Cet article a été publié le 28 juin 2017 sur In Defence of Marxism.
Au Venezuela, les choses changent d’une journée à l’autre, même d’une heure à l’autre. Le 27 juin, un officier de police, aux commandes d’un hélicoptère, a attaqué les bâtiments du ministère de l’Intérieur et de la Cour Suprême de Justice, tout en diffusant un appel à le rejoindre et à renverser le gouvernement de Maduro.
Cette tentative de coup d’État fait suite à de violentes émeutes à Maracay, le 26 juin. L’opposition, qui s’est déclarée en état de désobéissance, a appelé à 4 heures de barrages routiers le 28 juin, utilisant un vocabulaire insurrectionnel.
L’attaque à hélicoptère a été menée par Oscar Alberto Perez, un officier de la CICPC (Police criminelle), qui a servi dans la brigade spéciale aérienne. Agissant avec une autre personne et utilisant son matricule de police, il a réussi à s’emparer d’un hélicoptère de la CICPC à la base aérienne de La Carlota, à l’est de Caracas, et à voler en direction du centre de Caracas.
Dans le même temps, il a diffusé une série de vidéos sur son compte Instagram dans lesquelles il explique qu’il fait partie d’un réseau d’officiers dans les forces de sécurité et de l’armée, en lien avec des civils, qui demandent la destitution du président Maduro. Sur l’hélicoptère, il a déployé une banderole sur laquelle était écrit « 350 Libertad », en référence à l’article 350 de la Constitution bolivarienne qui autorise la désobéissance civile face à un régime ou une autorité qui bafoue les droits démocratiques ou humains. Il a été invoqué par l’opposition les jours précédents cette tentative de renverser le gouvernement.
Les occupants de l’hélicoptère ont ouvert le feu sur les bâtiments des ministères de l’Intérieur et de la Justice, où se tenait une réception de journalistes qui célébraient la « Journée des journalistes ». Ils ont alors fait route vers le bâtiment de la Cour Suprême de Justice où ils ont lancé 4 grenades. Personne n’a été blessé dans les attaques. Ni l’hélicoptère ni ses occupants n’ont été capturés à ce jour (28 juin).
L’appel au coup d’État contre Maduro n’a pas été suivi par d’autres forces de sécurité ni par les militaires, ou du moins rien dans ce sens n’a été fait publiquement. Cependant, après 90 jours de manifestations constantes de plus en plus violentes et d’appels répétés aux forces armées de la part de l’opposition réactionnaire pour qu’elles interviennent et renversent le président, il serait surprenant qu’il n’y ait pas des éléments de l’appareil d’État qui envisagent ces options.
L’attaque à l’hélicoptère et l’appel au coup d’État ont créé une situation très tendue à Caracas et dans les autres villes. Il y a eu des manifestations de l’opposition et des tentatives d’émeutes à de nombreux endroits, principalement dans les quartiers riches, mais aussi, cette fois-ci, dans des quartiers ouvriers et pauvres (Manicomio et Caricua).
Dans les derniers jours, l’opposition semble avoir repris de l’élan. Ses barrages routiers ont eu plus de succès parmi sa base. L’émeute à Maracay, état d’Aragua, a été très grave, avec plus de 64 établissements pillés et de nombreux bâtiments officiels saccagés, y compris les locaux du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela), et un policier a été tué par balle. Le week-end dernier, on a assisté à des attaques répétées par des émeutiers violents contre la base aérienne de La Carlota, où les terroristes de l’opposition ont retiré les lourdes barrières du périmètre de sécurité qu’ils ont envahi. Ils étaient armés avec des grenades et des roquettes artisanales, des cocktails Molotov, etc. Un des émeutiers a été tué par la police militaire alors qu’il tentait de lancer une grenade dans la base.
