Au cours de la dernière année, les différents syndicats représentant les travailleurs de la STM se sont dotés de mandats de grève. Ce jeudi 13 septembre, une manifestation a lieu en soutien à leur lutte pour de meilleures conditions de travail. Pour l’occasion, nous republions ce texte qui porte sur la grève historique des employés d’entretien de la CTCUM (ancêtre de la STM) de 1974. Cette grève illégale s’était soldée par une victoire des travailleurs, malgré une injonction forçant le retour au travail. La direction syndicale formée de quatre personnes avait cependant été emprisonnée quatre ans plus tard, sous le gouvernement du Parti québécois de René Lévesque.
L’un des quatre membres de l’exécutif était Pierre Arnault, l’auteur de cet article. Il avait écrit cet article pour le numéro 17 de notre journal, en septembre 2014. Son récit explique les principales leçons à tirer de cette grève. Nous pensons qu’il s’agit d’un excellent exemple des traditions combatives du mouvement ouvrier québécois. Les travailleurs de la STM qui entrent actuellement en lutte doivent en tirer les leçons et s’en inspirer aujourd’hui. Il faut renouer avec cette tradition de lutte sans compromis, la seule qui permet de faire des gains réels!
Le 6 juin 1978, il y a 30 ans, 4 membres de l’exécutif du syndicat de l’entretien (Jacques Beaudoin, président, Pierre Arnault, agent syndical, Jacques Morissette, secrétaire et Jacques Thilbault, trésorier) étaient emprisonnés suite à la grève de 1974. Cette grève qui a duré 44 jours du 7 août au 19 septembre a marqué de façon significative l’histoire moderne de notre syndicat.
L’origine du conflit
Les travailleurs de l’entretien demandaient l’indexation des salaires au coût de la vie, lequel avait augmenté de 12 %. Le contrat de travail de 1973, malgré un rapport de force favorable au syndicat, n’avait pas donné un résultat satisfaisant et une bonne portion des membres étaient mécontents. Environ 6 mois après la signature de la convention collective, les membres du syndicat demandaient le 25 mars 1974, la réouverture de la convention pour obtenir l’indexation. Devant le refus de la STM (CTCUM à l’époque), des moyens de pression légaux furent exercés, dont celui de ne pas travailler les jours fériés. D’ailleurs, une sentence arbitrale avait reconnu ce droit aux travailleurs de l’entretien. En mars 74, un colloque intersyndical, réunissant la CSN, la FTQ et la CEQ, recommandait la réouverture des conventions collectives en vue d’obtenir l’indexation des salaires. Les centrales syndicales s’engageaient à appuyer les syndicats qui entreprendraient de l’action en ce sens.
Les travailleurs d’entretien décident suite à une résolution d’assemblée du 3 juin de ne pas travailler comme ils en avaient le droit le 24 juin et le 1er juillet. La CTCUM répliqua en procédant le 7 août à la suspension de 73 travailleurs qui avaient refusé de travailler ces deux journées fériées conformément à la résolution de l’assemblée. Il était manifeste que la CTCUM cherchait l’affrontement pour casser le syndicat. Réunis en assemblée le 5 août, les gars d’entretien votèrent pour que les confrères appelés à être suspendus se présentent au travail le 7 août et qu’advenant un refus de la CTCUM de les reprendre, que tous les employés quittent le travail. Le 7 août, la CTCUM met ses menaces à exécution, le syndicat tel que mandaté par l’assemblée du 5 reconvoque immédiatement les membres à une assemblée et la grève est votée à 71 %. C’est ainsi que débuta la grève de 1974.
Injonctions et outrages au tribunal
La CTCUM tenta par le recours aux injonctions et des outrages au tribunal de casser la grève des gars d’entretien. Les enjeux étaient de taille, le syndicat de l’entretien affrontait la CTCUM et son PDG Lawrence Hanigan, la Ville de Montréal, le pouvoir des tribunaux, l’antiémeute de Montréal, le gouvernement Bourassa, etc. Malgré un appel à l’unité du syndicat lancé à la Fraternité des chauffeurs et opérateurs de métro, le président de la Fraternité, Normand Hamelin incitait les chauffeurs d’autobus à briser nos lignes de piquetage et pour ce faire, il n’hésitait pas à faire appel à l’escouade antiémeute.
