Justin Trudeau a nommé la prochaine gouverneure générale du Canada, une femme autochtone nommée Mary Simon. Mme Simon sera la première personne autochtone à occuper ce poste, et la raison de sa nomination, dans le contexte actuel, est évidente. La colère déborde depuis la découverte de tombes non marquées sur les terrains d’anciens pensionnats autochtones. Cela s’est exprimé par une série d’actions contre les symboles de l’histoire coloniale du Canada, par la destruction de statues et par l’incendie d’églises.
Le précédent choix de Trudeau pour le poste de gouverneur général s’est soldé par un embarras pour le gouvernement, lorsque Julie Payette a été disgraciée pour avoir maltraité ses employés et gaspillé l’argent des contribuables pour la rénovation de ses luxueux quartiers à Rideau Hall. Cette fois-ci, Trudeau cherche à se servir de la nomination de Simon comme concession symbolique pour calmer le mouvement autochtone, et peut-être même ressusciter sa réputation de progressiste. Personne ne devrait tomber dans le panneau.
Le mouvement autochtone a explosé en une colère rougeoyante. Les statues de la reine Victoria et d’Elizabeth II ont été renversées à l’Assemblée législative du Manitoba. La statue d’Egerton Ryerson, architecte du système des pensionnats, a été démolie par une foule en colère à Toronto. Des dizaines d’églises ont été délibérément incendiées ou vandalisées à travers le pays.
Le 1er juillet, 10 églises de Calgary ont été vandalisées. Sur l’une d’entre elles, les mots « nous étions des enfants » et « nos vies comptent » ont été écrits à la peinture rouge. De nombreux acteurs de droite se sont empressés de dénoncer toute attaque contre les monuments de la colonisation canadienne. Il y a également eu des menaces de violence raciste et, dans un cas, un totem a été brûlé en Colombie-Britannique et les mots « un totem – une statue » ont été peints à l’aérosol à ses pieds.
Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, est allé jusqu’à qualifier le vandalisme contre les symboles du colonialisme de « crime haineux ». Assimiler les actions des opprimés, provenant d’une rage tout à fait compréhensible résultant de siècles d’oppression et de génocide, à un « crime haineux » est le comble du ridicule. Ces incendies sont totalement insignifiants par rapport à la douleur et à la souffrance causées par les pensionnats et le génocide des peuples autochtones. Même les fidèles des églises comprennent pourquoi on y a mis le feu. Un paroissien a déclaré : « Nous savons que ce n’est pas nécessairement personnel contre nous. Nous les avons blessés et nous comprenons qu’ils souffrent. »
Les Autochtones ne peuvent s’attendre à une telle empathie de la part des hauts responsables du diocèse. En 2005, l’Église catholique a accepté de récolter 25 millions de dollars pour les survivants des pensionnats dans le cadre d’un règlement judiciaire, mais depuis, elle n’a donné que 4 millions de dollars. En 2015, elle a obtenu du tribunal qu’il annule son obligation légale de verser les 21 millions restants en invoquant avoir « fait de son mieux ». Dans le même laps de temps, elle a réussi à trouver près de 300 millions de dollars pour la construction de nouvelles églises et des travaux de rénovation.
Bien que différentes églises chrétiennes aient administré les pensionnats, et en portent certainement la responsabilité, ces églises agissaient en tant qu’agents de l’État. Les pensionnats étaient financés, créés et dirigés par le gouvernement canadien en vertu de la Loi sur les Indiens, qui faisait des Autochtones des « pupilles de l’État ». Le gouvernement fédéral conservait des pouvoirs considérables sur tous les aspects de la vie des Autochtones, y compris la capacité de forcer, d’enlever et d’arrêter toute personne qui refusait de fréquenter les pensionnats. Malgré les efforts de Trudeau pour rejeter la faute sur l’Église, 90% des Canadiens croient à juste titre que le gouvernement fédéral est responsable des dommages causés par les pensionnats.