Nous n’assistons pas à des manifestations pacifiques pour la démocratie, mais à une combinaison d’attaques terroristes, d’appels de politiciens de l’opposition pour que l’armée mène un coup d’État, et maintenant une attaque d’hélicoptère contre les institutions de l’État. Rien de tout cela ne serait permis dans aucun pays au monde. Imaginez si des manifestants violents attaquaient une base militaire au centre de Madrid, de Londres, ou de Washington. Imaginez une situation où, dans une manifestation à Paris ou Berlin, des individus ouvrent le feu sur les forces de sécurité.
Dans un discours avant l’attaque, le président Maduro a prévenu de la possibilité d’un coup d’État et a dit que si quoi que ce soit devait lui arriver, il devrait y avoir « un soulèvement militaire et civil comme le 13 avril [2002], mais mille fois plus puissant ». Il a ajouté que « si le pays était engouffré dans le chaos et la violence, et que la révolution bolivarienne était écrasée, nous devrions riposter, et que ça ne pourrait se faire par les votes, mais par les armes ».
Le problème, c’est que la situation n’est pas celle d’avril 2002, lors du coup d’État contre Chavez. Depuis des années, il y a un processus de désillusion parmi les masses bolivariennes. C’est le résultat du comportement des bureaucrates et des réformistes au sein du mouvement bolivarien, de la corruption d’officiels de l’État et du PSUV, d’attaques contre l’initiative révolutionnaire des masses, etc. Tout ceci est combiné et aggravé par la grave crise économique et par l’incapacité ou la mauvaise volonté du gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour y répondre. Cela impliquerait de porter des coups sévères à l’oligarchie – banquiers, capitalistes et propriétaires terriens. À la place, le gouvernement a poursuivi une politique inverse : leur faire des concessions, leur fournir des dollars à des taux préférentiels et les appeler à investir et à produire. Mais ce n’est pas assez pour la classe capitaliste, qui continue sa campagne de sabotage et tente de renverser le gouvernement, avec le soutien de l’impérialisme américain.
Dans ces conditions, on peut douter que le peuple révolutionnaire, qui a sauvé et défendu la révolution, se relèverait à nouveau en nombre suffisant pour renverser un coup d’État. En fait, on peut douter même qu’il se mobilise en nombre suffisant pour donner de la légitimité à l’élection de l’Assemblée constituante, qui se tiendra le 30 juillet prochain.
La seule façon de combattre l’opposition réactionnaire se ferait à travers la mobilisation révolutionnaire du peuple. C’est possible, comme cela s’est vu par exemple avec les brigades d’auto-défense à Guasdalito et à Socopó, isolées pour le moment, et dans les occupations des terres appartenant aux propriétaires terriens qui ont financé les émeutes à Pedraz, dans l’État de Barinas [1], et à Obispo et Ramos de Lora, dans l’État de Mérida [2]. Également, le 26 juin, les travailleurs de la raffinerie de PDVSA Guaraguao, à Puerto la Cruz, ont pris l’initiative de disperser un barrage routier à un rond-point proche de leur travail, agacés et fatigués d’être bloqués pendant des jours par un petit nombre de partisans de l’opposition [3].
Cependant, pour que cela arrive et soit généralisé, deux conditions sont nécessaires. La première, c’est qu’une direction claire soit donnée d’en haut au niveau national. Ce n’est pas arrivé. Le gouvernement ou les dirigeants nationaux du syndicat bolivarien CBST n’ont donné aucune direction à l’activité révolutionnaire des masses, y compris les occupations des terres et des usines, les comités d’auto-défense armés, etc.
La deuxième condition, c’est que les travailleurs et les paysans sentent que le combat en vaille la peine. Si ce qu’ils voient sont des augmentations constantes des prix pendant que le gouvernement fait des concessions aux capitalistes et continue de payer la dette extérieure, il devient plus difficile de s’organiser et de se mobiliser pour le défendre contre la réaction.