Le 7 août, soir même du déclenchement de la grève, une injonction ordonnait le retour au travail. Le lendemain, les travailleurs d’entretien à 67,8 % votent la poursuite de la grève et passent outre à l’injonction. Le piquetage se poursuivit devant les garages. Jouant le rôle de scabs, les contremaîtres et les cadres exécutent le travail d’entretien. Hanigan et la CTCUM déposèrent alors un véritable déluge d’outrages au tribunal. Le journal Au Boutte, quotidien mis sur pied par les militants du syndicat au tout début du conflit titrait « Loto-outrage, un jour ce sera ton tour ». Le journal Au Boutte était distribué sur les lignes de piquetage et même au Palais de justice lors des comparutions pour les outrages au tribunal.
Le jugement Hugessen, la mobilisation s’élargit
Le 27 août, le juge Hugessen condamne le syndicat à 50 000 $ d’amende, les membres de l’exécutif et du Conseil syndical se voient imposer des amendes allant de 50 $ à 750 $. Ce jugement loin de décourager les gars d’entretien, renforça le sentiment déjà largement répandu que pour gagner et passer au travers, il fallait élargir la solidarité et la mobilisation à l’ensemble du mouvement syndical. N’oublions pas qu’il y avait au Québec près de 500 000 travailleurs qui avaient demandé la réouverture de leurs contrats pour obtenir l’indexation. Beaucoup de syndicats étaient en grève, dont celui de Pratt and Whitney (United Aircraft).
Le Conseil Central de Montréal et la FESP (Fédérations des Employés des Services Publics) organisèrent la mobilisation autour de notre conflit. Le Conseil du Travail de Montréal (FTQ) nous avait aussi donné son appui.
Une manifestation fut organisée, le 5 septembre, réunissant 8000 participants venus appuyer les travailleurs d’entretien, ceux de United Aircraft et de milliers d’autres syndiqués en grève au Québec. Dans les jours suivants, la participation de plus de 60 syndicats différents à nos lignes de piquetage paralysa graduellement le transport en commun. Les chauffeurs d’autobus, malgré la position de la Fraternité, respectèrent de plus en plus les piquets de grève malgré la police antiémeute qui agissait de façon musclée. Durant les derniers jours de la grève, le transport par autobus était complètement paralysé.
Le gouvernement cherche une voie négociée, le jugement Deschênes, le règlement du conflit
Malgré la grève qui était illégale, la mobilisation de solidarité autour du conflit fait reculer le gouvernement Bourassa. Ce dernier cherchait à négocier un règlement malgré l’opposition très vive de Jean Drapeau et de Lawrence Hanigan. Ces derniers déposent le 30 août et le 6 septembre de nouvelles accusations d’outrages au tribunal dont certaines sont des récidives, portant ainsi le total à 234; ce nombre total d’accusations pour outrage au tribunal dans une grève est probablement un précédent dans l’histoire syndicale du Canada.
Le gouvernement nomme un enquêteur spécial en la personne de Lucien Saulnier. Reconnaissant l’érosion du pouvoir d’achat, le rapport Saulnier recommande que la CTCUM accorde l’indexation afin de préserver l’ordre social. En même temps, face à la grève illégale, le gouvernement était en quelque sorte forcé de tenir un langage dur, menaçant les grévistes d’une loi spéciale sévère à leur endroit, tout en craignant la détermination des grévistes et la réaction du mouvement syndical mobilisé autour de cette grève. La loi spéciale est annoncée puis reportée.
