Dans L’Etincelle Rouge, une revue du Parti Communiste du Népal, l’un des principaux théoriciens de parti – Baburam Bhattarai (photo) – a écrit un article qui n’est pas passé inaperçu, dans le mouvement communiste népalais et international. Bhattarai, 55 ans, est membre du bureau politique du PCN (maoïste). Il fut nommé ministre des Finances en août 2008. Alors que le PC népalais s’est longtemps réclamé des idées de Mao et de Staline, voici ce qu’il écrit :
« Aujourd’hui, la globalisation du capitalisme impérialiste est beaucoup plus importante qu’à l’époque de la Révolution d’Octobre. Le développement des technologies de l’information a transformé le monde en un village global. Cependant, du fait du développement inégal inhérent au capitalisme impérialiste, il existe de grandes inégalités entre les différentes nations. Dans ce contexte, il y a toujours quelques possibilités d’une révolution dans un seul pays, à l’instar de la Révolution d’Octobre. Cependant, pour qu’une révolution perdure, nous aurons besoin d’une vague révolutionnaire qui balaye, sinon le monde entier, du moins toute une région – autrement dit, plusieurs pays. Dès lors, les marxistes révolutionnaires devraient reconnaître que dans le contexte actuel, le Trotskysme est devenu plus pertinent que le Stalinisme, pour faire avancer la cause de la classe ouvrière. » (L’Etincelle Rouge, juillet 2009, page 10.)
L’une des divergences majeures, entre Staline et Trotsky, concernait la question du « socialisme dans un seul pays ». Dès 1904, Trotsky développa l’idée que la révolution russe, dirigée contre le régime tsariste, ne s’arrêterait pas aux tâches immédiates de la révolution « bourgeoise-démocratique » (réforme agraire, démocratie parlementaire, droits des minorités nationales, etc). Autrement dit, la révolution russe ne s’arrêterait pas à l’instauration d’un régime bourgeois. En effet, Trotsky expliquait qu’en raison de la faiblesse de la bourgeoisie russe et de sa dépendance à l’égard du tsarisme, le rôle dirigeant dans la révolution reviendrait nécessairement à la classe ouvrière. La révolution ne pourrait être victorieuse que par la conquête du pouvoir par les travailleurs. Le sous-développement économique de la Russie n’empêcherait pas la classe ouvrière de prendre le pouvoir – et d’engager alors la transformation socialiste de la société. Mais en même temps, Trotsky expliquait qu’il serait impossible d’établir un régime socialiste viable sans l’extension de la révolution à plusieurs autres pays, dans un laps de temps relativement court. Cette perspective, entrée dans l’histoire du marxisme sous le nom de « théorie de la révolution permanente », a été brillamment confirmée par le cours réel de la révolution de 1917.
Après la mort de Lénine, en 1924, Staline et d’autres dirigeants du Parti Bolchevik s’attaquèrent à la théorie de la révolution permanente, à laquelle ils opposèrent la théorie du « socialisme dans un seul pays ». Selon cette théorie, il était possible de construire le socialisme, en Russie, indépendamment du contexte international. La perspective d’une « révolution mondiale » fut abandonnée. Cette théorie nationaliste reflétait la dégénérescence bureaucratique qui gagnait le régime soviétique, du fait de l’isolement prolongé de la révolution russe et de l’arriération économique et culturelle du pays.
Bhattarai se trompe donc sur un point. En 1917, ni Lénine, ni Trotsky, ni aucun autre dirigeant du Parti Bolchevik (pas même Staline) ne considéraient que la révolution pouvait se limiter à un seul pays. Personne n’a évoqué cette idée avant qu’elle ne devienne la devise de Staline, à partir de 1924. Mais malgré cette erreur factuelle de Bhattarai, le fait qu’un haut dirigeant d’un parti traditionnellement « stalinien » reconnaisse la validité des idées de Trotsky est un événement significatif. Cela encouragera une discussion très utile, au sein du mouvement communiste, sur les causes historiques du Stalinisme et les idées authentiques du marxisme.