Face à une énorme colère, Trudeau veut apaiser les Autochtones en nommant une personne autochtone comme représentante de la chef d’État officielle. Nous devons être absolument clairs : cela n’apportera rien aux Autochtones et ne fera pas avancer la lutte des Autochtones d’un iota. L’idée selon laquelle un groupe opprimé a simplement besoin d’une représentation symbolique, ou d’une poignée de personnes occupant des postes de pouvoir dans l’État qui l’opprime, a été totalement démentie par la présidence de Barack Obama. Quand Obama est devenu président en 2008, 24,1% des Noirs américains vivaient dans la pauvreté, contre 9,3% des Blancs. Lorsqu’il a quitté ses fonctions en 2016, ces chiffres ont à peine bougé, passant respectivement à 23,8% et 10%. Le revenu médian des Autochtones au Canada est inférieur de 30% à celui du reste de la population. Alors que les Autochtones ne représentent que 4% de la population, ils constituent plus de 23% de la population carcérale. Rien de tout cela ne changera avec une personne autochtone comme gouverneure générale.
Lorsque Trudeau est devenu premier ministre en 2015, il a parlé de la nécessité du féminisme et de la diversité au sein du gouvernement. Son premier cabinet était paritaire, avec 15 femmes et 16 hommes, « parce qu’on est en 2015 ». Trudeau avait fait allusion à la nomination d’une personne qui « reflétera la diversité du Canada » au poste de gouverneur général avant Payette. Mais le gouvernement libéral féministe a-t-il réellement changé les choses pour les femmes?
Un rapport publié quatre ans après l’entrée en fonction de Trudeau a montré qu’il faudrait 164 ans pour combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Il ne reste plus que 162 ans! En 2019, les femmes étaient toujours plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les hommes. L’élection des libéraux n’a pas non plus libéré les femmes du sexisme ou de la violence conjugale. Cela ne pourrait pas être plus clair au Québec où il y a eu une vague de féminicides. Non seulement ce gouvernement féministe a laissé tomber les femmes en général, mais Julie Payette a été accusée de maltraiter et de rabaisser les travailleurs qui effectuaient des rénovations qu’elle avait elle-même demandées! Apparemment, Payette ne pouvait même pas supporter la vue de ces travailleurs. Il a été rapporté qu’elle « n’aimait pas que les employés d’entretien se trouvent dans son champ de vision ».
Il n’y a aucune raison de croire que la nomination de Mme Simon jouera un rôle différent de celui de Mme Payette ou de Michaëlle Jean : un geste symbolique utilisé par l’État capitaliste pour tenter de sauver les apparences. Ce qui est plus sinistre dans cette nomination, c’est que l’État canadien a intensifié ses attaques contre les peuples autochtones, et il ne fait aucun doute que Mary Simon sera utilisée comme un bouclier autochtone pour protéger le régime. Ces dernières années, l’État est resté les bras croisés devant les attaques contre les pêcheurs Mi’kmaq et a activement réprimé la résistance des Wet’suwet’en et des défenseurs du territoire Haudenosaunee de 1492 Landback Lane, pour ne citer qu’eux. Alors que la lutte des Autochtones se radicalise et que de plus en plus d’Autochtones prennent des mesures pour protéger leurs terres contre l’empiètement capitaliste, l’État que Simon représente maintenant devra choisir entre les Autochtones et les intérêts des entreprises, et il est évident quel parti l’État, et donc Simon, prendra. La nomination d’une personne à un poste élevé de la machine étatique ne changera pas le système capitaliste qui a besoin de l’État pour écraser ces mouvements, quelles que soient les bonnes intentions de cette personne. Puisque Simon a été approuvée par Trudeau, nous pouvons être certains qu’il s’est assuré qu’elle ne s’opposera pas à la violation des droits territoriaux autochtones par le système capitaliste.
Les Autochtones ne peuvent pas compter sur l’État canadien pour mettre fin à leur oppression. La création de l’État canadien est le résultat direct de la formation du capitalisme canadien, qui a poussé les peuples autochtones dans des réserves, les a affamés et leur a enlevé leurs enfants, les plaçant dans des pensionnats d’où beaucoup ne sont jamais revenus. L’État continue de s’attaquer aux Autochtones parce que c’est un État pour les riches et les puissants, les propriétaires de compagnies pétrolières, de pêche et de développement immobilier. Il gère leurs intérêts, pas les nôtres. Nous devons compter sur nos propres forces et nous joindre à la classe ouvrière et à tous les peuples opprimés pour lutter contre l’État et les capitalistes qu’il sert. Personne ne doit se laisser berner par la nomination de Mary Simon. Il s’agit de la tentative d’apaisement la plus médiocre que les libéraux aient pu inventer. La trajectoire du gouvernement Trudeau est déjà tracée : il défendra les intérêts des entreprises et tentera de se protéger avec toujours plus de gestes symboliques et de larmes de crocodile.