Le 16 septembre, les grévistes accusés et parmi eux les « récidivistes » en matière d’outrages au tribunal se retrouvent devant le juge en chef de la Cour Supérieure Jules Deschênes. Le juge Deschênes dans son jugement rejette les requêtes de la CTCUM pour outrage au tribunal en invoquant que ces requêtes sont « socialement, politiquement et judiciairement inopportunes dans leurs conceptions, et dangereuses dans leurs conséquences ». Les travailleurs d’entretien faisaient reculer le pouvoir judiciaire en remettant en cause l’une des armes privilégiées du patronat pour casser les grèves : les injonctions.
Le 17 septembre, le gouvernement en arrive à une entente de principe avec le syndicat, elle est refusée par Hanigan et la CTCUM. L’Assemblée nationale est convoquée pour le 18 septembre pour adopter la loi spéciale. En même temps, le gouvernement devait faire céder Hanigan. À l’Assemblée nationale, Robert Bourassa explique qu’une assemblée des grévistes se tiendra le 19 septembre en matinée et ajourne l’Assemblée Nationale à 15 heures le 19. Fait inusité, c’est l’Assemblée nationale qui adapte son horaire à la réunion des syndiqués. Le 19 septembre, dans un véritable délire de joie, les grévistes réunis en assemblée générale acceptent les conditions de retour au travail. La grève se termine par une éclatante victoire pour les travailleurs d’entretien.
Les conséquences de la grève
La victoire, remportée par les travailleurs d’entretien, ne réside pas dans le règlement obtenu : à savoir — un montant forfaitaire de 600 $ pour l’indexation — le retrait des 73 suspensions — le retrait d’une poursuite intentée au syndicat — aucune mesure disciplinaire, etc. La victoire réside dans le fait que grâce à la détermination, à la mobilisation et à la solidarité, les gars d’entretien ont fait reculer et ébranler tout le pouvoir judiciaire, la CTCUM, le gouvernement. Les travailleurs de l’entretien se sont mérité le respect et la crainte, et de l’employeur et du gouvernement. Suite à ce conflit, le rapport de force s’est modifié en leur faveur pour de nombreuses années. Il est indéniable que les gains obtenus lors des conventions collectives de 1975, 1977, ainsi que beaucoup d’autres renouvellements de convention reposent en grande partie sur la victoire remportée en 1974, sur l’effet d’entraînement qu’elle a généré.
Le jugement Deschênes porté en appel – Les emprisonnements
En 1975, quelques mois après la fin du conflit, le ministre de la Justice Jérôme Choquette décidait de contester le jugement Deschênes et de porter la cause en Cour d’appel. En 1976, le Parti québécois remportait les élections. Or le Parti québécois, qui prétendait avoir un « préjugé favorable envers les travailleurs » a maintenu l’appel du jugement par l’entremise du nouveau ministre de la Justice Marc-André Bédard. La Cour d’appel invalida les arguments invoqués par le juge Deschênes et cassa le jugement.
Un nouveau procès eut lieu, le juge Deschênes refit ses « devoirs » et cette fois-ci, condamna les membres de l’exécutif à des sentences d’emprisonnements en 1978.
Une grève « oubliée »
La grève de 1974 est aujourd’hui une grève oubliée. En ce qui concerne le patronat et le gouvernement, on peut dire que c’est un peu normal. Ces derniers ne feront quand même pas la promotion que les travailleurs peuvent gagner des batailles par la solidarité et la mobilisation! Là où ce n’est pas normal, c’est que les centrales syndicales ne parlent jamais de cette grève, ni d’autres grandes luttes livrées par des travailleurs à la même époque. Comme si la solidarité, la détermination, la mobilisation étaient des choses révolues, qu’on a remplacées : par les discussions au Sommet, par le partenariat social, voire les investissements stratégiques comme les Fonds de Solidarité, où les travailleurs ont de la misère à faire la différence entre le patron et le syndicat.
Présentement, nous sommes en pleine récession économique qui amène des pertes d’emplois, des fermetures d’usines, une baisse du niveau de vie pour des milliers de travailleurs. La grève de 1974 est l’héritage que les gars de l’entretien, dont la plupart sont aujourd’hui des retraités, laissent aux jeunes générations pour qu’ils s’en inspirent.