Le 8 novembre dernier, le premier ministre Justin Trudeau a laissé entendre qu’il serait prêt à « agir » pour mettre fin à la grève qui a débuté le mois dernier chez Postes Canada. À la Chambre des Communes, Trudeau a soutenu que « s’ils n’arrivent pas à résoudre ces différends bientôt, entre le syndicat et la direction, [il allait] regarder toutes les options sur la table. » Le message est clair : le gouvernement fédéral est prêt à utiliser une loi de retour au travail contre les 50 000 postiers et postières s’ils ne se plient pas aux exigences de la direction.
Cette situation est beaucoup trop familière, et pour cause. En 2011, les postiers ont fait une grève tournante pendant 12 jours pour lutter contre des conditions de travail amoindries et des changements concernant les congés maladies, suite à laquelle ils ont été mis en lockout par la direction. La ministre du Travail de l’époque, Lisa Raitt, avait affirmé que « toutes les options » étaient sur la table. Six jours plus tard, le premier ministre conservateur Stephen Harper avait déposé un projet de loi de retour au travail afin de mettre fin à la grève. Cette loi imposait unilatéralement des augmentations de salaire inférieures même à ce que la direction de Postes Canada offrait. Au grand bonheur de la direction, le gouvernement fédéral est venu à sa rescousse. Il semble que l’histoire soit en voie de se répéter.
Trudeau a fait des pieds et des mains pour se distancer de ses prédécesseurs, du moins en paroles. En 2016, il affirmait : « Nous ne croyons pas, contrairement à l’ancien gouvernement, que c’est notre devoir immédiat d’adopter la ligne dure. » Nous voyons maintenant qu’il s’agissait d’un mensonge. En 2017, Trudeau a insinué qu’il était prêt à utiliser une loi spéciale pour mettre fin au conflit de travail des opérateurs du Canadien Pacifique, tout comme Harper l’avait fait avant lui. Le conflit a été réglé avant que Trudeau ait l’occasion d’agir. Maintenant, devant le redoutable Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Trudeau est prêt à aller jusqu’au bout pour se porter à la rescousse de la direction. Le Parti libéral a toujours agi de la sorte. En tant que parti des grandes entreprises, il a été le premier à introduire une loi de retour au travail en 1950.
Soyons clairs. Une défaite du STTP sous les coups d’une loi de retour au travail serait une défaite pour tout le mouvement ouvrier. Le recours à celle-ci représente la violation ultime des droits des travailleurs, et a comme seul objectif de satisfaire la gourmandise de profiteurs. Les travailleurs canadiens ont gagné le droit de grève au prix de grands sacrifices. Des décennies de lutte dans l’illégalité, des peines de prison, et même des vies perdues ont permis de gagner de droit. Si nous abandonnions aujourd’hui, nous perdrions ce qui nous a pris des décennies à gagner et reviendrions à l’époque où les travailleurs n’avaient aucun droit. Si nous laissions les patrons faire, les seules libertés civiles qui existeraient seraient les leurs. Tout recours à une loi anti-grève est un pas dans cette direction. Il faut que ça cesse.
Le mouvement syndical est la seule chose qui nous protège d’un avenir où la soif de profits décide d’absolument tout. Cependant, nous avons récemment vu les dirigeants syndicaux, reculer l’un après l’autre devant la perspective de défier des lois de retour au travail. « La loi, c’est la loi! », disent-ils. Ils oublient que ce n’est qu’en défiant des lois injustes que les syndicats ont pris racine au Canada. Il faudrait qu’un seul syndicat se tienne debout pour renverser la vapeur et montrer l’exemple au reste du mouvement ouvrier. Comme le dit le proverbe, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». Cependant, le problème est qu’aucun syndicat n’a fait ce premier pas. Le STTP peut être ce syndicat.
Entre 1974 et 1976, le STTP a mené des grèves illégales, dont l’une a permis de gagner des salaires décents pour les femmes prises dans des postes moins bien payés. En 1978, après des mois de négociations infructueuses sous Trudeau père, une autre grève légale avait été entamée et une loi de retour au travail avait été adoptée le même jour. Plutôt que de se soumettre, les travailleurs ont choisi de défier la loi, un acte pour lequel le dirigeant du STTP de l’époque, Jean-Claude Parrot, avait été condamné à trois mois de prison. En 1981, le STTP est à nouveau entré en grève pour gagner les congés de maternité. Craignant la résistance des travailleurs (ceux-ci n’avaient aucunement peur de défier la loi), la direction s’est pliée aux demandes syndicales, faisant du STTP le premier syndicat canadien à gagner les congés de maternité pour ses membres. S’il y a bien un syndicat dont la désobéissance fait partie de l’ADN, c’est le STTP. C’est ce qui explique pourquoi Trudeau est si pressé d’écraser la grève actuelle. Il espère qu’en l’emportant contre l’un des syndicats canadiens les plus combatifs, il pourra dissuader les autres travailleurs de suivre leur exemple.
Cependant, si le STTP défie la loi de retour au travail, il ne faut pas qu’il soit seul dans cette bataille. L’absence d’appui du mouvement ouvrier plus large serait criminelle et augmenterait les chances que ces braves travailleurs subissent la défaite. Ce serait non seulement une défaite pour le STTP, mais pour le mouvement ouvrier en entier. Partout, les patrons se sentiraient renforcés dans leur croisade contre les droits des travailleurs.
C’est pourquoi le Congrès du travail canadien (CTC), les syndicats locaux et le mouvement ouvrier plus large doivent immédiatement développer un plan d’action pour appuyer le STTP si le syndicat défie une loi de retour au travail. Ce plan pourrait inclure une mobilisation de masse, un appui financier pour couvrir le coût des injonctions et, si nécessaire, des grèves de solidarité. Voilà ce qui donnerait aux postiers la confiance nécessaire pour aller de l’avant et défier la loi. Il s’agirait d’une inspiration pour les autres syndicats, qui seraient en retour encouragés à se lever face à des lois injustes.
Les travailleurs canadiens ont une riche tradition de lutte. La radicalisation croissante et le désir de lutter contre les attaques constantes sur les droits des travailleurs sont évidents lorsqu’on regarde les votes de grève records dans la plupart des secteurs. Tout ce qu’il faut est que quelqu’un, quelque part, dise « c’est assez » et montre qu’il est possible de résister à l’offensive des patrons, peu importe les obstacles qu’ils essaient de mettre dans notre chemin. Aucune loi et aucun gouvernement n’est assez fort pour retenir éternellement la puissance de la classe ouvrière. Le STTP l’a montré plusieurs fois dans l’histoire en remportant des avancées importantes grâce à une lutte combative. Le syndicat a l’occasion de le prouver à nouveau. Il est temps de passer à l’offensive.