que propose le NPD, on constate que ses propositions sont beaucoup trop modérées. Il demande un impôt de 1% sur la richesse supérieure à 10 millions de dollars et un impôt de 15% sur les bénéfices excédentaires des entreprises ayant profité de la pandémie. Les calculs exacts du montant des recettes qui en résulteront n’ont pas encore été publiés, mais il est probable qu’elles se situent entre 25 et 50 milliards de dollars. Même dans le cas improbable où l’évasion fiscale ne ferait pas baisser ce chiffre, il s’agit d’une somme bien trop faible pour résorber un déficit de 150 milliards de dollars. Dans tous les cas, pourquoi les profiteurs devraient-ils conserver un seul sou qu’ils ont gagné injustement?
Cependant, nous devons être conscients que ce que nous voyons en tant que socialistes n’est pas nécessairement ce que la population générale voit. Il est possible que le NPD gagne des appuis à l’aide d’une rhétorique dirigée contre les grandes entreprises et que les gens ne regardent pas de trop près les détails.
Mais la tâche qui nous attend n’est pas de faire gagner 10 ou 20 sièges supplémentaires au NPD. La tâche est de stopper l’austérité des libéraux et des conservateurs. Seul un mouvement de masse des travailleurs et des jeunes permettra d’y arriver. Demander aux riches de « payer un peu plus » est insuffisant pour susciter un tel mouvement de masse. En effet, la bureaucratie du NPD est attachée au crétinisme parlementaire et est allergique aux actions qui mobiliseraient les gens sur le terrain. Les dirigeants ont empêché à plusieurs reprises des candidats socialistes et des militants pro-palestiniens de se présenter pour le parti et, tout en adoptant occasionnellement une rhétorique « de gauche », ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour garder le contrôle total des structures du parti.
Des mesures fiscales mineures ne sont pas suffisantes pour créer un mouvement de masse. Pour ce faire, nous avons besoin d’idées qui sapent les fondations de l’austérité capitaliste. Il y a deux ans, un sondage révélait que 58% des Canadiens étaient favorables au socialisme, un chiffre qui a certainement augmenté depuis l’arrivée de la COVID-19. Les récents sondages sur l’équité fiscale sont révélateurs du virage à gauche de la classe ouvrière. Mais comme c’est l’Institut Broadbent, un groupe de réflexion réformiste, qui a commandé ces sondages, il n’a pas demandé l’opinion des Canadiens sur le socialisme et les nationalisations. Au lieu de mesures fiscales susceptibles d’entraîner une fuite des capitaux, nous devons exproprier les richesses des grandes entreprises qui ont profité de la pandémie. Au lieu de réformes mineures d’un système défaillant, nous avons besoin d’un mouvement qui s’attaque au capitalisme et le dénonce comme source de la crise. Au lieu de renflouer les entreprises, nous devons placer l’économie sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière.
Un tel programme socialiste permettrait d’unir un mouvement contre l’austérité libérale à venir et de mettre à nu la banqueroute de ces mêmes libéraux. Tôt ou tard, un tel mouvement émergera sous les coups de la crise du capitalisme. C’est inévitable. Mais les gestes que nous posons aujourd’hui, ainsi que les gestes des organisations de masse, détermineront combien de temps nous devrons attendre et combien de reculs les travailleurs devront subir entre-temps. La Riposte socialiste défend un programme socialiste révolutionnaire comme seule solution à la crise actuelle et milite pour l’adoption d’un tel programme dans les organisations des travailleurs. Il n’y a pas de temps à perdre.