Cette année marque le 50e anniversaire du Front commun de 1972, la plus importante grève générale de l’histoire du Québec, et parmi les plus importantes de l’histoire du Canada. Cet événement crucial de notre histoire ouvrière mérite une attention particulière à notre époque, dans un contexte où les luttes syndicales reviennent à l’avant-plan.
Poussés par l’inflation, et encouragés par le faible taux de chômage qui renforce leur position de négociation, les travailleurs hésitent de moins en moins à entreprendre des luttes économiques. Ce phénomène s’observe à l’échelle internationale.
Aux États-Unis, dans la plus grosse économie de la planète, où le taux de syndicalisation est particulièrement faible, il y a eu un fantastique regain d’intérêt envers les syndicats dans la dernière année. Cela s’est vu avec la campagne de syndicalisation d’Amazon, ainsi qu’avec la syndicalisation de plus de 150 cafés Starbucks et de plusieurs autres chaînes importantes comme Apple Store, Trader Joe’s, REI, etc. Cela se traduit aussi par une recrudescence des grèves, dont le nombre a doublé comparativement à l’an dernier pour la période de janvier à mai.
En Grande-Bretagne, un été chaud s’annonce, lancé par la plus importante grève des opérateurs de train en 30 ans, qui a paralysé le pays pendant trois jours avec un large soutien populaire. D’autres grèves importantes s’annoncent aussi au moment d’écrire ces lignes, notamment chez les enseignants et les postiers.
Ici aussi, plusieurs indices laissent entrevoir un certain échauffement du front syndical. Pour la première fois depuis des décennies, le taux de syndicalisation au Canada a remonté, à 30,9 en 2021, après un creux de 30,2% en 2019.
Des escarmouches ont déjà commencé, avec plusieurs grèves importantes dans les derniers mois, entre autres au Canadien national, chez Bombardier et Molson, dans le secteur de la construction en Ontario, ou encore au Québec chez les ambulanciers, les ingénieurs du gouvernement et à la SQDC.
Tôt ou tard, une explosion des luttes syndicales est inévitable. Avec le rythme effréné de l’inflation, qui atteint 7,7% ce mois-ci au Canada, le pouvoir d’achat de la classe ouvrière s’effrite rapidement. L’inaction signifie l’appauvrissement. On ne peut prédire quand cela se produira ici, mais on peut prédire avec certitude que les travailleurs finiront par entrer en action.
Il ne manque pas de matériau combustible. Il ne fait pas de doute qu’un nombre grandissant de travailleurs souhaitent en démordre avec leur employeur pour stopper l’érosion des salaires. Ce dont il manque, c’est surtout d’une direction syndicale prête à mener ce combat.
Les événements du printemps 1972 nous montrent ce qu’il est possible d’accomplir avec une direction combative. C’est sous la pression d’un puissant mouvement de masse révolutionnaire que la classe dirigeante québécoise a concédé toute une série d’améliorations pour les travailleurs québécois, qui ont formé la base du niveau de vie relativement élevé des Québécois au sortir de la Révolution tranquille. La meilleure manière d’obtenir des réformes des capitalistes est de les faire craindre une révolution.
Cette vision traversait le mouvement ouvrier à l’époque. Le mouvement dans son ensemble reposait sur la compréhension que les travailleurs et le patronat ont des intérêts fondamentalement opposés et irréconciliables, et que les travailleurs ont tous les mêmes intérêts; que les négociations collectives sont un rapport de force et la solidarité de classe la meilleure façon pour les travailleurs d’augmenter leur poids dans cette balance; que les gouvernements capitalistes, peu importe le parti au pouvoir, travaillent pour le patronat et n’hésiteront pas à intervenir à sa faveur au besoin. Ces principes de base du mouvement ouvrier ont été largement oubliés aujourd’hui.
Et cette combativité se traduisait par un courage devant la répression étatique. Dans les dernières années, le mouvement ouvrier a accumulé les défaites sous les coups des lois de retour au travail. Ces lois imposées par les représentants des patrons au parlement briment le droit de grève des travailleurs et ont fortement contribué à maintenir l’appauvrissement des travailleurs à travers le Canada. Nos dirigeants syndicaux n’ont pas encore été prêts à appeler à désobéir à ces lois. Ils font bien piètre figure comparativement aux leaders de 1972, Pépin, Laberge et Charbonneau, qui ont été en prison pour défendre les intérêts des travailleurs.
Toutefois, la combativité seule n’est pas suffisante. Le leadership du Front commun n’était pas préparé à ce qui l’attendait. Une fois le mouvement de masse à son pic, avec des centaines de milliers de travailleurs en grève partout à travers la province et des villes entières hors du contrôle des autorités, la question du pouvoir a fini par se poser : qui dirigeait vraiment la société, les travailleurs ou les capitalistes? Sans intention de prendre le pouvoir, les dirigeants syndicaux ont fini par reculer et appeler les travailleurs à rentrer chez eux. Si des concessions ont été obtenues, le statu quo capitaliste était maintenu.
Voilà la grande leçon de 1972. Dans un contexte de crise comme nous le vivons actuellement, la classe capitaliste n’a pas la même marge de manœuvre pour accorder des concessions qu’en 1972, alors que le capitalisme sortait de décennies de boom économique. Une confrontation économique pourrait rapidement prendre un caractère de lutte politique de masse. Pour que le prochain mouvement de masse mette fin pour de bon à la domination des patrons, il doit se préparer à prendre le pouvoir. Cela signifie organiser dès maintenant la direction révolutionnaire dotée d’un programme socialiste capable et prêt à mener les travailleurs à la prise du pouvoir.
Les événements du Front commun de 1972 ont été largement effacés de la mémoire collective sous l’effet de l’histoire bourgeoise officielle. La classe dirigeante n’est pas à l’aise avec cette partie de notre histoire. Elle craint que l’histoire de 1972 ne donne des idées dangereuses aux travailleurs, à une époque d’insatisfaction grandissante avec le statu quo. Mais ces événements sont particulièrement riches en leçons. Les révolutionnaires doivent se préparer aux mouvements de masse qui éclateront inévitablement, et étudier ce moment clé de notre histoire constitue l’une des meilleures façons de le faire.