L’issue même de ce conflit est difficile à prévoir. C’est une lutte de forces vivantes. L’opposition réactionnaire pourrait finalement réussir à renverser le gouvernement dans une combinaison de chaos et de violence dans les rues et avec des manifestations de masse, qui pousseraient une partie des forces armées à organiser un coup d’État contre le président. Face à une impasse prolongée de la situation, dans laquelle aucun camp ne peut triompher, combiné à des pillages et des émeutes à grande échelle, les forces armées – ou du moins une partie -, pourraient décider d’intervenir, destituer le président, et aller vers un gouvernement de « transition » impliquant d’anciens officiels « chavistes » et des opposants « modérés ».
Les sections les plus intelligentes de la classe dirigeante (s’il en existe au Venezuela) comprennent que les dirigeants de l’opposition n’ont pas de large soutien dans la population. Ils ne seraient pas opposés à une sorte de gouvernement « technocratique », qui mettrait en place les mesures d’austérité dont ils ont besoin contre la classe ouvrière, peut-être dirigé par un homme d’affaires comme Mendoza, le propriétaire de Polar (groupe agroalimentaire), qui a pris soin de rester silencieux ces derniers mois.
Un autre facteur à prendre en compte, c’est que, malgré le niveau de démoralisation des masses révolutionnaires, il reste encore un noyau important de gens qui sont prêts à se mobiliser contre les forces de la réaction (même si le sentiment que donne les dernières manifestations répétées ne vont pas dans ce sens). Toute tentative d’un gouvernement réactionnaire de revenir sur les acquis de la révolution (privatisation des logements sociaux, fermeture de l’Université bolivarienne ou de l’UNEFA, expulsion des coopératives paysannes des domaines expropriés) rencontrerait la résistance farouche de ceux qui sont concernés. Une partie des masses révolutionnaires est maintenant armée et de tels conflits pourraient, dans certaines circonstances, conduire à des affrontements armés, des actions terroristes et peut-être dégénérer en guerre civile. Pendant que les officiers supérieurs de l’armée s’occuperaient de leurs propres intérêts (business, corruption, etc.) et supporteraient n’importe qui pourrait leur garantir l’impunité, il n’est pas exclu qu’une partie des soldats du rang et des officiers subalternes resteraient loyaux au peuple révolutionnaire.
Ce que nous pouvons dire, c’est que la situation est très préoccupante. Une victoire de l’opposition réactionnaire serait très chèrement payée par la masse des travailleurs, des paysans et des pauvres dans les quartiers. Rien que cette semaine, trois personnes ont été immolées par des manifestants de l’opposition. Une personne a été poignardée et immolée par des voyous masqués à La Castellana (Caracas), pensant qu’il s’agissait d’un chaviste [4]. Deux jeunes ont été menacés avec des pistolets et immolés par le feu sur un barrage de l’opposition à Barquisimeto (État de Lara), après qu’ils se soient présentés en tant que chavistes [5]. Imaginez un peu ces gens arriver au pouvoir! La classe dirigeante avait pris peur. Elle avait perdu le contrôle de la situation pendant des années. Quand elle reviendra au pouvoir, elle aura soif de revanche et elle lâchera les meutes hurlantes de la classe moyenne enragée sur quiconque a soutenu le mouvement bolivarien et, en général, contre la classe ouvrière et les pauvres.
Selon les paroles du révolutionnaire français Saint-Just, « ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau ». La tragédie de la révolution bolivarienne, c’est qu’elle n’a pas été achevée. Nous en payons maintenant le prix.
[1] Campesinos de Barinas inician rescate de finca de terrateniente que prestó retroexcavador para saqueos en Socopó
[2] Campesinos de Mérida rescatan tierras de un terrateniente financista de la violencia
[3] Trabajadores de PDVSA le dieron su parao a los guarimberos en Puerto La Cruz
[4] Un joven identificado como Giovanny González (24) fue quemado y apuñalado por encapuchados en La Castellana al confundirlo como chavista
[5] Están graves dos jóvenes quemados en Barquisimeto por decir que eran “chavistas”